Aïcha Diarra, directrice des Editions GAFE
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Aïcha Diarra, directrice des Editions GAFE : « Les réseaux sociaux ont donné la parole aux gens qui n’en ont pas droit »

 Directrice des Editions Gafé, Aïcha Diarra est également écrivaine de nationalité malienne. Pour celle qui a honoré son pays en remportant le prix David Diop dans le cadre de la 29ème édition de la Journée Internationale de l’Écrivain Africain. C’était le 07 novembre 2021, à Dakar, avec son recueil de poèmes intitulés « De la Poésie à la Prophétie », publié aux éditions la Sahélienne en 2015, les réseaux sociaux ont contribué à donner de parole aux gens qui, en effet, n’en ont pas le doit, vu leurs déclarations ou publications. Interview.

L’Observatoire : Quel regard portez-vous sur le phénomène des réseaux sociaux dans notre société ?

Aïcha Diarra : Je ne peux pas lier ce problème uniquement aux réseaux sociaux, je dirais simplement que de nos jours, chacun exhibe l’éducation qu’il a reçue. Parce qu’avant, on remarque qu’un enfant appartient à la société, ou bien dans une famille il appartient à tous. Donc, chacun apportait sa pierre à l’édifice en inculquant aux enfants les valeurs citoyennes et humaines. Maintenant que l’enfant appartient au seul parent, n’ayant pas le temps nécessaire de s’occuper de lui, il est laissé à lui-même et ne reçoit aucune valeur éducative individuellement, mais également par rapport au pays. Donc, ce manque de transmission de nos valeurs sociétales fait qu’aujourd’hui nous sommes dans une société assez déplorable en termes de valeur citoyenne, voire sociétale.

Ce que nous exposons en réalité sur les réseaux sociaux, c’est ce que nous exposons dans nos comportements. Mais, il ne faut pas avoir une vision trop négative de la société, il y a, en tout cas, de fameux conservateurs. Être conservateur ne veut pas dire qu’on veut tout le temps être dans le passé. Mais, être conservateur c’est surtout faire sortir ses valeurs du passé et s’en servir pour aller de l’avant. Donc, il y a de ces fameux-là qui veuillent à l’éducation des enfants. Parce qu’un enfant d’aujourd’hui est un adulte ou un parent de demain.

Mon regard est assez négatif quand on voit qu’aujourd’hui les jeunes ont des références vraiment pas catholiques. Des références qui ne les élèvent pas, et ces références sont dues au fait que les enfants voient tout le temps à la télé des exemples.

Être rappeur, comédien ou humoriste n’est pas une mauvaise chose, au contraire, c’est un art. il faut seulement le mettre en valeur. Mais nos enfants ne voient que ça. Est-ce que ça peut servir un enfant qui a besoin, d’abord, d’aller à l’école, laisser du thé, apprendre ses leçons etc. je pense qu’il y a un temps pour tout. Un temps pour l’amusement et un temps aussi pour le travail.

Cela fait une année, le procureur Touré de la Commune IV a procédé à une série d’arrestations des jeunes qui ont une certaine célébrité sur les réseaux sociaux. Quelle analyse faites-vous de cette situation?

Question pertinente ! En réalité, moi, je ne me reverse pas à ces personnalités que nous avons sur les réseaux sociaux, parce qu’elles ne sont vraiment pas mon centre d’intérêt. Par contre, puisqu’on fréquente les réseaux sociaux, forcément on voit que telle personne est arrêtée, telle personne a fait ci ou telle personne a fait ça. Mais, je ne m’en occupe pas. Quand même, je vois de plus en plus que ça influence la majorité des jeunes de Bamako, et donc la question m’interpelle forcément. Avant même d’arriver aux arrestations et à la prison, il faut que nous fassions une réorganisation dans la société. Comme je l’ai dit, on ne fait qu’exposer l’éducation qui nous a été transmise en famille. C’est une bonne chose d’aller à la base. Pourquoi pas une concertation nationale pour savoir ce qui ne va pas dans les familles ? Qu’est-ce qu’il y a lieu de faire ? Pourquoi les musiciens font ça ?

Par ailleurs, il y en a qui sont sérieux dans leur art, qui font revivre la culture qui les a nourris, qui les a vus naître et dans laquelle ils évoluent. Il y a d’autres aussi qui vont à l’encontre de la culture. Ils font en sorte que les uns et les autres les suivent bizarrement. Pourquoi ? La question se pose. Soit parce qu’ils s’identifient à eux, soit parce qu’ils sont dans tous les médias et les médias aussi les prennent comme des trophées. Naturellement, les jeunes sont attirés par eux. Je pense que ça doit commencer par-là, que les médias s’intéressent à ces artistes qui font la promotion de nos valeurs, qui font de leurs préoccupations l’éducation et la culture du Mali, qui mènent l’Afrique. Aux médias d’aller vers des artistes qui ne sont pas corrects.

