L’histoire retiendra que tout le processus a été enclenché à partir du Mali avec le changement de régime et de paradigme politique, le 18 août 2020, mais surtout, à la suite de la Rectification de la trajectoire de la Transition, intervenue le 24 mai 2021, lorsque le Comité National pour le Salut du Peuple (CNPS) et le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), ont choisi de s’allier pour sortir le pays de l’ornière. Tout est parti de l’après 7 juin 2021, jour de l’investiture du Président de la Transition et de la nomination du Premier ministre, qui formera le premier Gouvernement de la Transition rectifiée, le 11 juin 2021.
UNE GRANDE GUEULE

De la mythification de Modibo Keïta a la falsification d’un pan de l’histoire du Mali contemporain : Cas Mohamed Salikéné Coulibaly

1- Le mois de mai, dans notre pays, est fécond en commémorations. C’est durant ce mois que les deux figures emblématiques de l’Union Soudanaise RDA ont disparu, Mamadou Konaté, le 11 mai 1956, Modibo Keïta, le 16 mai 1977. Commémorer la mémoire de ces deux illustres figures de l’histoire contemporaine du Mali a inspiré bon nombre de nos concitoyens. A travers des témoignages, chacun a développé sa part de vérité.

J’ai écouté les uns et les autres. Je dois avouer que j’ai appris, notamment en écoutant le témoignage sur le Général Abdoulaye Soumaré. J’ai également constaté un trop d’enthousiasme et de contre-vérités dans certaines prises de positions. Cela m’a inspiré un texte que j’ai intitulé « MISE AU POINT A PROPOS DES INTERVENTIONS ET POLÉMIQUES SUR LA MÉMOIRE DE FEU MODIBO KEÏTA, SUR LES FAMa ET SUR LE PROCESSUS DÉMOCRATIQUE AU MALI »

2 – J’ai structuré mon texte en le divisant en trois grandes parties. J’ai donné, comme titre, à la première partie, « UNE HAINE VISCÉRALE CONTREPRODUCTIVE ». Elle a été conçue comme une suite à une récente attaque de Soumana Sacko contre Moussa Traoré. C’est ce qui m’a guidé à rédiger ce texte : j’ai eu à lui signifier que nous donnerons coup pour coup chaque fois que ce Président serait attaqué gratuitement, et surtout de façon mensongère. La deuxième partie est intitulée « POUR UNE HISTOIRE NATIONALE NON FALSIFIÉE, NON TRONQUÉE ». Mon intention n’y est nullement polémique. J’y ai développé mes idées en deux subdivisions : « LA VÉRITÉ SUR MOUSSA TRAORÉ », et « L’ÉVOLUTION VERS LA CONCENTRATION DES POUVOIRS ENTRE LES MAINS D’UN SEUL HOMME ». La troisième partie porte, comme sous-titre, « AVERS ET REVERS D’UN BILAN ». Les subdivisions en sont les suivantes : « Modibo Keïta et nous », « les Sociétés et Entreprises d’État (SEE) », « la Réforme de l’Enseignement en République du Mali », « l’Armée nationale », « le franc malien », « la Milice populaire ».

3 – Nulle part ne perce une intention polémique. Mais, Mohamed Salikéné Coulibaly ne l’a pas compris de cette manière. Il a lu mon texte et reconnaît qu’il s’est senti interpellé. Cela est tout à fait à son honneur. Aussi, a-t-il rédigé une « RÉPLIQUE A CHOGUEL POUR LA MANIFESTATION DE LA VÉRITÉ » ; texte publié par la Revue Malikilé dans son numéro 1799 du 4 juillet 2025, pages 21-28.

J’ai pris connaissance du texte, je l’ai lu et relu, je l’ai déposé et, après m’être frotté les yeux, je me suis posé les questions : en définitive, que veut-il dire ? où veut-il en venir ? de quel intérêt est, ce texte « pour la manifestation de la vérité » ? Assurément, son vœu, « Puisse Dieu nous inspirer ! » n’a pas été exaucé. Il s’est laissé inspirer par ce qu’il croit, non par ce qui est. Du long développement, j’ai retenu : les amabilités à mon égard, la méthodologie d’analyse-critique de l’auteur, si toutefois on peut considérer ce texte comme une analyse critique, les contradictions, les digressions, les insuffisances dans les connaissances.

4 – Examinons cela de plus près. Je laisse de côté, les observations relatives à ma réplique sur des propos de Soumana Sacko. Si l’affaire de la Compagnie aérienne Sabena, sur laquelle Sacko a cultivé sa réputation surfaite et mensongère, était vraie, on est en droit de se demander, pourquoi lorsqu’il était Premier ministre en 1991, et qu’il a fait poursuivre le Président Moussa Traoré pour crimes économiques, personne n’a entendu parler de cette affaire ? (d’autres lui répliqueront en temps et lieu opportuns Ine Châ Allah ! ).

Pour l’instant je ne vais m’intéresser qu’à ses observations inspirées par la lecture des deuxième et troisième parties de mon étude. Mes réflexions sont organisées à partir de citations extraites de ce que Mohamed Salikéné Coulibaly appelle, pompeusement, « mon travail d’analyse critique ».

Malheureusement, la tentation partisane demeure et se glisse de manière subtile derrière des sous-entendus et des formulations imprécises. J’avais entendu parler de personnes capables de lire dans la pensée des autres. Je n’avais pas cru à cette possibilité. Mais, à la lecture de la réplique qui m’est adressée, je me demande si je ne dois pas changer d’avis. Il m’est reproché « la tentation partisane », « des sous-entendus », « des formulations imprécises ».

Une démarche scientifique, dans un débat d’idées, recommande de s’écarter d’une telle démarche qui est une méthode permettant de faire dire à l’interlocuteur ce qu’il n’a pas dit ; de lui attribuer une prise de position qui n’est pas la sienne. Lorsqu’on a choisi de s’en tenir « à des faits vécus », on écarte de sa démarche tout ce qui est supposition.

