Les origines du cycle de violences ayant fait des centaines de morts dans la Région de Mopti, la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, la récente adoption de la loi d’entente nationale par l’Assemblée nationale, la tenue du Dialogue politique inclusif sont, entre autres, sujets abordés par le Pr Issa N’Diaye dans l’entretien qui suit. L’universitaire apporte également son éclairage sur la signature de l’Accord de gouvernance, pose le diagnostic qu’il juge critique de l’état de la nation, avant d’indiquer des pistes de solutions.
D’entrée de jeu se prononçant sur la crise dans les Régions de Mopti et Ségou, le Pr Issa N’Diaye estime que le conflit dépasse le cadre traditionnel entre les populations nomades et les populations sédentaires. Selon lui, les conflits qui sont dans cette partie du pays actuellement, ont principalement comme sources l’insécurité dans le Nord du pays, le nombre croissant des groupes terroristes qui y pullulent et l’absence de l’Etat. Du point de vue de l’universitaire, il est difficile de comprendre comment ce problème n’ait pas pu être traité depuis des années, avec la présence d’environ 30.000 hommes de la force française Barkhane, de la Minusma, des troupes de différents pays de la Cedeao. A ces troupes, il faut ajouter les effectifs de l’armée malienne. Ces différents contingents n’arrivent pas à vaincre militairement des groupes que certains estiment au plus à 3000 hommes.
Pourtant, pointe notre interlocuteur, il y a un rapport de force en nombre qui plaide en faveur des forces d’intervention, sans compter les armements mobilisés (les avions, les blindés, les drones etc). Ce qui fera dire au chercheur qu’il y a des questions qu’on est amené à se poser. On est en droit de s’interroger si quelque part, il n’y a pas d’autres causes objectives à cette insécurité dans ces localités, à ces violences intercommunautaires. « Est-ce que quelque part ces violences ne sont pas provoquées ? Est-ce que ces violences ne sont pas manipulées ? Est-ce qu’il n’y a pas quelque part un souci de créer un chaos dans cette partie du Mali ? Autant de questions qui se posent », s’interroge-t-il. Avant de révéler que certains villageois disent que parmi les assaillants, il y a des gens qui ne sont pas locuteurs des langues locales, qui n’appartiennent pas au tissu social local, concluant que ce qui expliquerait aussi la violence et la barbarie des massacres qui sont intervenus. Somme toute, l’enseignant – chercheur pencherait plutôt pour l’hypothèse que c’est un conflit qui est suscité, manipulé, alimenté de l’extérieur, qui fait en sorte qu’une main invisible joue les Maliens les uns contre les autres.
Par ailleurs, comme possibles solutions, il suggère que la stratégie sécuritaire de l’Etat soit repensée. A ce propos, selon lui, il est évident que ce n’est pas la force militaire malienne qui arrivera à établir la sécurité, et que les milices villageoises qui ont été créées font partie des éléments de sécurisation. « Encore faut-il s’assurer que ces milices soient constituées sous le contrôle des communes plutôt que sur des bases ethniques. Mais, on ne peut assurer véritablement la sécurité des populations sans les impliquer dans cette sécurité », analysera-t-il.
REJET DE LA CHARIA-
Dans le même registre, Pr Issa N’Diaye est d’avis que la solution pourrait aussi passer par la négociation avec ceux qui sont étiquetés comme terroristes maliens. En appui à ses propos, il rappelle que quand les Américains faisaient la guerre au Vietnam, ils négociaient en même temps politiquement avec les troupes vietnamiennes. Il a souligné aussi le fait qu’actuellement en Afghanistan, les Américains négociaient avec les talibans. « Il faudrait qu’on ait l’intelligence de comprendre que de toutes les façons les conflits finissent toujours par une négociation. Donc, autant anticiper cette négociation. S’il y a dialogue, je pense qu’il doit inclure tous les fils du Mali qui ont porté les armes contre leur pays, en excluant les forces extérieures », préconise-t-il. Mais, s’empresse de préciser, que la négociation devrait se faire sur la base de l’acceptation de l’intégrité territoriale du Mali et du rejet de la charia comme loi fondamentale du pays.
