SANS DÉTOUR

IBK en Allemagne sur la DW : « Nous ne sommes pas des soudards ou des barbares »

En visite en Allemagne, le Président de la République Ibrahim Boubacar Keita a accordé une interview à la DW. IBK a longuement expliqué la situation actuelle du pays et a répondu par rapport aux supposées violations des Droits de l’Homme. «Nous ne sommes pas des soudards ou des barbares. Nous connaissons les règles de droit et nous avons souscrit à ce que nos hommes se conduisent dans le respect total de droits de l’homme dans un contexte extrêmement difficile ». L’interview en intégralité.

DW : L’Allemagne a été le premier pays à reconnaître l’indépendance du Mali en 1960.Vous êtes venu pour renforcer les liens entre Bamako et Berlin. Qu’attendez-vous de votre séjour ?

IBK : Je voudrais tout d’abord  remercier Madame Merkel pour son amitié et de nous avoir invités à Berlin pour connaître avec elle la situation actuelle de la coopération et examiner ensemble dans quels domaines on peut faire évoluer cette coopération encore davantage. En ce qui nous concerne, vous avez rappelé les fondamentaux : l’Allemagne a été le premier pays à reconnaître le Mali indépendant – ce n’est pas rien – et aujourd’hui notre coopération est allée crescendo, conformément aux attentes du Mali et aux défis aussi auxquels le Mali a été confronté à chaque étape de son développement depuis que nous avons connu un cadre de coopération en 1961.

Quelles idées avez-vous à proposer à Angela Merkel ?

D’abord, faire avec elle le point sur cette coopération qui dans tous les domaines concerne le confort de notre démocratie, les questions de gouvernance démocratique, les questions d’appui institutionnel, depuis que l’Allemagne nous a aidés à monter notre centre de formation des collectivités territoriales, ce qui est très important pour nous. Nous avons compris que pour que nos projets soient efficaces et impactent positivement le développement de la population, il faut qu’elle soit concernée, il faut que les centres de décisions se déplacent et que nous fassions la décentralisation – non pas de façade mais réelle et bien appropriée – qui prenne en charge les populations dans leur vécu et dans leurs professions. L’Allemagne nous a aidés à ce niveau-là dans la formation. Et puis le Mali est un pays confronté à beaucoup de défis sécuritaires. Nous sommes en plein milieu du Sahel donc nous avons apprécié l’apport allemand aussi à ce niveau-là.

Il y justement a une partie du public allemand qui s’impatiente parce que l’application de l’accord de paix tarde. Qu’est ce qui bloque dans ce processus ?

L’application de l’accord de paix ne tarde pas. C’est peut-être une impression que l’on peut avoir. Mais je pense qu’il est clair et il est constatable par tout le monde que le gouvernement du Mali est de bonne foi. Il pose des actes au quotidien pour faire avancer le processus de paix. D’abord sur le plan institutionnel : nous avons de nouvelles régions qui ont été créées et qui sont opérationnelles depuis presqu’un an et demi. Nous avons mis en place des autorités intérimaires pour la gestion de ces régions. Nous avons également pris des initiatives pour hâter le pas de ce processus qui doit conduire à une paix réelle, définitive et soutenable au Mali.

Comme dans tout pays qui fait face à une situation de post-crise et où il y a eu des groupes armés face à un gouvernement central, il y a une nécessité de désarmer pour la paix, sa durabilité et sa stabilité. Mais quand on désarme, il faut aussi proposer des choses à ceux qu’on a désarmés, à savoir le désarmement, la démobilisation et la réinsertion.

Le gouvernement du Mali a estimé que ce qui était convenu avec nos partenaires internationaux était un peu long et nous avons décidé d’un concept de DDR accéléré. Grâce à ce nouveau système, aujourd’hui, près de 1500 hommes ont été démobilisés, désarmés et sont dans le processus de réinsertion. Nous comptons continuer jusqu’à 5000 et 20.000 en fin de projet.

Donc le processus ne dort pas du tout, il avance dans les conditions qui sont les nôtres. Ce n’est pas facile. Les ressources ne sont pas toujours au rendez-vous. Vous savez, il y a eu des réunions autour de la crise malienne pour le développement du Nord consécutif à l’accord. Il y a eu la réunion à Paris à l’OCDE, il y a eu la réunion de Bruxelles en 2018… Toutes ces réunions ont abouti à des annonces financières mais entre ces annonces financières et ce qui est sur le compte du Mali, il y a toujours une marge. En dépit de cela et en dépit de ressources limitées internes l’économie du Mali pousse dans chacun de ces domaines.

Depuis un certain temps on assiste à une résurgence des conflits intercommunautaires entre Peulhs et Dogons. Qu’est ce qui est mis en place pour aider à réconcilier ces deux communautés?

Permettez d’abord que je rectifie : quand vous dites résurgence, cela veut dire que cela avait déjà existé et que cela ressurgit. Il n’y a pas de résurgence, il y a un phénomène nouveau. Quelqu’un a employé le terme « une sorte de métastase » de ce qu’on a connu dans le nord du Mali et qui se répercute dans le centre. Et le lien d’ailleurs est très clair entre Amadou Kouffa qui a voulu se livrer à une nouvelle aventure au nom de la foi et Iyad Ag Ghali : ce lien c’est Al-Qaida.