En outre, la modestie est l’une des qualités de la démarche scientifique. Quelles que soient les divergences d’opinions, dans un débat d’idées, l’on doit se garder de certaines expressions comme celles à travers lesquelles on se pare du manteau de celui qui détient la vérité ; des expressions du genre : « je voudrais, en toute impartialité, apporter des rectificatifs à certaines de ses allégations tendancieuses ». En aucun cas, des points de vue, des opinions, des arguments non étayés par des données précises ne peuvent servir de rectificatifs. Ils demeurent des opinions personnelles auxquelles le lecteur est libre d’adhérer ou de ne pas adhérer ; des arguties.

Mohamed Salikènè Coulibaly : Réplique à Choguel pour la manifestation de la vérité

 

5 – Mohamed Salikene Coulibaly écrit dans sa réplique : « En tant qu’ancien Chef de Gouvernement, il devrait faire dans la nuance, et éviter de s’afficher de façon si clivante, en va-t’en guerre. C’est une faute politique ».

J’ai horreur de tels conseils savants et ne vous reconnais pas le droit de m’en donner. En toute circonstance, je m’assume. Je n’ai jamais démenti que je suis clivant. J’ai même donné des précisions à ce sujet, parfois en bamanankan. Le gros reproche que l’on me fait est de n’avoir pas réussi à rassembler. J’aimerais que l’on me cite un seul exemple à travers le monde d’homme d’action ayant réussi à rassembler tout le monde.

Prenons le cas du Mali. La vie politique y a vu le jour en 1946 sur fond de clivage, de division. Tout a commencé avec Mamadou Konaté et Fily Dabo Sissoko. Les Soudanais sont appelés à élire leurs représentants à la première Assemblée constituante française d’après-guerre. Sissoko, de Horokoto, se rend à Bamako, sollicite que Konaté l’introduise auprès des notabilités de la ville afin d’appuyer sa candidature. Ce qui est fait et Konaté commencera même à faire campagne pour Sissoko jusqu’au jour où des concitoyens lui demandent de se présenter lui-même à l’élection ; ce qu’il fit. Du coup, les électeurs soudanais se trouvent divisés entre « konatéistes » et « Sissokoistes ». Or, « diviser » a, pour contraire « rassembler ». Il y a eu une situation clivante. Or, qui dit « situation » dit acteurs de la situation. Et les acteurs d’une situation clivante sont des clivants.

Par la suite, toute la vie politique au Soudan sera placée sous le signe de cette division, de ce clivage : clivage entre le PSP et l’US-RDA, clivages au sein du PSP et de l’US-RDA. Les clivages au sein de l’US-RDA seront abordés ultérieurement quand il sera question de cette opposition que j’aurais inventée entre Mamadou Konaté et Modibo Keïta. Sous la IIIème République, de quoi les acteurs du 26 Mars 1991, tout comme les partis qu’ils ont créés, ont-ils pâti ? Principalement, des clivages en leur sein.

Voilà les raisons pour lesquelles je ne m’émeus pas quand on me traite de « clivant ». On ne fait que me reconnaître une caractéristique propre à tout homme ayant choisi de s’engager dans une action d’envergure. L’homme d’action surgit dans la tempête, s’exprime, appelle à le rejoindre pour mener le combat qu’il estime légitime. A partir de là s’instaure le clivage entre ceux qui partagent son point de vue et acceptent de se ranger autour de lui et ceux qui rejettent son point de vue et refusent de répondre à son appel.

Seuls les théoriciens de l’utopie croient que l’on peut agir en se mettant au-dessus des clivages. Je suis clivant, je le reconnais. Mais, que l’on me cite un seul homme politique d’envergure, de 1946 (création de l’US-RDA) à nos jours, qui n’a pas été clivant. Seul l’idiot fait l’unanimité. Or, il est bien connu que nul ne souhaite qu’un idiot sorte de sa famille : « naloma ko kadi bé yé ; nga ma chi ta fé naloma ka bo i chi la ».

Même au pouvoir, un chef de Gouvernement ne doit pas faire dans la nuance, surtout s’il est, de surcroît, un Président d’un mouvement politique et Chef de parti. Il descend dans l’arène et donne coup pour coup. Si l’on considère que « s’afficher de façon si clivante, en va-t’en guerre […] est une faute politique », c’est que l’on n’a rien compris à la politique car, l’action politique suppose adhésion ou rejet ; clivage.

Toutes les grandes figures politiques qui ont marqué l’histoire de l’Afrique, de l’Amérique, de l’Europe, de l’Asie, ont tous eu un parcours que, suivant votre logique, l’on pourrait qualifier de « clivant ».

Je termine ici par un détail amusant. A peine, la certitude a été faite, en juin 2021, que j’allais être nommé Premier ministre, une dizaine de partis politiques, tous des soutiens du pouvoir défunt, s’est réunie à la Pyramide du Souvenir pour demander la constitution d’un Gouvernement d’Union nationale. J’ai parlé de détail amusant car, quel militant de l’UDPM, aurait, au lendemain du 26 Mars 1991, demandé la constitution d’un Gouvernement d’Union nationale ? A la suite de cette réunion, un slogan a été largement diffusé : « Tout sauf Choguel ! »

A partir de là, on se pose la question : en définitive, de Choguel et de ses adversaires, qui n’est pas clivant ?

6 – Je note que Mohamed S Coulibaly donne un détail calendaire de l’adhésion à l’US-RDA de Hamadoun DICKO et de Fily Dabo SISSOKO. Cependant, il omet de mentionner qu’il y a eu une rencontre préalable des partis PSP et US-RDA, où il a été convenu de les fusionner en un front uni de lutte, pour aller à l’Indépendance. Cela éclaire la logique de leur adhésion, qui n’est pas un revirement.

