Le Sahel va devoir faire sans les très aguerris militaires tchadiens. Leurs derniers combats meurtriers contre Boko Haram sont pour beaucoup dans cette décision.
Après plusieurs jours d’une lutte acharnée contre des hommes armés présumés du groupe Boko Haram autour du Lac Tchad, et d’énormes pertes en vies humaines parmi les soldats de l’armée tchadienne, le président Idriss Deby Itno a annoncé le retrait de ses hommes des opérations militaires des zones extérieures. Le chef de l’État en a fait la déclaration dans un reportage diffusé en français vendredi 10 avril par la télévision nationale. “Nos soldats sont morts pour le lac Tchad et pour le Sahel. A compter d’aujourd’hui, aucun soldat tchadien ne participera à une opération militaire en dehors du Tchad”.
La première version de cet échange avait été diffusée la veille sur le même canal, jeudi 9 avril, mais en arabe. Le président tchadien a déjà dans le passé engagé des bras de fer avec ses partenaires, faisant de son armée, réputée très efficace, un instrument d’influence dans la région et auprès de ses partenaires internationaux. Mais cette fois, les choses semblent avoir pris une autre tournure.
L’engagement tchadien en jeu
La situation dans le Sahel a connu une grave détérioration en 2019, le positionnement de l’armée tchadienne dans la zone dite des trois frontières, aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso, avait été annoncé en début d’année, après bien des discussions. Après le sommet de Pau, dans le sud-ouest de la France organisé en janvier par le président français Emmanuel Macron, le Tchad s’était engagé à envoyer un bataillon supplémentaire de 480 hommes dans cette zone. La-bas, la force française Barkhane et le G5 Sahel combattent les groupes djihadistes.
Ce déploiement avait été conditionné à une aide financière, selon des sources concordantes. Et le président tchadien ne s’en était pas caché, il a à maintes reprises réclamé la concrétisation des aides promises. Les renforts avaient été ressentis comme un soulagement pour Paris, décidé à inverser le rapport de force sur le terrain. Déjà en route à la mi-mars, ce bataillon avait finalement été stoppé et redéployé en urgence à la fin du mois autour du lac Tchad.
« Opération Bohoma »
Pour quelle raison ? C’est en tout cas depuis Bagassola, en territoire tchadien, où il avait installé dix jours plus tôt le poste de commandement de cette opération que le chef de l’Etat a fait son annonce. Que s’est-il passé ? L’armée tchadienne avait lancé l’opération “Colère de Bohoma” le 23 mars dernier pour venger l’attaque dévastatrice – une centaine de militaires avaient été tués – menée contre ses hommes sur la presqu’île de Bohoma, là où rôdent encore les djihadistes de Boko Haram. L’armée du Tchad affirme avoir terminé cette opération, chassé les djihadistes de son sol et dit se trouver actuellement en profondeur sur le territoire du Niger et du Nigeria. Elle affirme avoir tué 1.000 djihadistes et perdu 52 hommes.
« Nous nous sommes battus seuls aux confins du lac Tchad sans l’apport des pays censés nous aider », a également déclaré jeudi le chef de l’Etat tchadien. Une Force multinationale mixte (FMM) avait été lancée en 2015 par les quatre pays riverains (Nigeria, Tchad, Cameroun et Niger), mais les militaires tchadiens avaient quitté le Nigeria début janvier pour se redéployer sur leur territoire. Idriss Déby Itno a dénoncé à plusieurs reprises l’inaction de ses voisins. Et le week-end dernier, il avait affirmé, visiblement exaspéré, que le Tchad était “seul à supporter tout le poids de la guerre contre Boko Haram”.
Le ministre de la Défense tchadien Mohamat Abali Salah s’est montré plus diplomate à l’issue d’un entretien avec le président nigérien Mahamadou Issoufou à Niamey : « La plupart des opérations ont été (menées) au niveau de la frontière du Niger où beaucoup de bases de Boko Haram au Niger ont été reconquises. Des orientations, des échanges ont lieu pour maintenir ces acquis et les discussions vont continuer. L’opération a pris fin mais la lutte contre Boko Haram continue ».
Pour le journaliste et écrivain Seidik Abba, auteur de “Voyage au coeur de Boko Haram” « autant on comprend la colère de Deby contre les pays censés aider le Tchad dans l’opération colère de Bohoma, autant on regrette l’arrêt de l’engagement militaire tchadien ailleurs en Afrique. C’est l’honneur du Tchad d’intervenir au Sahel et dans le lac Tchad », commente t-il sur Twitter. El Hadj Idi Abdou, acteur de la société civile cité par l’AFP s’est montré compréhensif envers le président Déby : « Le président Déby n’a pas tort.
Apparemment, il est déçu. Il n’a pas obtenu le soutien nécessaire qu’il attendait. C’est une sorte d’interpellation pour faire savoir qu’il y a un minimum de solidarité pour un combat commun. Sa position peut évoluer mais les chefs d’Etat de la Force multinationale et du G5-Sahel doivent vite se concerter pour sauver leur union ». Le président Idriss Déby a déjà prévenu le Niger et le Nigeria que ses troupes quitteraient les bases prises aux djihadistes le 22 avril, que leurs armées prennent le relais ou non.
Source: Le Point.fr