Achat de l’avion présidentiel dont le prix est parti d’un peu plus de 7 milliards de Fcfa à 20 milliards de nos francs. Marché d’équipements militaires avec une surfacturation de près de 30 milliards de Fcfa au point de fâcher les partenaires techniques et financiers dont, au premier plan la Banque mondiale et le Fmi qui avaient exigé un audit et des sanctions à l’encontre de ceux incriminés.
Scandales ! L’expression n’est pas de trop car jamais au Mali des affaires de l’Etat n’ont fait couler autant d’encre et de salive. Mais au moment où tous les Maliens attendaient de la justice l’éclatement de la vérité, il s’est trouvé un juge trop inspiré pour décider du classement sans suite desdits dossiers, prétextant le sceau du secret-défense. Contre toute attente, tellement ces deux dossiers alimentaient des débats passionnants et les Maliens étaient avides de faire la lumière sur ces deux scandales financiers. Mais pourquoi on décide subitement de la réouverture desdits dossiers. Mais est-ce possible sans l’aval du président de la République ou du Premier ministre ?
L’on se rappelle encore la passe d’armes entre l’ex-Premier ministre Moussa Mara avec les députés de l’Assemblée nationale qui tenaient à avoir des explications suffisantes sur le prix d’achat de l’avion parce qu’il avait parlé de 18,5 milliards de Fcfa, alors que le Président IBK, en personne, annonçait 20 milliards dans le cadre d’une interview accordée à Jeune-Afrique. Depuis lors d’ailleurs, cette affaire suit Moussa Mara comme son ombre. La preuve, 6 ans après les faits, il tente de s’expliquer, suite à une question à lui posée lors d’une conférence qu’il animait tout récemment, plus précisément le 1er janvier 2020, à Tombouctou.
Pourtant, on doit à Moussa Mara le mérite d’avoir osé franchir le pas pour demander l’audit de l’achat de l’aéronef présidentiel et du marché d’équipements militaires de près de 70 milliards de Fcfa attribué en gré à gré à Guo Star via Sidi Kaganassy ou Amadou Kouma parce qu’on ne sait plus encore car il y a deux versions du contrat et deux signataires différents.
A l’audit du Bureau du Vérificateur général, s’est ajouté celui de la section des comptes de la Cour suprême. C’est par courrier confidentiel, lettre N°358/PM-CAB du 10 juin 2014 que Moussa Mara a saisi le Bureau du Vérificateur général.
En un mot, au sujet de l’acquisition de l’avion présidentiel et de l’achat des équipements militaires, c’était le ramdam, au point que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international étaient amenés à réagir, subordonnant d’ailleurs la poursuite de leur coopération avec le Mali à un audit de ces deux marchés publics. Non seulement les Partenaires techniques et financiers du Mali exigeaient que lumière fût, mais en plus, demandaient une sanction exemplaire pour les éventuels coupables identifiés.
C’est sur cette base que le Bureau du vérificateur avait été saisi, en même temps que la section des comptes de la Cour suprême. L’actuel directeur de Cabinet du Premier ministre était le Vérificateur général. Et à la différence de son prédécesseur qui fournissait des rapports difficilement exploitables par la justice, Amadou Ousmane, faisant parler son passé de magistrat, surtout de procureur, avait produit un excellent rapport, prêt à être exploité par la Justice. Tout comme la section des comptes de la Comptes de la Cour suprême qui, de l’avis d’un ancien haut cadre des Finances du Mali, n’a jamais produit un travail aussi bien fait. Et les deux rapports incriminaient les mêmes personnes. Il n’y avait donc plus à tergiverser. Mais attention, avait-on demandé ce travail d’audit seulement pour calmer l’ardeur des Ptf et de tourner ensuite la page ? En tout cas, la suite réservée à ces deux dossiers prouve à suffisance que l’on n’avait pas l’intention de darder un rayon de projecteur sur ce qui s’est réellement passé afin de faire rendre gorge les coupables.