Ai-je été lu de manière suffisamment attentive ? N’ai-je jamais dit ou sous-entendu qu’il y a eu revirement ? La remarque ci-dessus prouve à suffisance que ma pensée, au lieu d’être cernée et placée dans son contexte, est utilisée à des fins qui sont loin d’être les miennes. J’ai parlé de l’adhésion de Fily Dabo Sissoko et d’Hamadoun Dicko à l’US-RDA en donnant des dates. Nulle part, je n’ai parlé de revirement. Étais-je obligé de faire cas de cette réunion au cours de laquelle le PSP et l’US-RDA avaient décidé de fusionner pour aller ensemble à l’indépendance ? Du reste, cette fusion a-t-elle jamais eu lieu ? Non ! Mon intention n’a jamais été d’éclairer la logique d’une quelconque adhésion.  Et si j’ai évoqué l’adhésion des deux premiers responsables à l’US-RDA, c’était pour attirer l’attention sur ce qui s’est produit par la suite. Profitant de cette double adhésion, le ministre de l’Intérieur, par Arrêté, a dissous le PSP ; ce qui relève de l’arbitraire, le PSP ne s’étant jamais mis dans une situation incitant à sa dissolution.

7 – Plus loin, Mohamed S. Coulibaly avance : « Mais, insidieusement, sans en avoir l’air, Choguel s’emploie à donner de Modibo une image de dictateur, avide de pouvoir, qui a voulu la concentration de la totalité des pouvoirs entre ses mains ». « Il se produit à l’intérieur de l’US-RDA, dit-il, ce qui s’est produit au sein de tous les partis politiques d’inspiration marxiste-léniniste… ». Pour lui, « Modibo KEITA a travaillé dans le sens de faire de l’US RDA un parti qui lui soit pratiquement inféodé ».

Une fois de plus, la télépathie a fait son œuvre. Il m’est prêté des propos qui ne sont nullement les miens. Je ne veux pas donner de Modibo Keïta une image de dictateur. Du reste, le mot « dictateur » ne figure nullement dans mon texte. Cela n’est que supposition de la part de qui, d’après ses propres propos, « s’efforce à l’objectivité ».

Sur ce point, je m’en tiens au fait et ne fais que relater comment l’US-RDA a évolué sous le leadership de Modibo Keïta. Nul ne peut nier qu’il y a eu concentration du pouvoir entre ses mains après qu’il eut dissous, successivement, le Bureau Politique National et l’Assemblée nationale.

Du reste, déjà en 1959, après la naissance de la République Soudanaise, Modibo Keïta était, à la fois : Président du Conseil de Gouvernement de la Fédération du Mali, Secrétaire Général de l’US-RDA, Section du Parti de la Fédération Africaine (PFA), Président du Conseil de Gouvernement de la République Soudanaise, Chef de l’État, ministre de la Défense, ministre des Affaires étrangères, ministre de l’Information, Maire de Bamako. Peut-être n’était-il pas « avide de pouvoir », mais, force est de reconnaître qu’il aimait le pouvoir.

Modibo Keïta a fait de l’US-RDA un parti unique de fait, il l’a dissous de facto en ne convoquant pas le Congrès, en supprimant le Bureau Politique National de même que tous les Organes de base : Sections, Sous-Sections, Comités.

En ce qui concerne la violation des textes, je vous renvoie au livre « L’Urne et le Glaive » du Dr Amadou Aliou N’Diaye, ancien président de la Cour Suprême du Mali. Pour en savoir sur la gestion solitaire du pouvoir, je vous recommande la thèse de Pierre Campmas : « L’Union Soudanaise RDA : l’histoire d’un grand parti politique africain ». De même, pour ce qui est de la déconfiture de l’US-RDA à la suite du déclenchement de la Révolution active, la lecture de Femme d’Afrique de Aoua Keïta est suffisamment édifiante. Le slogan que l’on faisait répéter lors des manifestations de masses vous est-il inconnu ? Assurément que non ! Mais, vous avez dû l’oublier. Je vais vous le rappeler : Un seul parti : l’Union Soudanaise RDA ; une seule option : le socialisme ; un seul guide : Modibo !

Tous les responsables de la première heure, à l’exception notable d’une demi-dizaine, ont été écartés des rouages de l’État, livrés à la vindicte populaire, traînés dans la boue, taxés d’être « des essoufflés », « ceux chez qui la flamme révolutionnaire a pâli ». Lors de la Semaine de la Jeunesse de juillet 1967, la troupe de Kayes s’est illustrée par la pièce de théâtre : « Le Parti, ce n’est pas vous, le Parti, c’est nous ».

« Vous » renvoie à tous ces responsables de la première heure qui, chacun dans sa Section, s’est dépensé sans se compter pour implanter l’US-RDA et consolider ses assises de sa création jusqu’au déclenchement de la Révolution active.

Mohamed Salikéné Coulibaly poursuit : Pour lui, « Modibo KEITA a travaillé dans le sens de faire de l’US-RDA un parti qui lui soit pratiquement inféodé » (sic). La formulation est, peut-être, abrupte, cependant, elle traduit la réalité. Pierre Campmas l’a fait noter dans sa thèse : en fin de règne, Modibo Keïta n’avait plus autour de lui que « le groupe des Guinéens » : Ousmane Ba, Bakara Diallo, Madeira Keïta, Samba Lamine Traoré. Rien d’étonnant qu’ils aient été les seuls, à l’exception toutefois d’Ousmane Ba, à inciter les populations à réagir contre le coup d’État de novembre 1968 : Bakara Diallo à Kayes, Samba Lamine Traoré à Ségou, Madeira Keïta à Mopti.

Tous ceux qui ont porté l’US-RDA sur les fonts baptismaux, qui ont œuvré à son implantation, de Kayes à Mopti, ont été passés à la trappe. On ne saurait imaginer l’US-RDA à Sikasso sans Jean Marie Koné, à Ségou, sans Dramane Coulibaly, à Mopti, sans Baréma Bocoum. Ni le Secrétaire politique du parti, Idrissa Diarra, ni son idéologue, Seydou Badian Kouyaté, n’ont été épargnés. Le premier a vu ses prérogatives pratiquement réduites à néant avec la suppression du Comité Directeur et son remplacement par la Conférence nationale des Cadres. Le second s’est vu éliminer du Gouvernement à la suite du remaniement du 17 septembre 1966, Modibo Keïta s’étant attribué le portefeuille qu’il détenait, celui du développement économique.

