Dans le cadre de la journée mondiale de lutte contre le cancer, Dr Sidibé Fatoumata, oncologue médicale CHU du Point-G du service d’hémato-oncologie médicale et l’unique spécialiste dans le domaine au Mali, parle de cette maladie. Selon lui, l’Etat malien fait beaucoup d’efforts pour la prise en charge des malades de la maladie. Interview. |
L’Observatoire : Parlant de la lutte contre le cancer au Mali, pouvez-vous nous faire l’état des lieux ?
Dr Sidibé Fatoumata : La lutte est menée pour que les Maliens sachent la réalité du cancer et aussi les difficultés qu’on rencontre dans la prise en charge. Les premières difficultés sont d’ordres financiers car au Mali, on manque beaucoup de moyens notamment les ressources humaines, financières et infrastructures pour faire face au cancer. Les patients, eux-mêmes, sont le plus souvent des démunis et le système sanitaire aussi n’est pas fait de telle sorte pour pallier à ce problème financier. Donc, on fait face souvent à des ruptures de traitements, à des retards de diagnostics. Ce qui rend plus complexe la prise en charge et diminue les chances des guérisons.
Est-ce que vous disposez des moyens pour la prise en charge des patients ?
Il nous manque les ¾ des moyens, comme je l’ai dit tantôt dans les difficultés, il nous manque beaucoup. Les médicaments qui sont efficaces, sont les médicaments de la dernière génération qu’on appelle les thérapies ciblées ou immunothérapies, qui sont non seulement efficaces mais aussi moins toxiques. Ces médicaments n’existent pas pour la plupart au Mali. Même quand vous êtes à l’étranger pour les faire venir, cela coûte tellement cher sans une assurance derrière. Le patient lui-même n’est pas capable de supporter les charges.
Les autres aspects thérapeutiques comme la radiothérapie, nous ne disposons que d’un appareil de radiothérapie dans tout le Mali et pour tous les patients en oncologie et qui est même obsolète, qu’on appelle accélérateur linéaire. Ce qui fait que les délais d’attentes des patients sont énormes. Cela diminue les chances de guérisons. C’est la seule et unique machine qui prend tous les patients en charge, malades du cancer, quel que soit le type de cancer où il y’a une indication de radiothérapie. L’appareil ne supporte pas ça, car c’est un appareil et il faut des moments de repos, de maintenance. Il est assez souvent en panne.
Est-ce que le Mali figure parmi les pays les plus touchés par cette maladie ?
Pas qu’il figure parmi les pays les plus touchés par cette maladie, ce qui est sûr, il fait partie des pays où certains cancers sont plus fréquents comme le cancer du col, le cancer du sein. Il fait partie des pays aussi dont la mortalité est plus élevée. Même quand on compare l’incidence ou les taux de fréquences, je peux dire que les pays occidentaux sont à peu près pareils. Quand on regarde les mortalités, ça change tout parce qu’on a plus de 70% des cas qui meurent dans l’année où le diagnostic est fait. C’est ça qui est la gravité au Mali.
Les populations peuvent prévenir cette maladie ? Comment ?
Les populations peuvent prévenir le cancer. Les études ont montré qu’au minimum 40% des cas ou types de cancer peuvent être évités parce que la majorité des cancers sont liés à nos comportements, à nos modes de vie notamment le fait de fumer, de boire de l’alcool. Vous voyez maintenant tous les jeunes s’adonnent au tabac, à la chicha, à l’alcool, il y’a aussi les infections dont certaines sexuellement transmissibles. Le virus le plus connu est le ‘’human papiloma’’, virus qui est responsable du cancer de col. Il y’a aussi le HIV qui donne beaucoup d’autres types de cancer, l’hépatite virale B qui est très fréquent au Mali, qui donne le cancer du foie et une autre bactérie qu’on oublie, qui se trouve dans l’estomac, du nom de helicobacter pylori, qui donne beaucoup de cancers digestifs.
