Dans sa communication sur « le code des personnes et de la famille (CPF) au regard de la laïcité et des droits des femmes dans le contexte malien», au Forum de Bamako, le 18 Février 2021, Me Mountaga Tall, avocat au Barreau du Mali, ancien ministre et député à l’Assemblée nationale du Mali, au Parlement de la CEDEAO et au Parlement Panafricain, estime que la légalisation du mariage religieux ne viole ni l’esprit ni la lettre de la Constitution malienne.
Selon Me Mountaga Tall, l’extrémisme religieux naissant au Mali s’abreuvait principalement à trois sources à savoir l’ignorance (y compris des textes sacrés), la grande pauvreté et un fort sentiment de frustration dans l’exercice du culte. Ses multiples tentatives pour minimiser ce sentiment de frustration qui se propageait à grande vitesse dans certains milieux, sa proposition de loi sur la légalisation du mariage religieux et de débat sur l’officialisation des fêtes religieuses au Mali n’ont obtenu que de maigres résultats.
Sur le mariage religieux, les successions et la laïcité de l’Etat, Me Tall estime que l’Etat laïc est celui qui ne s’immisce pas dans les questions religieuses et qui est d’égal partage entre les différentes religions, qui ne rejette pas les religions, mais qui intègre les religions dans la conduite des affaires publiques. « Ici même au Mali, qui oserait soutenir que l’existence des ordres d’enseignement chrétien et musulman est contraire à la laïcité de l’Etat ou à la Constitution ? Ou que l’implication de l’Etat dans l’organisation des pèlerinages musulman et chrétien est contraire à la laïcité ? Ou encore que la présence des plus hautes autorités aux cérémonies cultuelles des différentes religions viole ce principe ? », interroge-t-il. Avant de poursuivre : « La consécration légale du mariage religieux est plus une application qu’une négation du principe de la laïcité ».
Alors que certains soutiennent l’inconstitutionnalité du mariage religieux au Mali, en se fondant sur les articles 2 et 25 de la Constitution du Mali, les mêmes, à en croire l’ancien député à l’Assemblée nationale du Mali, omettaient soigneusement de citer l’article 4 de la même Constitution qui consacre la liberté de religion : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion, d’expression et de création dans le respect de la loi ».
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« A l’analyse, la légalisation du mariage religieux ne viole ni l’esprit ni la lettre de la Constitution. Les dispositions sur le mariage religieux sont au contraire une véritable prise en compte de certaines de valeurs religieuses et culturelles et constituent par conséquent de véritables avancées sociales et juridiques et non des violations de la Constitution », démontre l’avocat.
Rapport mariage religieux et engagements internationaux
A en croire l’ancien député à l’Assemblée nationale du Mali, au Parlement de la CEDEAO et au Parlement Panafricain, « la légalisation du mariage religieux au Mali respecte les prescriptions les engagements internationaux du Mali contenus dans la Charte Africaine des Droits de l’Homme et de Peuples (CADHP) ou la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination à l’égard des Femmes (CEDEF). Au demeurant, on constatera que nulle part, ces conventions ne posent l’obligation de célébrer le mariage devant l’officier de l’état civil. Il suffit pour la validité du mariage religieux, de le conclure par écrit, de l’inscrire ou de l’enregistrer sur un registre officiel.
Et Me Tall d’expliciter : « Le CPF, a ouvert pour tous un droit d’option entre le mariage religieux et le mariage civil qui sont, depuis, d’égale valeur. Pour mieux le sécuriser, le mariage religieux a aussi été soumis à une procédure comprenant un imprimé-type qui constate l’âge des époux, leur consentement, les témoignages, l’option matrimoniale (monogamie ou polygamie), les régimes matrimoniaux (communauté ou séparation des biens), l’obligation pour le ministre du culte de faire parvenir à l’Officier d’état civil compétent l’imprimé-type avec les pièces requises pour la transcription dans les registres d’état civil suivi de la remise d’un Livret de famille, et la soumission de tout le contentieux subséquent à la compétence exclusive du juge civil »
Quid des successions ?
Les successions constituent une matière beaucoup plus délicate que le mariage pour la grande majorité de maliens de confession musulmane. Ainsi, il était prévu en matière de succession avant l’adoption du CPF, selon Me Tall, « que l’héritage, pour celui qui n’a pas fait un écrit, ou pris pour témoin des personnes qui lui survivraient, sera partagé selon le droit civil. Les dispositions sur les successions tels que prévus dans le CPF, tout comme d’ailleurs celles sur la légalisation du mariage religieux sont des choix individuels et privés, des options à côté des droits communs que sont le mariage civil ou la dévolution successorale telle que règlementée par la loi. Ces mesures qui prennent en compte certaines de valeurs religieuses et culturelles profondément ancrées au Mali dans le strict respect de la liberté de choix, ne violent pas la Constitution du Mali ».
« L’argument de l’inconstitutionnalité peut donc être écarté, soutient l’avocat Tall, car il s’agit de choix individuels et privés sans préjudice du droit commun qui demeure conforme au texte constitutionnel. Au total, la démarche, qui concilie choix religieux et exigence légale apparaît aujourd’hui comme la seule façon permettant à la fois de tenir compte de réalités socioculturelles, de protéger les plus faibles dans un ménage et de maintenir la paix sociale dans les cas de partage successoral ».
Dans son exposé, Me Tall dira que la légalisation du mariage religieux est une avancée pour la protection et la promotion des droits des Femmes et les successions dans le nouveau droit positif malien constituent un gage de paix et de stabilité dans les foyers. « Croire que la religion musulmane par exemple prône en tous les cas la polygamie procède d’une méconnaissance profonde des règles du mariage religieux », argumente-t-il. En effet, en cette matière comme en toute autre, « le musulman est tenu par sa promesse et il ne peut contracter un second mariage après une option matrimoniale monogamique clairement exprimée. Sauf bien évidemment, comme dans notre droit positif, avec l’accord de la première épouse. Il est important de souligner que la légalisation du mariage religieux ne permet en aucun cas la validation les mariages conclus devant le ministre du culte par un homme précédemment marié sous le régime monogamique devant l’officier d’Etat civil. Ces mariages, conclus en violation de la loi, sont et demeureront nuls. La légalisation du mariage religieux permet aux épouses victimes d’obtenir l’annulation du mariage frauduleux ».
Successions dans le CPF, gage de paix et de stabilité
Aux dires de Me Tall, avec le CPF, dont les prescriptions constituent désormais le droit commun des successions, d’autres dispositions s’appliquent à toute personne en son article 751 : « dont la religion ou la coutume n’est pas établie par écrit, par témoignage, par le vécu ou la commune renommée ; qui, de son vivant, n’a pas manifesté par écrit ou par devant témoins sa volonté de voir son héritage dévolu autrement ; qui, de son vivant n’a pas disposé par testament de tout ou partie de ses biens, sauf la mesure compatible avec la réserve héréditaire et les droits du conjoint survivant. Nul ne peut déroger aux règles du mode de dévolution successorale retenu. »
Avec le CPF, justifie l’avocat au Barreau du Mali, l’imam ou le chef coutumier qui décède sans avoir réglé sa succession par écrit ou si un éventuel témoin meurt avant lui n’aura plus sa succession réglée selon des règles contraires à sa volonté et qui, plus est sont sources de conflits familiaux. La succession sera partagée selon la seule volonté du défunt et selon sa religion, sa coutume ou selon le droit civil. Ainsi Napoléon ne primera plus sur le Coran pour la succession de l’imam de Tombouctou.
Cyril Adohoun
L’Observatoire