8 – Je retiens aussi cette affirmation de Mohamed Salikéné Coulibaly à mon propos : « Il invente un conflit opposant Modibo au père Mamadou KONATÉ, allié de Houphouët BOIGNY, prêtant à Modibo d’être un communiste, apparenté au Parti Communiste Français (PCF) ».

Je me demande si c’est seulement d’une remise à niveau dont certains ont besoin ou ; c’est le retour pur et simple sur les bancs pour apprendre ? M’attribuer l’invention d’un conflit qui a conduit l’US-RDA au bord de l’implosion (ou de l’explosion comme on veut) relève d’une notoire insuffisance de connaissances sur la vie de l’US-RDA. Le conflit dont il est question est largement exposé dans différents documents. Abdoulaye Charles Danioko le relate dans sa thèse : « Contribution à l’étude des partis politiques au Mali de 1945 à 1960 » ; de même que Pierre Campmas dans la sienne mentionnée ci-dessus. Il en est de même de Joseph Roger de Benoist dans « L’Afrique Occidentale Française de 1944 à 1960 ».

L’US-RDA elle-même a suffisamment renseigné sur ce conflit. Elle a publié, sous forme de texte ronéotypé, « Les Travaux du 4ème Congrès Territorial tenu à Bamako les 22, 23 et 24 Septembre 1955. » Les deux protagonistes, Modibo Keïta, présentant le Rapport moral et Mamadou Konaté, prononçant le Discours de clôture, n’ont pas manqué de décrocher des piques assez acerbes l’un contre l’autre. Abdoulaye Charles Danioko a même parlé de « la défaite de l’aile hostile au désapparentement », du « réquisitoire de Mamadou Konaté » et Modibo Keïta, d’« une opposition des leaders ».

L’exigence d’être suffisamment documenté sur un sujet pour en parler en évitant de se couvrir de ridicule doit être mise en avant par quiconque choisit de participer à un débat d’idées.

Quel est le conflit dont je suis supposé être « l’inventeur » ? « Il a envenimé la vie au sein de l’US-RDA de décembre 1950 à septembre 1955 et s’est conclu par un désaveu cinglant, voire humiliant, pour Modibo Keïta ».

Le voici exposé : Très tôt, le clivage se manifeste au sein du parti avec ce qui est connu de tous et qui perdurera jusqu’au déclenchement de la Révolution active : l’opposition entre ceux qui seront connus comme des « radicaux » et ceux que l’on présentera comme des « modérés ». Le heurt entre Mamadou Konaté et Modibo Keïta, heurt qui est loin d’être une invention de ma part est intervenu à l’occasion du « désapparentement ».

Houphouët-Boigny a connu une période communiste. Après la création du RDA, il scelle son apparentement avec le Parti Communiste Français (PCF), parti majoritaire à l’Assemblée nationale Française au lendemain de la Guerre. Progressivement, le PCF perd de son influence. En Afrique, le RDA est l’objet de multiples représailles du fait de son apparentement. Estimant que « contourner l’arbre n’a jamais déformé le bassin du marcheur », sans consulter le Secrétaire Général, Gabriel d’Arboussier, sans consulter les membres du Comité Directeur, sans consulter les responsables des Sections territoriales, Houphouët-Boigny remet à la presse un communiqué signifiant la rupture avec le PCF.

Il est désavoué. Aussi, met-il sur pied une Commission de Sages pour sillonner les Sections territoriales afin de leur expliquer le bien-fondé de sa décision unilatérale. Les membres de la Commission sont ses plus fidèles lieutenants : Ouezzin Coulibaly, Hamani Diori et Mamadou Konaté. Le calendrier de leur tournée est communiqué aux responsables des différentes Sections territoriales. Au Soudan, Modibo Keïta est farouchement opposé au désapparentement. Avant l’arrivée des trois Sages, le BPN doit préciser sa position : l’US-RDA est-elle pour ou contre le désapparentement ? Le Secrétaire Général envoie une Circulaire aux responsables des Cellules de base leur demandant de s’opposer à la décision d’Houphouët-Boigny.

Le 6 décembre 1950 a lieu une réunion du BPN élargie aux élus. Les positions sont tranchées, la séance houleuse. On en arrive au vote. Mamadou Konaté menace de démissionner si sa motion ne reçoit pas la majorité. Le résultat de la consultation est sans équivoque. Modibo Keïta est battu à plate couture, ne recueillant que 5 voix contre 11 à Mamadou Konaté. Le désapparentement est acté par la Section territoriale du Soudan. Le Secrétaire Général s’estime trahi par le BPN qui, auparavant, avait protesté contre la rupture d’avec le PCF. Mais, il n’est pas au bout de ses peines. Fortement fragilisé, il est invité à démissionner et à se remettre à la disposition de l’Administration. L’US-RDA est au bord de l’implosion. Les perdants, amenés par Mamadou Fadiala Keïta envisage la création d’un nouveau parti dénommé le Front du Travail. La sagesse finira par prévaloir, le projet est abandonné, l’unité du parti est préservée.

9 – « D’abord, l’US-RDA n’était pas un parti d’inspiration marxiste-léniniste », grave erreur d’appréciation, poursuit Mohamed Salikéné Coulibaly. C’est plutôt de votre côté que se situe « la grave erreur d’appréciation », et il n’était nullement besoin de se lancer dans une argumentation savante en écrivant : « D’aucuns auraient perçu une familiarité plutôt avec l’idéologie maoïste », la « Révolution active » déclenchée étant à l’image de la « Révolution culturelle » chinoise. La composition sociale du pays, qui est majoritairement paysanne, et non ouvrière comme en ex-URSS (pays des Soviets), sous-tend cette similitude. Tous les lycéens qui ont fait le « Bac » cette année savent cela.