Effectivement, le Pôle économique et financier de Bamako, sous la coupe du Procureur Bandiougou Diawara, avait classé ce dossier sans suite, après avoir argumenté, avec une disposition de l’Uemoa, que ces dossiers relevaient du “secret-défense”. Pourtant, lorsque le ministre de la Défense à l’époque, Soumeylou Boubèye Maïga, avoue au Vérificateur général que l’avion présidentiel déclaré acheté à 20 milliards de Fcfa n’a coûté en réalité que 7,3 milliards de francs Cfa, il n’est plus question de secret-défense.
Pourquoi donc ce réveil tardif de Dame justice qui veut enfin – et subitement- connaître de ces dossiers en quelque sorte déclassifiés ? Le règlement de comptes ! Affirment certains, ayant appris que c’est la tête de l’ancien Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, qui est mise à prix puisqu’il était ministre de la Défense et très impliqué dans la gestion des deux dossiers au moment des faits. Pour d’autres, c’est à la demande générale des populations que le ministre de la Justice, Malick Coulibaly, a répondu en décidant la réouverture de ces dossiers par le Pôle économique et financier du tribunal de Grande instance de Bamako.
De toute façon, c’est l’avocat et ex-ministre, Mohamed Ali Bathily, qui doit jubiler. Lui qui avait clamé haut et fort, dans le cadre d’une conférence de presse, que la plainte du Birpem-Fasoko, relative à ces deux dossiers, était bien recevable et le Tribunal devait rouvrir lesdits dossiers.
Mais la réouverture de tels dossiers ne peut se faire sans l’aval du gouvernement et c’est tant mieux s’il nous revient que le ministre de la Justice aurait travaillé avec le Cabinet du Premier ministre. Comme par coïncidence, le directeur de Cabinet du Premier ministre se trouve être celui-là qui était le Vérificateur général ayant procédé à l’audit de ces deux affaires : Ousmane Amadou Touré.
La dénonciation faite par le Vérificateur général à la justice concernait des fraudes constatées sur l’achat de l’avion et l’achat d’équipement militaire à hauteur de 12 422 063 092 Fcfa, non sans relever des faits relevant de la mauvaise gestion, à hauteur de 25 477 958 848 Fcfa.
Et c’est donc parti pour la procédure judiciaire ! Selon le communiqué du Parquet, les investigations complémentaires menées par la Brigade économique et financière du Pôle économique et financier de Bamako ont permis de conforter les graves manquements à l’orthodoxie financière et comptable, relevés par le Bureau du Vérificateur Général, avec des faits de détournements de deniers publics sur fond d’opérations frauduleuses au Ministère de la Défense et des anciens combattants pour un montant de 9 350 120 750 Fcfa et de surfacturation par faux et usage de faux pour un montant de 29 311 069 068 Fcfa.
C’est ainsi que les faits de faux en écriture, usage de faux et complicité de ces faits, de complicité d’atteinte aux biens publics par usage de faux, de malversations et de complicité de favoritisme ont été relevés à l’encontre de Sidi Mohamed Kagnassy, Amadou Kouma, Nouhoum Kouma, Soumaïla Diaby, Mahamadou Camara et Marc Gaffajoli, Soumeylou Boubéye Maïga, Bouaré Fily Sissoko et Moustapha Ben Barka.
D’ailleurs, l’ancien ministre Mahamadou Camara (qui était directeur de Cabinet du président de la République au moment des faits) et Nouhoum Kouma (de la société Guo Star impliquée dans l’affaire des équipements militaires) ont été placés sous mandat de dépôt. Soumeylou Boubéye Maïga, Mme Bouaré Fily Sissoko et Moustapha Ben Barka étant ministres au moment des faits, le Parquet se conforme à la procédure, notamment la transmission des éléments d’enquêtes au Procureur Général de la Cour Suprême pour saisine de l’Assemblée nationale. Ah, s’ils pouvaient prier Dieu de retarder le processus en cours afin de retarder la mise en place d’une nouvelle Assemblée nationale !
