Sous le thème : « Partenariat transcontinental en quête de justice réparatrice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine par le biais de la réparation », le deuxième sommet Afrique – Caraïbes d’Addis-Abeba, ce dimanche 7 septembre 2025, constitue une étape importante dans la lutte et le long parcours de l’Afrique et de la Communauté caribéenne pour la reconnaissance et la réparation des crimes que leurs peuples ont subis.
Extrait du discours Pr Robert Dussey, Ministre des affaires étrangères, de l’intégration régionale et des togolais de l’extérieur,
« Je voudrais, à l’entame de mon propos, vous transmettre les excuses et les salutations de votre frère, Son Excellence Monsieur Essozimna GNASSINGBÉ, Président du Conseil de la République togolaise, qui n’a pas pu faire le déplacement pour prendre part personnellement à ce 2e Sommet Afrique-CARICOM sous le thème : « Partenariat transcontinental en quête de justice réparatrice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine par le biais de la réparation ».
Il m’a chargé de le représenter et de prendre la parole en son nom sur le point : « Qualification de l’esclavage, de la déportation et de la colonisation de crimes contre l’humanité et de génocide contre les peuples d’Afrique et le 9e Congrès panafricain » comme il a été demandé au Togo
Le partenariat entre l’Afrique et le CARICOM est un partenariat de fraternité. Mettre ce partenariat entre l’Afrique continentale et l’Afrique des Caraïbes au service de la cause commune de la réparation traduit la vérité suivante : en se mettant ensemble pour porter la cause de la réparation, nous la servirons mieux. Cette prise de conscience constitue une étape importante dans la lutte et le long parcours de l’Afrique et de la Communauté caribéenne pour la reconnaissance et la réparation des crimes que leurs peuples ont subis.
Pendant plus de quatre siècles, des millions de nos ancêtres furent arrachés à leurs familles, à leurs terres, enchaînés, entassés dans les cales obscures des navires négriers, réduits au rang de marchandises dans une logique obscure de chosification. Ils furent vendus sur les places publiques des Amériques et des Caraïbes, soumis aux travaux les plus pénibles, dépouillés de leur identité, privés de leur liberté au mépris des lois sacrées de l’humanité et de la dignité humaine.
À cette tragédie de la traite et de l’esclavage, est venue s’ajouter celle de la colonisation. Derrière le masque hypocrite de la « mission civilisatrice », ce fut l’humiliation systématique des peuples africains, la confiscation de leurs terres, le pillage de leurs richesses, la déculturation. Ce furent aussi des massacres : ceux des Hereros et des Namas de la Namibie entre 1904 et 1908, de Thiaroye en 1944 au Sénégal, de Madagascar en 1947, de Congo sous le Roi Léopold II et celui des Mau-Mau au Kenya entre 1952 et 1960. Aimé Césaire le disait avec force : « Le colonialisme, ce n’est pas civiliser, c’est déciviliser », c’est déshumaniser, c’est détruire, c’est dépouiller.
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La gravité de ces injustices historiques, qui ont été des actes criminels bien réfléchis, planifiés et méthodiquement exécutés, perpétrées contre les peuples d’Afrique et les personnes d’ascendance africaine, avait déterminé le Togo à introduire auprès des instances décisionnelles de l’Union Africaine la demande qui a conduit à la Décision historique de « Qualification de l’esclavage, de la déportation et de la colonisation de crimes contre l’humanité et de génocide contre les peuples d’Afrique » qui a été prise par la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement le 16 février dernier.
Cette décision de qualification vient répondre aux aspirations les plus pressantes des peuples d’Afrique, des Afro-descendants, des organisations diasporiques et de la société civile africaine à la justice et à la réparation.
Elle a permis à l’Afrique de mettre ses propres mots sur ses souffrances dans l’Histoire, d’œuvrer pour une meilleure connaissance des périodes douloureuses de l’histoire du continent par les jeunes générations, d’entamer un travail de guérison des stigmates profondes laissées sur les sociétés africaines, d’envoyer un message fort à la communauté internationale sur la soif et les attentes de reconnaissance et de réparation des injustices historiques subies par ses peuples, et d’affirmer son leadership sur la question de la réparation afin d’éviter de se faire dicter les termes du débat.
L’Afrique n’attend pas du monde ni pitié ni charité. Nous exigeons reconnaissance et réparation. Reconnaissance de l’ampleur des crimes commis. Reconnaissance de la déportation de nos peuples, reconnaissance de la perturbation de la trajectoire historique de l’Afrique, reconnaissance du devoir de justice envers les peuples d’Afrique et des diasporas africaines, reconnaissance du droit de nos peuples à la réparation, réparation des crimes commis contre les africains et les personnes d’ascendance africaine.