Ce qui est grave est que vous ne savez même pas ce qu’est un parti d’inspiration marxiste-léniniste à distinguer d’un parti marxiste-léniniste. La différence entre les deux formes de regroupements politiques est nette et peut se percevoir à travers la phrase « tout parti de gauche peut être d’inspiration marxiste-léniniste, tout parti de gauche n’est pas marxiste-léniniste ». L’US-RDA et, aussi surprenant que cela puisse vous paraître, l’UDPM, sont des partis d’inspiration marxiste-léniniste. Sur ce sujet, une petite remise à niveau vous sera salutaire.

Le parti d’inspiration marxiste-léniniste se caractérise par deux données : sa structure et son principe. La structure fait distinguer, du sommet vers la base : le Congrès, le Bureau Politique National (ou le Bureau Exécutif Central), le Comité Directeur (ou le Conseil National), la Section, la Sous-section et le Comité. Le principe est le Centralisme démocratique.

Le parti marxiste-léniniste se caractérise par trois données : les deux ci-dessus citées et l’idéologie. Cette idéologie a pour fondement le renversement, par la violence, du capitalisme et l’instauration, à sa place, d’un régime dit « dictature du prolétariat »

Tous les partis communistes du monde ont, en commun, ces trois données qu’ils prennent, toutefois, soin d’adapter à leurs réalités nationales ; d’où les différences entre ce qui s’est passé en Russie et dans les pays d’Europe de l’Est et ce qui continue de se passer en République Populaire de Chine, en Corée du Nord, au Viêt-Nam, à Cuba. En France, ce n’est qu’en 1976 que le PCF a renoncé à la violence comme moyen d’accéder au pouvoir, renonciation qui a permis son alliance avec le PS en 1981 autour d’un programme commun de gouvernement.

10 – « Par la magie d’une citation de Modibo Keïta à propos de « fardeaux du peuple », il laisse supposer que toutes ces structures n’étaient pas viables dès 1963.»

Je ne laisse pas supposer, j’ai cité mes sources. Sur la question, il y a lieu de ne pas être plus royaliste que le roi. Modibo Keïta en personne, dans son discours du 23 mars 1963 devant l’Assemblée nationale, a reconnu les difficultés que connaissaient les Sociétés et Entreprises d’État, la nécessité d’en supprimer certaines, d’en restructurer d’autres, de procéder à un redéploiement de personnel. Une autre source que cite, la deuxième partie du livre de Cheick Modibo Diarrah, « Le Mali de Modibo Keïta », « Le Mali empêtré ». Elle comporte deux chapitres, avec des titres suffisamment évocateurs :

« Les difficultés économiques », « Les problèmes politiques » : « difficultés », « problèmes », ce sont là deux expressions qui créent un contraste saisissant avec le tableau idyllique que vous donnez du Mali avec « les données du bilan du premier plan quinquennal qui sont disponibles et qui témoignent du bond en avant effectué dans tous les domaines, avec une nette amélioration des conditions de vie de la population et une balance des paiements positives ».

Plutôt que de vous lancer dans des développements oiseux et fastidieux sur des sujets que vous êtes loin de maîtriser, lisez les deux chapitres qui constituent cette deuxième partie. Informez-vous davantage sur : « la réalité du plan quinquennal », « les difficultés des sociétés d’État », « les problèmes agricoles », « la dégradation de la monnaie nationale », « les accords monétaires franco-maliens de 1967 et leurs conséquences ».

Poursuivez votre documentation avec la lecture des passages consacrés aux sujets que sont : « données maliennes et socialisme scientifique », « le Parti divisé en clans », « les problèmes d’organisation du Parti », « les tentatives de redressement du Parti », « Parti unique et appareil d’État », « le déclin du parti », « le durcissement du régime ».

11 – « Mais là où mon frère Choguel me sidère réellement, c’est la banalisation de la merveille malienne de « la Réforme de l’Enseignement en République du Mali en 1962 » accueillie avec les éloges de l’UNESCO ».

Décidément, Mohamed Salikéné Coulibaly n’en est pas à une contradiction près. Il reconnaît que j’ai fait ressortir les mérites de la Réforme de l’Enseignement après avoir soutenu qu’il est « sidéré » par la « banalisation de la merveille malienne ». Il en faut peu pour qu’il soit sidéré. Me prononçant sur la Réforme en question, j’ai développé les points suivants : son origine, ses avantages, ses insuffisances. Pour lui, c’est une « merveille ». Mais, pour quiconque fait la comparaison avec les systèmes éducatifs des pays francophones de la sous-région, la Réforme est loin d’être une merveille.

Sur ce point, il y a voix mieux autorisée que la sienne et la mienne : celle d’Oumar Issaka Ba, qui fut, tour à tour, Instituteur, Professeur d’Enseignement secondaire général, Inspecteur de l’Enseignement fondamental, Directeur national de l’Enseignement fondamental, Ministre de l’Enseignement secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique, père de la « ruralisation » et de la « pédagogie convergente ».

Après de bons et loyaux services rendus à la nation, il jouit actuellement d’une retraite méritée et en a profité pour publier ses mémoires en deux tomes : « Une Histoire de l’Enseignement au Mali. Inattaquable, inapplicable réforme de 1962 ». « Mémoire de carrière ». J’en recommande la lecture à M. Coulibaly.

Il découvrira que ce que j’ai dit de la Réforme est avérée. Il est vrai que l’UNESCO a salué la Réforme. Il ne saurait en être autrement si l’on sait qu’avec la création de l’Enseignement fondamental, le Mali s’est démarqué des autres pays francophones de la sous-région qui ont créé la structuration fondée sur : Enseignement primaire + Collège + Lycée. Les deux premiers ordres d’Enseignement de cette structuration constituent notre enseignement fondamental. Du reste, beaucoup d’écoles privées du Mali, conçues pour enfants de privilégiés, fonctionnent d’après cette structuration tout en passant les examens de fin de cycle des douze années de formation menant finalement au Baccalauréat. La Réforme a des mérites incontestables, cela ne doit pas conduire à en faire une  « merveille ». Elle est une œuvre humaine et par conséquent, imparfaite. Réformez votre tacot, vous n’en ferez pas pour autant une Roll Royce. Par certains aspects, la Réforme prolonge l’Enseignement colonial. Une des causes de la crise actuelle de notre système éducatif résulte du fétichisme qui lui a été attaché et qui a détourné de tout essai de mise à jour.

