Pour le président du MPR, Choguel Kokalla Maïga, « six mois après le départ d’Ibrahim Boubacar Keïta (du pouvoir), tous les maux que déplorait le peuple sont restés plus que manifestes ». C’était dans sa communication (intégralité) au cours d’un colloque le 25 février 2021.
Notre pays vit, depuis le 18 août 2020, un régime de transition, le troisième du genre depuis mars 1991. Un tel régime était le vœu de plus d’un Malien en 2018. Le pouvoir en place à l’époque en a décidé autrement et, en lieu et place d’élections transparentes et crédibles, pour refonder l’Etat, a préféré organiser une présidentielle truquée pour continuer à administrer et à gérer comme par le passé. Aussi n’a-t-il pas su éviter la bourrasque qui l’a emporté. Il a ignoré la soif de changement du Peuple dont les demandes étaient, restent, de plusieurs sortes.
Des hommes et des femmes se sont dressés, se sont rejoints pour mener une lutte, parachevée par une intervention militaire. Une junte s’est installée à la tête de l’Etat. Elle a fait des promesses, pris des engagements, avant de choisir de cheminer par des chemins tortueux, trahissant, et sa parole et les aspirations légitimes du Peuple. Six mois après ces événements porteurs à la fois de déceptions et d’espoirs, le moment est venu de centrer l’éclairage sur une épopée inspirée par une volonté de changement afin d’en cerner les causes, les acteurs, les différentes péripéties, ses conséquences et ses perspectives.
Les causes du changement
2018 a suscité beaucoup d’espoir. Le président élu en 2013, pratiquement plébiscité, avait déçu tous les espoirs placés en lui. Dès son accession à la magistrature suprême, plutôt que de prendre conscience de l’étendue de la tâche qui l’attendait à la tête d’un Etat failli, d’un pays et d’un peuple divisés, il s’est évertué à instaurer une gestion oligarchique, ploutocratique, familiale et clanique du pouvoir de l’Etat.
Les conséquences en sont connues. Elles sont : une série de scandales et une instabilité gouvernementale criarde avec six Premiers ministres, autant de Ministres à la tête de tous les Départements de souveraineté de l’Etat, et de Chefs d’État-major des Armées, en cinq ans. De l’inédit dans nos annales. Pendant ce temps, le pays se délite, le Nord est abandonné aux Mouvements séparatistes et aux terroristes et trafiquants de tous ordres, le Centre est en proie à des conflits prétendument intercommunautaires, l’insécurité se propage dans les régions de Koulikoro et de Ségou, partout ailleurs, jusque dans le cœur de Bamako, la chienlit sert de terreau au grand banditisme.
Ce sont là plus d’une raison pour que le Peuple aspire au changement. Privé de la transition souhaitée, il s’est vu imposer une élection présidentielle. Celle-ci a eu lieu dans le courant des mois de juillet et d’août 2018. Elle fut la plus calamiteuse de notre histoire : élection sur fond de partition du pays, d’insécurité, de violences avec morts d’hommes ; mais aussi, élection sur fond de triche à grande échelle avec achats de consciences, bourrages d’urnes, menaces et intimidations. Des responsables politiques, soutenus par des patriotes, de l’intérieur comme de la diaspora, en ont tiré les leçons et se sont constitués en un front pour contester les résultats et agir de sorte qu’une telle mascarade, saluée par la Communauté internationale au grand dam de notre Peuple, ne se reproduise plus. Ils vont débuter une lutte pour que cela change. En effet, cautionner la mascarade eût été, non pas un aveu d’impuissance, mais une caution apportée à la mauvaise gouvernance quand, de jour en jour, le pays ne cesse de s’enliser, de s’effilocher sans que rien ne soit entrepris pour parer à la dérive.
Les demandes du Peuple
L’engagement de ces responsables politiques soutenus par des patriotes va prendre en charge les demandes du Peuple et mener la lutte pour que satisfaction soit donnée à ces demandes. Cela est su, les Maliens savent être patients, mais sont allergiques à l’injustice. Aussi se sentent-ils scandalisés par le train de vie de l’Etat et les retombées d’une corruption à nulle autre égale avec des marchés de gré à gré et des surfacturations défiant tout entendement.