Ces cancers sont en général beaucoup fréquents au Mali. Il y’a d’autres facteurs que les Maliens oublient, on est beaucoup sédentaire alors que le sport, l’activité physique régulière est très bien, que ce soit contre le cancer ou contre les autres maladies cardiovasculaires. Il y’a beaucoup de bonnes conduites qui nous permettent d’éviter le cancer. Il y a l’alimentation aussi, le fait que notre alimentation soit toujours trop épicée ou trop salée, tout ceux-là sont des facteurs de risque du cancer. Ce qui est conseillé, c’est d’avoir une alimentation équilibrée et surtout riche en fruits et légumes.
Les patients que vous recevez à votre niveau viennent-t-ils avant que leur situation ne soit critique ?
En 2018, j’ai fait une étude, plutôt un rapport sur les patients de 2018 à 2019 et dans 80% des cas, les patients nous arrivaient lorsque la maladie était très avancée. Sur les 80% des cas certains, soit on ne pouvait plus opérer et dans les pires des cas, on ne pouvait que les accompagner car tout ce qu’on a à notre disposition était déjà inefficace. Ils viennent tardivement pour des raisons que j’ai déjà citées, soit qu’ils ne croient pas au cancer car au Mali on appelle le cancer ‘’Bon’’ (sort), ils pensent d’abord au traitement traditionnel ou radiothérapeute, je n’ai rien contre eux mais chacun a sa spécialité. De deux, ils viennent d’eux-mêmes quand ils y croient, ils n’ont pas les moyens pour y faire face. Quand ils ont les moyens, ceux qui s’occupent du cancer sont en nombre insuffisant. Donc pour y accéder ou même pour que d’autres médecins vous orientent vers eux, ça devient compliqué parce qu’il y’a aussi un manque de formation, un manque de sensibilisation de la population et surtout de nos confrères médecins ou paramédicaux comme les infirmiers ou les sages-femmes. Donc tout ça fait que les patients arrivent à des stades très tardifs.
Est-ce que l’Etat assure la gratuité des traitements du cancer au Mali ?
Je profite de cette question pour remercier l’Etat et encore faire de plaidoyers, encore et encore. L’Etat malien par rapport à beaucoup d’autres pays fait beaucoup de choses pour la prise en charge du cancer, mais ce n’est toujours pas suffisant si je peux m’exprimer ainsi. L’Etat peut faire mieux ! Il y’a un budget annuel qui est voté chaque année pour acheter certains produits de chimiothérapie mais vu le nombre croissant des patients, d’année en année, ce budget est insuffisant parce qu’il est resté fixe depuis l’année 2009. Aujourd’hui, on est en 2020, le nombre de patient a quadruplé.
D’un autre côté aussi, la radiothérapie est gratuite pour tous les Maliens, mais avec un seul appareil, on n’arrive pas à assurer, comme je l’ai dit. Il y’a encore des choses à faire mais on félicite et encourage les autorités pour ce qu’ils font et qu’ils continuent à améliorer la prise en charge du cancer.
Quel appel avez-vous à lancer aux Maliens et aux autorités maliennes pour la prévention du cancer ?
Mon mot de fin, c’est de rappeler à tous les Maliens qu’on est au mois de février, c’est le mois de lutte contre le cancer, il faut que les Maliens se réveillent, qu’ils croient à l’existence du cancer, la réalité parce que tout commence par là. Il ne faut pas qu’ils oublient que ‘’mieux vaut prévenir que guérir’’, et que s’il faut traiter, mieux vaut le faire en stade où on peut encore guérir sans beaucoup de dommages collatéraux. Donc, c’est ensemble qu’on va y arriver. Nous seuls, ne pouvons jamais lutter contre le cancer, on a besoin de la population, on a besoin de l’Etat malien, on a besoin aussi de nos confrères médecins et paramédicaux. Donnons-nous la main pour cette lutte qui est très noble.
Propos recueillis par Mahamadou SARRE