12 – Mohamed Salikene Coulibaly continue dans sa réplique : « Et pour terminer son procès contre Modibo, il finit par l’accuser de s’être désintéressé de l’Armée au profit de la Milice ».

Ni procès, ni accusation ; uniquement rappel de ce qui s’est passé. L’histoire de l’Armée sous Modibo Keïta comporte trois phases. Connaître leur historique aide à comprendre son attitude vis-à-vis de l’Armée, attitude qui a subi une évolution menant à privilégier la Milice du parti au détriment de l’Armée nationale.

La première phase, du 31 août 1960 au 23 décembre, se situe avant l’arrivée du Colonel Abdoulaye Soumaré à Bamako, après l’éclatement de la Fédération du Mali. Modibo Keïta crée le bataillon soudanais et le place sous les ordres du Capitaine Pinana Drabo, rappelé de Madagascar. Pinana Drabo met en place un État-major sous les ordres du Capitaine Sékou Traoré à qui est confiée la mission d’intégrer dans l’Armée malienne nouvellement créée, les soldats soudanais désireux de quitter l’Armée française pour se ranger sous le drapeau de la République du Mali.

Le 1er octobre 1960 est retenu comme date officielle de la création de l’Armée nationale. Le 12 octobre, elle est présentée à son Chef suprême, Modibo Keïta, Chef de l’État. Le 26 octobre de la même année, l’État-major territorial du Soudan est transformé en État-major de l’Armée nationale. Cette phase prend fin avec l’arrivée du Colonel Soumaré, détaché par la France auprès du Gouvernement malien comme coopérant. Avec cette arrivée, les événements s’accélèrent. Soumaré est nommé Chef d’État-major général de l’Armée nationale le 28 décembre 1960. Le 29 décembre, il est élevé au grade de Général de brigade. Il s’attaque à l’intégration des Soudanais ayant quitté l’Armée française et lui trouve une conclusion heureuse.

De jeunes sous-officiers sont en fin de cycle dans des Écoles françaises, à Fréjus et à Strasbourg. Il les rapatrie, ouvre à leur intention un Camp d’application à Kati où ils s’initient à toutes les armes. Au terme de leur formation, ils sont déployés sur l’ensemble du territoire national, à l’exception de Moussa Traoré retenu à Kati comme instructeur.

A partir de ce moment, commence la structuration de l’Armée, œuvre du Général Abdoulaye Soumaré. A la date du 10 janvier 1961, l’Armée nationale comprenait 1232 éléments, tous grades compris. Ils sont, en novembre de la même année, 3429.

Le Général Soumaré les répartit entre des Unités autonomes dont les Compagnies de Commandos Autonomes (CCA). Il organise l’ensemble des Unités autonomes, à l’exception de la Compagnie de la Garde Présidentielle, au sein de quatre Bataillons de Commandos Autonomes (BCA) respectivement basés à Ségou, à Kayes, à Kati et à Gao.

Le 20 janvier 1961, le Président du Conseil, en présence des membres du corps diplomatique invité à Koulouba pour la circonstance, demande aux autorités françaises d’évacuer les bases qu’elles occupaient encore sur le territoire malien. La date n’est pas choisie au hasard. Modibo Keïta a attendu que les différents Chefs des quatre Bataillons aient rejoint pour faire sa demande. Le même jour, le Général Soumaré fait valoir ses droits à la retraite en tant qu’officier de l’Armée française, à compter du 1er février 1961.

Le travail d’intégration, de formation et de structuration, la deuxième phase de l’histoire de l’Armée, prend fin avec le décès du Général Soumaré, décès survenu à Paris, le 2 octobre 1964. Avec cette disparition, Modibo Keïta perd, à la fois, un ami, un collaborateur et surtout, un homme de confiance. C’est à partir de ce moment que commence ce qui s’apparente à une méfiance vis-à-vis de l’Armée nationale. Le poste de Chef d’État-major général est supprimé, le Colonel Sékou Traoré ne reçoit pas de promotion en grade. Faut-il rappeler que le General Soumaré disposait de la ligne directe du Président du Conseil de Gouvernement, Sékou Traoré en est privé. Soumaré assistait au Conseil des Ministres en tant qu’observateur. Sékou Traoré ne bénéficie pas de ce privilège.

Aucune innovation majeure dans le travail de structuration ne se constate du décès du Général Soumaré au 17 novembre 1966. A cette date, le nombre de compagnies passe de quatre à douze, les CCA sont transformées en Compagnies de combat, les BCA en bataillons de combat. Des regroupements de Bataillons sont opérés.

Sur le désintérêt manifesté à l’Armée au profit de la Milice, je renvoie à voix mieux autorisées que celle de Mohamed Salikéné Coulibaly, et la mienne. Des officiers ont témoigné là-dessus ; Soungalo Samaké, dans « Ma vie de soldat », Amidou Mariko, dans « Mémoire de crocodile ». Les deux officiers y développent le sort qui étaient celui des soldats par opposition au traitement privilégié dont bénéficiait la Milice. Je renvoie M. Coulibaly à ces témoignages. Cela lui éviterait ses longues digressions qui ne font qu’éloigner du réel pour privilégier le subjectif.

13 – Un autre mensonge est d’insinuer que « les Accords monétaires franco-maliens » supposaient le renoncement à la souveraineté monétaire et la préparation au retour au franc CFA » (rires).