Ce scandale a créé une fracture sociale si béante que, pour y remédier, les différentes corporations n’ont eu d’autres recours que de mettre la pression sur l’Etat afin d’améliorer leurs conditions de vie. Nous sommes en guerre, n’a-t-on pas cessé de les tympaniser, pour leur faire accepter des sacrifices dans l’attente de jours meilleurs. Mais, comment demander de concevoir indéfiniment la vie dans l’austérité quand soi-même, on se vautre dans le luxe , le lucre et la luxure ?
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Les demandes du Peuple, face à cette situation qui ne fait honneur à aucun patriote digne de ce nom, portent, en premier lieu, sur l’instauration d’une gouvernance vertueuse. Ses aspirations peuvent être résumées par une paraphrase adressée à l’endroit des tenants du pouvoir à l’époque : fondez la république sur ce qui est son essence, la vertu, et tout le reste nous sera donné.
Tout le reste : c’est une armée, avec des officiers, des sous-officiers et des soldats du rang en qui le Peuple se reconnaît et qui font sa légitime fierté ; c’est, pour ce Peuple dans toutes ses composantes, des conditions de vie décentes dans un milieu assaini, la possibilité de participer au développement national dans un environnement apaisé, sécurisé ; c’est la possibilité pour ses enfants de fréquenter une école adaptée aux réalités de leur pays dans un espace tant scolaire qu’universitaire lieu de civisme par excellence ; c’est la possibilité de se faire soigner sans être contraint d’être un évacué sanitaire.
Ces différentes attentes, prises en charge par des responsables politiques soutenus par des patriotes, constituent l’ossature d’un programme dont la réalisation créera les conditions du renouveau.
Les acteurs
C’est, progressivement, que ces responsables politiques se sont retrouvés. Ce sont, d’abord, des regroupements autonomes qui se constituent pour donner de la voix : le FSD, autour de Soumaïla Cissé, l’EMK, avec Cheick Oumar Sissoko, la CMAS avec Issa Kaou N’Djim, porte-parole de l’imam Mahmoud Dicko. Ensuite, après le Grand Rassemblement patriotique du 5 juin 2020, le mouvement gagne de l’ampleur avec l’apport de responsables politiques, de responsables d’associations et de syndicats, donnant ainsi naissance au M5-RFP. Enfin, depuis la Diaspora, des voix se font entendre pour exprimer leur adhésion au mouvement de contestation et leur volonté d’opérer le changement.
Les étapes de la lutte pour le changement : les manifestations, la répression, le coup d’Etat
Au nom du changement, la lutte est engagée. Elle comporte différentes étapes. Tout débute par des articles de journal, une tribune appelant à s’engager et à rester constant dans la résistance. Le pouvoir prend conscience de ce que pourrait être l’issue d’un combat engagé par des hommes et des femmes dont les rangs ne font grossir, aussi bien sur le territoire national qu’à l’étranger.
Les manifestations sont organisées sous l’égide du FSD, de la CMAS et de EMK. De leur succès résulte la constitution future du M5-RFP, qui publie un mémorandum pour justifier les raisons de sa création, informer des adhésions tant internes qu’externes, proposer des pistes pour une sortie de crise. La désobéissance civile est décidée. Le 10 juillet, tant à Bamako que dans plusieurs villes de l’intérieur, capitales régionales ou chefs-lieux de cercle, de même qu’à Genève, New-York, Paris, des milliers de personnes se retrouvent pour des manifestations et exiger le changement.
Le M5-RFP déplore ses premiers morts : 23 morts sous les balles des FORSAT (Forces spéciales antiterroristes) les 10, 11 et 12 juillet 2020, quatre leaders arrêtés et retenus à la gendarmerie du Camp I avant d’être libérés.