L’utilisation outre mesure des réseaux sociaux pour le rap, l’humour ou la comédie a-t-elle certains impacts sur la déstabilisation de nos institutions ?

Je ne veux pas accuser les réseaux sociaux de tous les maux. Mais en réalité, les réseaux sociaux ne font qu’exposer ce qui est dans une société. Les réseaux sociaux aussi ont donné sans mentir la parole à beaucoup qui n’ont pas droit à la parole, même si tout le monde a droit à la parole. Pour moi, les réseaux sociaux sont un lieu où nous exposons tout simplement nos éducations.

Quel remède, selon vous, au phénomène ?

Non, je ne pense pas qu’il faut les remplacer. La comédie comme le rap sont des arts, ils ont leur place dans la société. Je pense que c’est même une bonne chose de les encourager, vu qu’il y a des gens qui vivent de ça. Mais la question est juste de savoir comment faire pour que les jeunes puissent s’intéresser aux livres de même qu’ils s’intéressent au rap et à la comédie. Je pense aussi que quand une nation accorde de l’importance à une chose, cette chose prend de l’ampleur elle-même.

Dans un pays comme le nôtre où l’oralité est un art de vivre, comment promouvoir le livre, la lecture et l’écriture ?

Il y a des questions politiques. Du coup, je donnerais des réponses politiques et sociales. Parce qu’un livre n’est pas l’affaire des écrivains ni des éditeurs, ce n’est pas que l’affaire des politiques, mais c’est aussi l’affaire des bénéficiaires, c’est-à-dire la révélation des élèves et des étudiants, comment faire en sorte que le goût de la lecture soit cultivé pour que les gens s’intéressent aux livres. Je pense qu’il faut avoir des armes politiques. Tout ce que nous allons faire dans la société ne servira pas grand-chose tant que les politiques ne se saisissent pas du dossier. Par exemple, il y a un fond d’aide du livre au Sénégal qui a eu le plaisir de prendre le nom Léopold Sédar Senghor, mais jusqu’au moment où je vous parle ce fond est inexistant au Mali.

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Ma réponse est politique parce que le monde du livre ne peut pas s’en sortir seul, il faut très certainement l’implication des écrivains qui doivent pouvoir identifier les besoins des populations, surtout que nous sommes une société dont l’histoire est caractérisée par l’oralité. Sinon, il y avait aussi l’écriture mais elle n’avait malheureusement pas la même ampleur que l’oralité.

A mon avis donc, il faut matérialiser cette oralité et faire en sorte qu’elle puisse aller à la rencontre des populations et l’exploiter en produisant des livres audio. C’est pourquoi ma Maison d’édition est un important projet de production des livres audios. Nous voulons faire en sorte que les livres qui sont publiés par notre Maison d’édition aient une version audio, parce qu’il faut aussi tenir compte du lectorat. Le lectorat est assez vaste, le moyen est de cibler un lectorat uniquement pour produire des livres en français et les publier.

Les gens pensent que tout le lectorat n’est qu’en français, ou ne fait que lire. Alors qu’il y a de lectorat soumis en langue nationale, il y a aussi de lectorat qui aime écouter les textes. Donc, quand on produit des livres uniquement pour les alphabétiser, ça ne fait que réduire le lectorat. Or, qu’on peut produire des textes en audio en langue nationale pour que toutes les tranches de la population puissent s’en approprier.

Avant, on n’avait pas besoin d’aller à l’école pour apprendre les contes. Ce système de transmission de l’éducation a vraiment failli. Je crois qu’il faut qu’on aille vers ça et qu’on essaye vraiment de faire évoluer la situation, en faisant en sorte comme toutes les autres disciplines pour que la littérature puisse s’adapter aux nouvelles technologies et aller vers les numériques.

Revenant sur votre maison d’édition, quel est le nombre de livres que vous produisez par an ?

Ma maison d’édition a été créée en 2019. De 2019 à maintenant, nous avons une vingtaine de livres. Au fait, je ne m’occupe pas forcément du nombre de livres que nous publions. Peut-être qu’il y a des éditeurs au Mali qui sont capables de publier mille (1000) livres par an. Moi, je mesure surtout la qualité. Mon objectif n’est pas de faire du volume.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontée ?

Des difficultés ? Pas forcément. On s’en sort avec les moyens de bord. Sauf qu’on travaille correctement sur les livres sur une longue durée.

Votre mot de la fin

C’est un appel à l’endroit des autorités pour leur demander de nous aider de telle sorte que nous (éditeurs et écrivains) ayons un fonds d’aide du livre afin que la population et la jeunesse s’y intéressent. On dit très souvent que les livres coûtent chers. Je sais que le prix d’un IPhone peut faire un conteneur de livres. Donc, dire que les livres coûtent chers, c’est un argument qui ne pèse pas, parce que nous achetons des choses qui sont plus chères que le livre. Il faut tout simplement qu’on recentre nos intérêts sur les livres.

Sidy Coulibaly

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