Mohamed Sékéné Coulibaly doit savoir que « la honteuse responsabilité historique de notre réintégration à la zone CFA, différente de la zone Franc », incombe, non à mon « mentor », mais bien à Modibo Keïta. Là également, plutôt que la digression, j’ai recours aux faits. Tout débute le 30 juin 1962. Dans une intervention radiodiffusée, Modibo Keïta annonce la création du franc malien et l’a présentée comme un acte de souveraineté. Les Maliens, à compter du 1er juillet 1962, disposaient de quinze jours pour changer leurs billets de banque et pièces de monnaies CFA en francs maliens.

Des messages de soutien ont salué l’initiative, les commerçants ont manifesté leur inquiétude. N’étant pas économiste, je choisis de laisser s’exprimer un spécialiste :

« Confiant dans la valeur et la résolution de ses militants, porté par une Afrique  » révolutionnaire  » qui existait encore à l’époque, aidé financièrement par divers États étrangers – et pas seulement socialistes – le Mali soutint quelque temps le défi qu’il avait lancé à l’ancienne métropole et, d’une manière générale, à ce  » néo-colonialisme  » que, dans un autre style, dénonçait aussi son voisin, la Guinée.

Mais au fil des mois, il apparut de plus en plus clairement que le choix politique fait par l’équipe de M. Modibo Keita était de plus en plus contrarié par les réalités économiques : la production stagnait ; l’endettement s’accroissait à l’égard de l’étranger ; la valeur du franc malien (en dépit d’un récent échange de billets, sans grands résultats) s’avilissait d’autant plus que s’affirmait celle du franc C.F.A. ; les Sociétés d’État créées par le régime fonctionnaient mal et coûtaient cher ; enfin les échanges avec l’extérieur, pour toutes ces raisons, étaient de plus en plus paralysés » (Philippe Herreman, Le Monde, Paris, parution du 19 janvier 1967).

Un second témoignage sur la situation ayant incité à renouer le dialogue avec la France : « Après cinq ans d’une gestation difficile, la situation du Mali se présenta par le « siège », comme le diraient les obstétriciens pour décrire la position d’un bébé mal engagé. Le franc malien essoufflé ne pouvait plus être porté par une économie nationale à bout de souffle. Face à d’énormes difficultés intérieures, les autorités maliennes sollicitèrent auprès de la France la réintégration de leur pays dans la zone CFA. Ce « come-back » qui nécessita deux importantes dévaluations du franc malien (1963 et 1967) fut sans répit. » (Finantial Afrik, parution du 25 septembre 2020).

Un dernier témoignage, puisque Mohamed Salikéné Coulibaly me demande d’« exhiber » que le retour au CFA n’est pas dû à Modibo Keïta : « Au demeurant, si la République du Mali connaît depuis sept ans de sévères difficultés économiques, la gestion de ses finances publiques, affirme-t-on à Bamako, est toujours restée saine. On insiste dans la capitale malienne sur le fait qu’avant 1960 le Soudan, traditionnel fournisseur de produits vivriers (riz, mil, bétail, poisson séché), fut toujours créditeur d’environ 5 milliards de francs C.F.A. par an envers ses proches voisins. Si cette tendance s’est, après 1960, totalement renversée, ceci est dû notamment, comme l’admettent aujourd’hui avec réalisme les dirigeants de Bamako, à la création d’une nouvelle monnaie et d’un office des changes, et surtout à la mise en place de diverses sociétés d’État mal adaptées aux besoins de l’économie locale. » ( Philippe Decraene, le Monde, parution du 17 février 1967).

Telle est la situation qui a inspiré la nécessité de revoir les relations avec la France. Il fallait desserrer l’étau. Mais, au sein du BPN, les avis étaient partagés. L’éternel clivage entre « radicaux » et « modérés » revint à l’ordre du jour. Les premiers sont pour le maintien du cap ; rien ne doit détourner de la voie socialiste. Ils obtiennent satisfaction sur deux points : le report de la tenue du VIIe congrès statutaire du parti, la désignation des membres de la délégation devant se rendre à Paris négocier avec les Français. Dans cet ordre d’idées, Ousmane Ba, ministre des Affaires étrangères, Seydou Badian Kouyaté, Ministre du développement économique et Louis Nègre, Gouverneur de la Banque Centrale du Mali arrivent à Paris le 21 février 1965. Les négociations débutent le lendemain. La partie française présente un mémorandum, la partie malienne la rejette, c’est l’échec que les deux parties se gardent de considérer comme une rupture. La porte reste donc ouverte pour une poursuite des négociations.

L’échec de la délégation conduite par deux « radicaux » incite les « modérés » à monter aux créneaux.  La situation économique ne cesse de se dégrader. Une seconde délégation est constituée, conduite par Jean Marie Koné, Ministre d’État chargé du Plan et de la coordination des Affaires économiques et financières, et comprenant Louis Nègre. Cette fois-ci, les négociations débouchent sur la signature des « Accords monétaires franco-maliens de février 1967 ».

J’ai dit qu’en signant ces Accords, le Mali renonçait à sa souveraineté monétaire et à son option socialiste. Mohamed Salikéné Coulibaly prétend le contraire. Cependant, qu’on y regarde de près et on constatera qu’à terme, la mise en œuvre des Accords équivaut à un retour pur et simple à la case-départ, sur le plan économique. Le document qui les consigne est produit pour une diffusion restreinte : au total, cinquante exemplaires, vingt-cinq pour chacune des deux parties, avec cette précision de taille, au verso de la page de garde : Modibo Keïta s’est réjoui de leur signature, mais cette signature a provoqué l’ire des « radicaux » du parti qui ont crié à la trahison. Si « trahison » est trop fort, on ne peut exclure qu’il y a eu « abandon », « renoncement à… ». En effet, dans le document, sont précisées : les conditions de réintégration dans l’UEMOA, les contraintes à supporter par le Mali en vue de cette intégration, la condition posée par la France pour soutenir le Mali. Parmi les conditions de la réintégration figurent : le remplacement de la Banque Centrale du Mali (BCM) par la Banque de la République du Mali (BRM), l’abandon des normes de gestion adoptées lors de la création de la BCM et l’adoption en lieu et place des normes de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). En contrepartie, la France garantit la convertibilité du franc malien. Outre ces conditions, le Mali équilibrera son budget, procédera à une restructuration de ses Sociétés et Entreprises d’État dont celles jugées non viables seront supprimées, libéralisera son commerce.