Quid de Marc Gaffajoli ?
Marc Gaffajoli fut le directeur d’Afrijet, la société de location d’avions au Gabon appartenant à Michel Tomi. Il a été entendu en juin 2015 à Nanterre, en région parisienne, par les policiers français cherchent à savoir dans quelle mesure il a participé à l’achat de l’avion de commandement du Mali.
La révélation était faite par le magazine Jeune Afrique (avec AFP), dans sa parution du mardi 23 juin 2015, sous le titre : “Un proche de l’homme d’affaires français Michel Tomi a été auditionné, lundi, dans le cadre de l’enquête pour corruption.
Même si aucune charge n’a été retenue contre Marc Gaffajoli, ni aucune mise en examen prononcée pour le moment, l’hebdomadaire a révélé que les policiers cherchent à savoir dans quelle mesure Marc Gaffajoli (directeur d’Afrijet, la société de location d’avions au Gabon appartenant à Michel Tomi) a participé à l’achat du Boeing présidentiel malien, estimé à 20 milliards de Fcfa (environ 30,5 millions d’euros).
En ce qui concerne l’aéronef présidentiel, la section des comptes de la Cour suprême avait conclu que “le contrat d’achat de l’avion, tel qu’il est présenté ne peut servir de pièces justificatives probantes dans l’exécution des dépenses publiques”. C’était après avoir constaté les faits suivants : “le contrat signé est un contrat de gré à gré sans consultation restreinte qui devait être organisée avec les services techniques spécialisés (Ministère en charge des Transports et l’Agence nationale de l’Aviation civile) ; le contrat n’est pas revêtu du visa du Contrôleur financier ; le contrat n’est pas libellé en français qui est la langue officielle du Mali, mais en anglais ; le numéro du compte bancaire du fournisseur n’y figure pas.”
La section des comptes avait aussi noté la gymnastique financière ayant prévalu pour le règlement du prix d’acquisition de l’aéronef, notamment avec les trois opérations suivantes : paiements avant ordonnancement ; emprunt ; régularisations budgétaires.
De façon plus explicite, il s’agit, entre autres, des faits suivants : le paiement par le ministre de l’Economie et des finances de 18,586 milliards de Fcfa avant ordonnancement alors que les crédits budgétaires disponibles n’étaient que de 5,500 milliards de Fcfa. En plus, le Dfm du Ministère de la Défense a engagé les 5,500 milliards de Fcfa des mandats de délégation sur la base de décisions de mandatement signées par son ministre. L’engagement, la liquidation et l’ordonnancement ont été faits sans les supports réglementaires (contrat aéronef, bon d’achat, procès-verbal de réception, attestation de service fait).
Le rapport de la section des comptes de préciser que le reliquat de l’avance, soit 13,086 milliards de Fcfa, a été payé en l’absence de crédits budgétaires ; l’Agent comptable central du Trésor, qui n’est pas assignataire des dépenses, a procédé au paiement de la société AIC sur la base d’instruction, sans s’assurer de la disponibilité des crédits, de la validité de la créance. Les factures ne sont pas signées et ne comportant pas les références bancaires du fournisseur.