Un autre sujet, pas le moindre, ayant retenu l’attention du Pr N’Diaye a trait à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation un peu plus de quatre ans après sa signature. Sur la question, l’universitaire admet qu’il y a des obstacles dans le texte qui rendent son application quasi impossible. La seule façon donc de résoudre ce problème, préconise-t-il, c’est de faire appel aux communautés maliennes afin qu’elles décident des dispositions à prendre pour revoir et réadapter certains termes de l’Accord.
Un tantinet critique par rapport à la récente adoption par l’Assemblée nationale de la loi d’entente nationale, notre interlocuteur soutient que cela contredit l’esprit du Dialogue politique inclusif dont les préparatifs sont en cours. « Il serait à mon avis, important de mettre ce document en discussion au niveau de l’ensemble des Maliens pour qu’on arrive à dégager un consensus national. Faire adopter ce texte par un Parlement qui a fini son mandat est prématuré, et tout à fait illégitime », estime-t-il.
Pour sûr, l’acteur du Mouvement démocratique reste tout aussi perplexe quant à la signature le 2 mai dernier de l’Accord politique de gouvernance entre le Premier ministre et certaines forces politiques du pays. A son avis, il aurait fallu plutôt avoir un gouvernement de crise, faire en sorte qu’on puisse dessiner une architecture qui tient compte des principaux problèmes du pays, qui fait appel à des hommes et des femmes qui ne sont pas marqués politiquement, capables de se préoccuper du pays, de le sortir donc des impasses actuelles. Selon Issa N’Diaye, la signature de ce document peut tout juste permettre de décrisper les conflits entre les politiciens, mais ne résoudra pas fondamentalement la crise au niveau du pays.
CONSTRUIRE DES ALTERNATIVES – Par ailleurs, l’universitaire voit plutôt d’un bon oeil la prochaine tenue du Dialogue politique inclusif, à condition qu’il soit d’abord ouvert à toutes les questions qui posent problèmes actuellement au Mali. Du reste, il estime qu’en raison de la gravité de la crise dans notre pays, il faut construire un dialogue national incluant toutes les thématiques par le bas : partir des villages, pour venir dans les communes, dans les cercles, dans les régions et au niveau national. « Là, on aura pris la précaution d’écouter les Maliens, les communautés de base et de savoir leurs préoccupations véritables et ce qu’ils proposent comme solutions pour le pays. Donc à partir de cela, on peut construire des alternatives », soutient-il.
En outre, un autre avantage de cette démarche, selon le Pr N’Diaye, est qu’on aura des interlocuteurs nouveaux, faisant observer qu’il y a aujourd’hui dans notre pays un ensemble de partis politiques qui ont confisqué la parole publique. Et de regretter que les gens parlent au nom des populations sans avoir la légitimité requise.
L’autre question, s’interroge notre interlocuteur, est de savoir ce qu’on va faire de ce dialogue national. A ce sujet, il souhaite que les conclusions de la rencontre puissent servir de base de décisions pour les nouvelles politiques à déployer. « L’architecture institutionnelle du pays, tous les choix stratégiques doivent être faits sur la base des décisions qui sortiront de ce Dialogue politique inclusif. Or, aujourd’hui on n’a pas l’assurance qu’il en sera ainsi », énonce-t-il. Au total, retient-il, ces assises doivent être nationales incluant toutes les régions du pays, toutes les sensibilités, toutes les couches socioéconomiques. Il faudrait, recommande-t-il, que les décisions qui vont en sortir puissent être appliquées au niveau de l’Etat.
En fin de compte, quelles alternatives pour un lendemain qui chante ? Un moment pensif, comme s’il voulait prendre une profonde inspiration, avant de répondre à cette question, le Pr Issa N’Diaye avance : « Il faudrait que les Maliens arrivent à mettre le pays au-dessus de tout, pas seulement dans des phrases, mais dans leurs comportements de tous les jours. Sans patriotisme, sans solidarité nationale nous ne pourrions pas relever les défis, résoudre les problèmes du pays ». Il est temps, soutient le chercheur, de se dire la vérité, d’aborder toutes les questions et surtout qu’une certaine génération s’efface au profit d’une nouvelle plus soucieuse du pays, plus porteuse de valeurs patriotiques et plus déterminée à vouloir résoudre les problèmes du pays.
Massa SIDIBE
L’Essor