En soi, cet acte de qualification traduit un changement de paradigme. Au lieu de laisser aux descendants des bourreaux le droit de qualifier leurs crimes, l’Afrique et les africains ont mis leurs propres mots sur les crimes subis. Cet acte de qualification est une séquence importante dans les luttes africaines et caribéennes pour la réparation.
Réparations, matérielles et symboliques, pour panser les blessures de l’histoire. Réhabilitation de la mémoire africaine, pour rendre aux peuples spoliés la fierté de leur dignité. Car, ce qui fut détruit, ce ne sont pas seulement des vies, ce fut aussi l’estime de soi d’un continent. Reconnaître ces crimes ne relève pas du ressentiment. Il s’agit d’affirmer une vérité universelle et de renforcer l’humanité commune de tous les peuples.
L’engagement du Togo aux côtés des nations frères du continent et des Caraïbes pour la cause de la réparation s’inscrit pleinement dans la réalisation de la Décennie 2021-2031 «Décennie des Racines Africaines et de la Diaspora africaine » décrétée par la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement en février 2021 à sa demande.
Cette Décennie met à honneur les personnes d’ascendance africaine et les diasporas africaines parce que nous avions pris la pleine conscience du fait que les destins de l’Afrique continentale et de l’Afrique des diasporas sont liés. C’est dans le cadre de la même Décennie que l’organisation du 9e congrès panafricain qui se tiendra du 8 au 12 décembre 2025 à Lomé sur le thème « Renouveau du panafricanisme et rôle de l’Afrique dans la réforme des institutions multilatérales : mobiliser les ressources et se réinventer pour agir » a été confiée au Togo par la Conférence.
Le panafricanisme, nous le savons, met l’accent sur la solidarité entre les nations africaines dans la perspective d’aider à transcender les divisions héritées de la colonisation et entre les Africains et les Afro-descendants dans l’optique de reconnecter l’Afrique et sa diaspora. Il serait, selon le Président Kwame Nkrumah, entré en usage au début du XXe siècle lorsque le trinidadien Henry Sylvester-Williams et l’afro-américain William Edward Burghardt Du Bois « l’ont utilisé de lors de plusieurs congrès panafricains ».
« L’idée du panafricanisme surgit d’abord comme une manifestation de solidarité fraternelle entre africains et peuples d’ascendance africaine » disait Georges Padmore. Le 9e congrès panafricain de Lomé permettra de réaffirmer la valeur paradigmatique du panafricanisme. Tout l’intérêt pour le panafricanisme en ce XXIe siècle pour l’Afrique et les personnes d’ascendance africaine réside dans la prise de conscience renouvelée que ce n’est qu’en étant unie que l’Afrique pourra véritablement prendre part à la gouvernance mondiale.
La transformation que le mouvement a connu en devenant un mouvement des peuples est un élément essentiel sur lequel il faut capitaliser pour porter les préoccupations actuelles de l’Afrique et des personnes d’ascendance africaine en termes de dignité, de liberté, de souveraineté, d’indépendance, de respect et de représentativité dans le concert des continents et sur la scène internationale.
Le 9e Congrès panafricain dont la phase préparatoire nous a conduit au Brésil l’année passée dans le cadre d’une conférence régionale dédiée aux diasporas et personnes d’ascendance africaine sera un rendez-vous où l’Afrique et sa diaspora parleront d’une seule et même voix.
Le Congrès de Lomé sera le lieu de la réaffirmation de la valeur du panafricanisme pour assurer une continuité historique au mouvement, de la réaffirmation de l’unité et de la solidarité entre l’Afrique, sa diaspora et les personnes d’ascendance africaine, de la mobilisation des États et des peuples africains autour de la cause de la réforme des institutions multilatérales, de la proposition de pistes d’actions concrètes en faveur de la réforme de la gouvernance mondiale, de la réparation et de la restitution du patrimoine culturel africain, de l’affirmation de l’identité culturelle et de la créativité africaines, et de l’exploration des perspectives actuelles et futures du panafricanisme.
Le 9e Congrès panafricain marquera une étape décisive dans notre marche vers l’émancipation et dans la lutte pour obtenir la réparation due à l’Afrique et aux personnes d’ascendance africaine dans la gouvernance mondiale. Il sera une séquence essentielle pour une Afrique réconciliée avec son passé, debout dans son présent, et qui ne se laisse pas dicter son avenir.
C’est sur ces mots pleins d’espoir que je voudrais, au nom du Président du Conseil, S.E.M Faure Essozimna GNASSINGBÉ, vous inviter à honorer de votre présence le mois de décembre prochain à Lomé le 9e Congrès panafricain qui rassemblera l’ensemble de la communauté africaine. »
La Rédaction