L’Etat garantit une banque pour financer un marché conclu avec un fournisseur
Pour les équipements militaires, les Maliens sont curieux de savoir comment on s’est retrouvé avec deux versions du contrat présentant quelques différences au niveau de certains articles, notamment l’article 28 relatif à force majeure ; datées du même jour (13 novembre 2013) et de même montant (69, 184 milliards de Fcfa) ; mais avec des signataires différents et aucune d’entre elles ne porte le visa du Contrôle financier. L’une des versions est signée par Amadou Kouma en tant que directeur général de Guo Star-sarl et l’autre par Sidi Mohamed Kagnassy, aussi en tant que directeur général de GuoStar-sarl. Allez y comprendre quelque chose ! Surtout que pour une sarl, on ne doit parler de directeur général, mais de gérant, comme l’a spécifié le rapport du Vérificateur général sur la question. Ce contrat, selon son article 35, devait être payé sur les exercices 2015 et 2016, mais la ministre de l’Economie et des finances de l’époque, Mme Boiré Fily Sissoko, par lettre n°0262/MEF-SG du 30 décembre 2013, s’était engagée fermement auprès de la Banque Atlantique à payer les 25% (17,296 milliards de Fcfa) un an auparavant, soit en 2014. Par ailleurs, pour un marché à couvrir d’une valeur de 69, 184 milliards de Fcfa, le montant de la lettre de crédit autonome délivrée à la Banque Atlantique par le ministère des Finances, sans l’aval du Comité national de la dette publique (pour être conforme à la loi), est de 100 milliards de Fcfa. Une différence de près de 30 milliards de Fcfa qui s’avérera être de la surfacturation, comme l’ont dénoncé le Fmi et la Banque mondiale.
C’est connu, selon le Code des marchés publics, l’un des critères déterminants de l’attribution d’un marché public, c’est la preuve par le fournisseur de justifier sa capacité financière à exécuter un marché. Mais que l’Etat donne un marché de gré à gré et en garantisse le financement par la Banque, c’est une hérésie !
Notons que Mahamadou Camara, en tant que directeur de Cabinet du président de la République, a signé, au nom du Président, une lettre qui donne l’exclusivité à Sidy Kagnassy pour le marché des équipements militaires.
Un scandale évité de justesse : amendement n°1 relatif à l’accord de crédit fournisseur entre le Paramount Ltd et le Gouvernement du Mali
Le ministre de la défense d’alors, Soumeylou Boubèye Maïga, avait signé un amendement au profit du groupe Paramount Ltd pour un montant de 57,897 milliards de Fcfa. Ce contrat n’est pas visé par le Contrôle financier, le compte bancaire n’est pas indiqué sur le document. Heureusement que ce contrat n’a pas connu un début d’exécution, puisqu’annulé par Mme Boiré Fily Sissoko, ministre de l’Economie et des finances.
Autre scandale évité de justesse : le projet Naja1 relatif à la fourniture d’hélicoptères Mi-171 E et Mi-35M pour l’Armée de l’air du Mali
Ce projet, d’un coût de 64,284 milliards de Fcfa, était signé entre le ministre de la Défense d’alors, Soumeylou Boubèye Maïga, et la société A.D. Trade Ltd pour la fourniture de 2 hélicoptères Mi-171E et 3 hélicoptères Mi-35M. Le montant du contrat, soit 64,284 milliards de Fcfa, devait être payé comme suit : 30% soit 19,284 milliards de Fcfa à la signature du contrat ; 70% soit 45 milliards de Fcfa, à la signature du contrat par lettre de crédit irrévocable confirmée par une banque de premier ordre. Ce contrat ne fut pas visé par le Contrôle financier, mais le ministre de la Défense s’était engagé à payer en 2014 la somme de 19,284 milliards de Fcfa. Ce contrat aussi n’a pas connu finalement un début d’exécution, la ministre des Finances d’alors, Mme Boiré Fily Sissoko, l’ayant annulé.
Avec ces deux contrats annulés, le Mali s’est vu épargner deux scandales financiers de plus, qui allaient s’ajouter à ceux de l’acquisition de l’aéronef et des équipements militaires et le bilan du préjudice subi par l’Etat aurait été plus lourd car ces deux contrats non exécutés finalement, s’inscrivaient dans la même allure de non-respect des règles d’orthodoxie budgétaire, lors du passage des auditeurs de la section des comptes de la Cour suprême et du Bureau du vérificateur général.
La Rédaction
Aujourd’hui-Mali