Après dix jours de sa prise de fonction, le Procureur en charge du Pôle Economique et Financier de Bamako, le Magistrat Mamoudou Kassogué trace les grandes lignes de sa mission contre la corruption.
C’est à travers un point presse animé hier jeudi 22 août 2019 au Tribunal de Première Instance de la Commune III de Bamako que le Magistrat Kassogué a fait comprendre que leur arrivée coïncide avec un moment où beaucoup d’affaires de corruption révélées ou dénoncées tant dans le rapport 2018 du Vérificateur Général, où le phénomène devient un sujet de préoccupation nationale et internationale, une question existentielle pour l’avenir même du pays.
«C’est un contexte particulièrement difficile, la perception de la corruption inquiète au point qu’on croirait respirer la corruption au Mali, il y a la réalité de la corruption et la perception de la corruption », assène le Procureur.
Selon le Magistrat Kassogué, plus un pays est corrompu, plus le système se pourrit. Et à lui d’ajouter que la crise multidimensionnelle que connaît le pays tire sa source de la corruption.
« Il faut donc un sursaut, une lutte efficace, a-t-il insisté, afin que tout le monde gagne. Car c’est une erreur de réduire la lutte à la seule capacité de la justice, étant donné que tous les cas de la corruption ne sont pas forcément portés devant la justice» et que pour les cas de corruption dénoncés à la justice, il peut y avoir des difficultés objectives qui peuvent empêcher de concevoir un bon dossier, fait-il savoir.
Aux dires du Procureur du Pôle Economique et Financier, quatre facteurs freinent cette lutte. Il s’agit des difficultés liées au non aboutissement des dossiers, la lenteur des enquêtes, le nombre élevé des classements sans suite de dossiers et le silence de la justice.
En ce qui est de la diligence des dossiers, le Procureur rappelle que «la justice a besoin du temps pour comprendre ce qui s’est passé : qui sont les auteurs et les complices afin que des innocents ne soient pas frappés », explique le nouveau Procureur.
Qui a enchaîné ? «La plupart des dossiers portent sur les crimes, il y a des enquêtes qui prennent 5, 7 ou 10 ans», avant d’aboutir alors qu’au même moment, le peuple qui s’impatientait du jugement, oublie.
Sur les difficultés liées au nombre élevé de dossiers classés sans suite, le Procureur fera savoir qu’il peut être lié au fait que les faits n’aient aucun qualificatif pénal ou au contexte politique, économique ou social que traverse le pays.
Le silence de la justice, fait savoir le Procureur, est parfois lié à la culture dans l’ouverture des enquêtes judiciaires, aux dénonciations fantaisistes ou non étayées, à l’insuffisance de moyens financiers.
« Nous voulons lutter contre la corruption, il faut les moyens. La lutte est une chaîne. Il y a le seuil de préjudice », a précisé Monsieur Kassogué, à partir duquel démarre une enquête. Aussi, le silence est lié à l’immunité de certaines personnes, l’intervention de certaines personnes dans le processus judiciaire pour empêcher l’enquête d’aboutir. « Cela crée un sentiment d’injustice, d’intouchables, la justice à double vitesse», a regretté le Procureur.
En dépit de ces défis, le Procureur du Pôle Economique a promis de « mener une lutte responsable, déterminée, objective et transparente » contre le phénomène et ceux à qui il est reproché quelque chose, « dans les limites des attributs et moyens mis à la disposition » du Pôle.
« Pour y arriver, nous allons adopter de bonnes pratiques, sans acharnement ni à priori, nous allons ouvrir systématiquement des enquêtes, une fois qu’il y a un fait de corruption », a-t-il promis.
Quant aux affaires dites d’avions cloués au sol ou des malversations dans le monde agricole, le Magistrat Mamoudou Kassougué est clair : « Nous avons ordonné une enquête. Nul n’étant au-dessus de la Loi, des poursuites seront engagées, sans exclusif, contre tous ceux qui seront impliqués ».
Le Procureur a rassuré du soutien du Ministre de la justice et des plus hautes autorités du pays pour mener la lutte, lesquels veulent désormais des Procureurs qui ne soient pas des bénis « oui-oui ».
Cyril ADOHOUN
L’Observatoire