Donc il n’y a pas de résurgence. Il y a la continuation d’un phénomène qui a été relativement maîtrisé dans le Nord grâce aux opérations combinées entre nos forces et les forces alliées, que ce soient les forces de la Minusma, la force Serval et maintenant Barkhane. Il y a néanmoins eu des reflux vers le sud et on essaie d’instrumentaliser cela de manière subtile et intelligente en poussant des communautés qui ont toujours vécues en parfaite symbiose et en grande convivialité à être opposées. Cela se fait en tuant et massacrant dans telle communauté qui du coup prendre sa revanche. C’est un phénomène nouveau qu’on n’a pas connu auparavant.

Donc, il n y a pas résurgence, mais il s’agit simplement d’un phénomène de nouveaux masques de terrorisme. Mais contre lequel également le gouvernement du Mali n’est pas inactif. Nous avons mis en place un programme de sécurisation intégré du centre. En quoi cela consiste ? Nous avons vu qu’en raison des menaces qui pesaient sur les villages, sur les communautés ou des leaders religieux avec des imams égorgés pendant la prière, les populations s’exilent, se déplacent et créent des sortes de « No man’s land ». Cela nous a beaucoup préoccupés.

Nous avons compris qu’il fallait reconquérir ces territoires-là. Pas seulement manu militari mais également au plan politique et sur le plan de l’échange et du dialogue et ainsi faire en sorte que l’administration revienne, en ayant la capacité et pouvoir d’action au quotidien pour les besoins sociaux, en termes d’école, en termes de santé et en termes de voies d’accès. Ce processus-là commence à avoir des résultats heureux puisque si vous ramenez les gens, il faut qu’ils soient rassurés qu’il y a une autorité capable de venir en aide en cas de danger. Cela a également été un effort assez lourd qui pèse mais que nous assumons.

Il y a eu le sommet du G5 cette semaine. On a notamment vu que la force militaire du G5 manquait toujours de financement. Comment améliorer cette situation ?

J’emploie souvent l’image d’une digue de protection. Et on l’a vu encore récemment au Brésil quand une digue de protection déferle, les villages sont engloutis. Je fais cette comparaison par rapport à ce qui se passe dans le Sahel. Le Sahel est une digue de protection. Non seulement pour la zone sahélienne mais pour le monde entier. Beaucoup de ceux qui sont train d’être battus par la coalition mondiale à l’est refluent vers nous. Ils peuvent le faire d’autant plus facilement que le grand espace libyen est aujourd’hui sans pilotage sûr. On ne sait pas ce qui se passe là-bas. Avec toute l’amitié que j’ai pour les frères libyens, c’est une association d’anarchie, qui nous gêne beaucoup et nous en avons les conséquences. (…) Si l’on consent à dépenser des milliards de dollars pour défendre l’est du Mali qui avait été subverti assez rapidement par l’organisation terroriste Daesh – il ne faudrait pas que ce phénomène-là se retrouve de l’autre côté et face à l’Europe.

Parce que si la digue du Sahel vient à rompre, c’est vers vous que ça va venir. Donc nous avons une mission universelle. Je ne comprends pas dans ces conditions-là que le bon vouloir initial de 423 millions d’euros n’a jamais été concrétisé (…) A priori, ce n’est pas une somme astronomique. Mais pour autant nous n’y sommes pas encore. Et c’est dommage. Je pense que la réunion du G5 Sahel d’où je viens d’ailleurs a encore une fois lancé un appel à nos amis contributeurs qui avaient fait l’annonce que cela sera concrétisé pour que nous ayons une force conjointe du G5 Sahel qui a déjà montré qu’elle est pertinente et qu’elle peut être efficace dans l’endiguement de cette menace. Mais elle a besoin pour cela d’un système de financement pérenne.

Ne faudrait-il pas que les pays membres du G5 envoient plus de soldats pour que ce soit justement une vraie force qui peut mener des opérations conjointes ?

Les cinq pays ont envoyé les bataillons et nous sommes à environ 80% des effectifs initiaux. Il y a un effort réel aussi bien en ressources humaines qu’en ressources financières de nos Etats dont les ressources internes ne sont pas exponentielles. Un pays comme le Mali engage 22 % de ses recettes budgétaires dans les questions de sécurité et de défense, c’est beaucoup. Cette somme aurait pu être utilisée dans des domaines sociaux, d’éducation, de santé, au niveau des infrastructures, des routes de désenclavement, des routes qui permettent également l’accès sur les marchés pour le revenu paysan. Mais nous sommes obligés d’accroître d’année en année la part de notre devise nationale qui va dans la défense. C’est la triste réalité. Mais le fait que ces cinq pays aient eu l’idée de mutualiser leurs maigres moyens est pour moi déjà un acte de foi.