La répression n’affaiblit pas la détermination des aspirants au changement. Le succès des manifestations au Mali et à travers le monde inspire la diffusion d’un communiqué exhortant « le Peuple à maintenir et à renforcer cette mobilisation jusqu’à l’atteinte de l’objectif qui est et demeure la démission de monsieur Ibrahim Boubacar Keïta et de son régime. »
Le mouvement ne cesse de se renforcer, les adhésions de se multiplier. Les rassemblements pacifiques se succèdent. Le régime réagit avec la dernière brutalité. Sous le titre : « Onze morts et plus de cent blessés dans les manifestations contre le régime », le quotidien parisien le Monde rapporte : « Dimanche, les Nations unies et l’Union européenne, ont condamné « l’usage de la force létale dans le cadre du maintien d’ordre. »
Face à un mouvement resté déterminé, le pouvoir décide de jouer le tout pour le tout, d’en finir une fois pour toute. Les FORSAT reçoivent l’ordre d’empêcher, par tous les moyens, y compris celui de la force brutale, l’organisation de manifestations. Mais, face aux immenses risques que représente l’exécution d’un tel ordre, l’armée sort des casernes pour ; dit-elle, « parachever le travail du Peuple » : le Président de la république est déposé le 18 août 2020.
Les promesses et les engagements du CNSP
Une junte s’installe à Kati, se constitue en CNSP, se déclare allié du M5-RFP et prête pour garantir une transition civile. Mais elle est vite déviée de ses déclarations premières et louvoie. Son intention est d’accaparer le pouvoir. La CEDEAO intervient pour l’en empêcher. Aussi décide-t-elle d’une Transition associant civils et militaires. Mais, vite, les négociations engagées avec le M5-RFP échouent. Le mouvement connaît des lâchages, certains de ses membres ayant préféré la satisfaction d’intérêts personnels au détriment des intérêts du peuple. Le CNSP décide de corrompre et confisquer la victoire du Peuple.
La suite des événements
A partir de ce moment, l’épopée écrite en lettres d’or par un peuple debout et fermement résolu à refonder l’Etat, vire à la tragi-comédie. Pour les nouveaux maîtres du jour, tous aussi inexpérimentés les uns que les autres, sans aucune culture politique, la gestion des affaires publiques est assimilable à une partie de poker ; d’où leur proposition faite au M5-RFP : « jouons cartes sur tables ». Ils n’avaient en tête qu’une répartition des postes ministériels qui leur permettrait de mener une vie de farniente alors que la Nation est en péril, que la situation exige leur présence, non dans les salons feutrés de Bamako, mais sur le terrain, en rase campagne, parmi la troupe, afin de protéger les Maliens et leurs biens.
Ne bénéficiant que d’un faible appui populaire, les cinq du CNSP se lancent dans une fuite en avant, imposant au Peuple : une Charte de la transition, un Président de la Transition surveillé de près par un Vice-président de la transition, véritable maître du pays, un Conseil National de la transition, aussi illégal qu’illégitime, un Premier ministre de la Transition nommé à ce poste pour couvrir les intérêts de la Junte, un gouvernement de la Transition dont les membres sont autant de copains , parents et amis.
La situation, un semestre après
Six mois après le départ d’Ibrahim Boubacar Keïta, tous les maux que déplorait le Peuple sont restés plus que manifestes. C’est encore le journal le Monde qui en donne une idée en ces termes : « Aux violences du Nord où les djihadistes, chaque mois, ôtent la vie à des dizaines de civils et de soldats maliens, à celles du centre où la raréfaction des ressources alimente des conflits intercommunautaires, s’est ajoutée l’exaspération face à une corruption persistante et à l’inertie d’une économie freinée par l’état d’urgence sanitaire lié au Covid-19. »
Le 19 février, le Premier ministre de Transition, quatre mois après sa nomination, présente un PAG, Programme d’Action Gouvernemental. L’amateurisme y est patent. En 12 mois, le gouvernement s’assigne des missions que l’on mettrait plus d’un quinquennat à exécuter ; un PAG non réaliste, non évalué, non chiffré avec plus d’un euphémisme pour dissimuler la réalité aux Maliens. Mais l’espoir demeure comme demeure inébranlable la détermination du M5-RFP qui, lors de sa sortie du dimanche 21 février en a appelé à l’élargissement du mouvement afin de créer, par-delà les clivages politiques, un vaste rassemblement de patriotes pour rectifier la transition et s’opposer à la partition programmée de la Patrie. Les premiers signes allant dans ce sens sont encourageants. Aussi vais-je terminer en paraphrasant ce slogan qui a maintenus galvanisés les patriotes africains dans leur combat pour la dignité, l’honneur et la souveraineté de leurs peuples dans les décennies 1960-1970 : Poursuivons le combat, la victoire est certaine !