Lorsqu’on a rempli toutes ces conditions, on est en droit de se demander : que reste-t-il de la souveraineté monétaire et de l’option socialiste ? Surtout si l’on retient que la France a conditionné son appui à l’alignement du Mali sur les normes de gestion économique de la zone franc.

Certes, l’abandon du franc malien au profit de l’adoption du franc CFA est intervenu en 1984. Mais, l’honnêteté intellectuelle recommande de reconnaître que ce qui s’est produit en 1984 est l’aboutissement d’un processus dont le début se situe au

mois de février 1967. Dès le 19 janvier 1967, Philippe Herreman du quotidien Le Monde avait prédit : « La rentrée du Mali dans la zone franc ne pourra s’effectuer que progressivement ». Progressivement, cette rentrée l’a été : débutée dès mars 1967 avec la dévaluation de 50% du franc malien, elle a connu son aboutissement en 1984.

14 – Conclusion

Mohamed Salikéné Coulibaly présente son texte comme une « analyse critique ». Le lecteur averti le perçoit plutôt comme un libellé. Toutefois, s’il le présente comme une analyse critique, je me suis efforcé de le concevoir comme telle pour nous prononcer sur la méthode utilisée afin de le développer. Nulle part, cette méthodologie ne se soucie d’objectivité, même s’il est écrit, dès le départ : « Je me suis gardé de tout parti-pris dans mon travail d’analyse critique de la vie politique nationale ».

Mettons en parallèle l’assertion ci-dessus avec le développement ci-après consacré au portrait de Modibo Keïta : M. Coulibaly écrit : « Je dois dire et préciser que je ne m’érige pas en défenseur de Modibo, et me garderai d’une telle prétention. La vie de Modibo, son parcours, son action et ses consécrations, sauf ostracisme, assurent à suffisance sa propre défense. Il est béton. »

Voilà qui est dit, bien net. Cela n’empêche pas cependant que, quelques paragraphes plus loin, M. Coulibaly entonne le dithyrambe en l’honneur de Modibo Keïta : « Le toujours premier et major, instituteur modèle, patriote craint, militant engagé, Secrétaire général, député, Secrétaire d’État, vice-président de l’Assemblée française, Président de la République du Mali, homme exceptionnel d’une immense culture, d’une grande probité morale, intègre par-dessus tout, soutien de tous les Mouvements de libération et des Peuples opprimés ; l’Afrique a rarement eu un fils de cette trempe, respecté, visionnaire, éloquent, convaincant, qui a fait rayonner la flamme impériale de son pays à l’échelle internationale, lui créant un coussin diplomatique sans précédent, et un leadership mondial ». Le lecteur peut se demander ce qu’il en serait si M. Coulibaly avait choisi de s’ « érige(r) en défenseur de Modibo ». Qu’il cherche la définition du mot « mythification » et il ne manquera pas de découvrir qu’un tel passage est une illustration de ce mot. Veut-on éclairer les jeunes générations ? Ce n’est pas de cette manière que l’on devrait s’y prendre. Modibo Keïta n’est pas exempt de reproches, de défauts. Je n’en veux pour preuve que l’exemple ci-dessous par lequel je vais terminer.

Aux dires de Mohamed Salikéné Coulibaly, Modibo Keïta est le  « soutien de tous les Mouvements de libération et des Peuples opprimés. » Je n’en disconviens pas. Mais, comment M. Coulibaly peut-il justifier la prise de position du Président Modibo Keita dans l’affaire congolaise en 1964 ?  A cette date, le Congo-Léopoldville est le champ de rivalités entre l’Est et l’Ouest avec, d’un côté, l’URSS et la République Populaire de Chine ; de l’autre, les Etats-Unis d’Amérique et la France. Les deux premiers pays soutiennent les lumumbistes regroupés au sein du Mouvement National de Libération basé à Brazzaville. A Léopoldville, Cyrille Adoula est le Premier ministre de Joseph Kasavubu grâce à la bénédiction des Américains.

La France veut s’incruster dans le jeu. Son homme-lige a pour nom Moïse Tshombé, fortement compromis dans l’assassinat de Patrice Lumumba. Elle veut le mettre en selle et, pour cela, a besoin de l’appui de Modibo Keïta. Antoine Azoume, agent du Service de la Documentation Extérieure et du Contre-espionnage (SDECE), est mis en mission. Il parvient à persuader Modibo Keïta de la nécessité de rencontrer le « Docteur Tshombé, grand leader africain, serviteur du Congo ». Tshombé est invité à se rendre au Mali. Il a des négociations avec Modibo Keïta, à Koro (région de Mopti) et lui présente son programme de Gouvernement. Modibo Keïta lui promet son appui diplomatique.

De retour à Léopoldville, Tshombé est nommé Premier ministre succédant ainsi à Adoula, démissionnaire. Question : comment le « « soutien de tous les Mouvements de libération et des Peuples opprimés. » a-t-il pu faire le jeu des Français en abandonnant les lumumbistes pour soutenir Moïse Tshombé ? Le rappel n’est pas pour discréditer, mais pour inciter à l’objectivité mesurée.

Je termine par là où j’ai commencé : le Président Modibo Keïta possède des qualités et des mérites que nul ne saurait contester. Mais cela ne doit pas inciter à le mythifier et, partant, à tronquer ou à falsifier l’histoire contemporaine du Mali.

Cher promotionnaire du lycée Technique de Bamako, cher frère Mohamed, travaillons à transmettre aux futures générations, la vraie histoire de notre Nation, à nous tous.

Bamako, le 22 juillet 2025

Choguel Kokalla Maïga

Ancien Premier ministre

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