Pourtant les attentats et les attaques continuent aussi bien au Mali qu’au Burkina. Le Tchad est en train de repousser les rebelles venant du nord avec l’aide de la France. Pourquoi le G5 n’arrive-t-il pas à contenir ces terroristes ?

Des pays plus nantis que nous avec des moyens beaucoup plus éloquents n’ont pas réussi jusqu’à présent à atteindre le zéro attentat. Nous avons à faire à une situation de guerre asymétrique où l’ennemi est même quelquefois votre voisin proche et se glisse dans les populations. Ce qui rend la tâche extrêmement difficile. Nos forces sont soumises à des pressions psychologiques et morales terribles. On leur dit d’être efficaces mais en même temps que les engagements soient civilisés et que nul ne s’en prenne à la population qui n’est pas responsable de tel ou tel acte.

Il faut réussi à séparer le bon grain de l’ivraie. Ce n’est pas évident. Quelqu’un qui va sur un marché, une foire hebdomadaire pendant que nos éléments patrouillent pour protéger les gens et subitement on voit un homme qui découvre une ceinture de bombes et se fait exploser. D’autres ont des kalachnikovs dans des supposés paniers des fruits et légumes et tuent les gens. Si les forces de sécurité réagissent, on retrouve à la Une de la presse que l’on massacre les populations civiles. C’est très compliqué, c’est très difficile. (…) Nous ne sommes pas des soudards ou des barbares. Nous connaissons les règles de droit et nous avons souscrit à ce que nos hommes se conduisent dans le respect total de droits de l’homme dans un contexte extrêmement difficile.

Combien de temps faudra-t-il encore pour restaurer l’autorité de l’Etat sur tout le territoire malien ?

Si seulement on pouvait le savoir. Je ne suis pas la Pythie de Delphes. Sur des critères objectifs je pense que la seule solution et qui est en route aujourd’hui est de conforter l’accord pour la paix et la réconciliation sur lequel nous travaillons. Il faut appliquer cet accord de manière loyale et totale et cela concerne toutes les parties. Le gouvernement a fait sa part et avance, les parties signataires de l’accord se sont engagées à y aller. Mais je souhaiterais aujourd’hui que chacun d’entre nous soit de la plus grande loyauté. Nous sommes aussi en train de reconstituer une armée nationale avec les éléments autrefois armés. Il est donc curieux de voir que des éléments armés puissent venir s’introduire dans le pays sur des centaines de kilomètres pour commettre un massacre dans un camp. Il faut que les uns et les autres se soucient aujourd’hui de la véritable paix.

Vous avez parlé de réinsertion d’anciens rebelles ou d’anciens terroristes dans l’armée malienne. On a déjà vécu cette situation en 2006 et on a vu qu’une bonne partie de ceux qui avaient été réintégrés dans l’armée ont repris le camp des terroristes. Vous n’avez pas peur que la même chose arrivera ?

Nous devons dire que ce risque subsiste. Il faut faire le pari de la paix et de la raison. C’est tout. Nous pensons que les différentes rébellions qui ont secoué le nord du pays se sont toutes soldées par des pactes de paix ou d’apaisement qui ont achevé de convaincre chacun que c’est la voie de l’apaisement pour que le vivre ensemble redevienne possible. Les jeunes gens du Nord, les enfants du Nord, les vieilles personnes du Nord, tous ont besoin d’un agrément apaisé, de bénéficier aujourd’hui des dividendes de la paix que nous avons signée et que nous avons négocié à Alger. C’était un engagement libre. Il faut donc qu’on assume nos responsabilités. C’est presque criminel et diabolique de faire subit aux populations civiles paisibles des remises en cause et un redémarrage de tel ou tel système de rébellion. Tout le monde est fatigué de cela.

Le débat est vif actuellement autour du Franc CFA. Faut-il selon vous se débarrasser du Franc CFA, qui constitue pour certains une relique du passé colonial ?

Il y a la manière sentimentale de voir cela et de refaire encore le procès du colonialisme. Mais nous sommes indépendants depuis plus de cinq décennies. Il est temps que nous soyons majeurs et nous les sommes d’ailleurs. A nous de savoir ce qui est dans nos intérêts et ce qui ne l’est pas. Moi je note que cet arrimage au Franc CFA aujourd’hui me donne des possibilités sur le plan international et me met à l’abri de certaines tentations, comme de la planche à billets, mais aussi à l’abri des inflations galopantes où il faut venir avec un sac pour acheter une miche de pain. Nous sommes à l’abri de cela. Cela dit je suis un partisan de la souveraineté monétaire qui est l’un des facteurs de la souveraineté de tout court. Nous sommes à la Cédéao dans un processus de réflexion et même de travail que nous avons confié à certains de nos collègues chefs d’Etats de réfléchir à une monnaie commune. Il n’y a donc pas de problème. Sans hargne, sans couteau entre les dents, en parfaite amitié avec nos amis français. (…) Nous avons des échanges assez fluides et aussi une stabilité dont beaucoup nous envient. Je pense qu’entre la stabilité et l’instabilité, il faut la stabilité, c’est clair.

Source : DW

NB : Les titres et le chapeau sont de la Rédaction

Source : L’Observatoire

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