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Phénomène croissant de mendicité : Une bombe à retardement 

Ni les klaxons, ni les vrombissements des engins dans la circulation ne les effraient aux flancs des autoroutes et des artères de la capitale. De tout âge, ceux qui se présentent comme mendiants, encombrent les usagers pratiquement pris en étaux. 

En ce début de la deuxième semaine du nouvel an [mardi 11 janvier, ndlr], nous sommes à l’entrée des logements sociaux de Niamana. Soudain, aux abords de la route nationale qui mène à Ségou, située à plus de 200 km de là, quatre jeunes talibés se dirigent vers la ville. Tous âgés d’environ de 10 ans. Les deux premiers se prennent chacun au col ; ils se tirent. Deux autres les suivent de loin et ne se mêlent pas de cette petite dispute entre copains à la limite une simple taquinerie.

Un motocycliste sur son passage les observe à l’action. Il veut offrir une aumône. Il les aborde, sans pour autant parvenir à attirer leur attention.

Un vendeur ambulant de lunettes qui a vu le donateur appelant, fait signe aux jeunes talibés visiblement occupés par leur mouvement d’humeur. Ils accourent vers le généreux donateur qui glisse une pièce de monnaie dans la main d’un d’entre eux.

Curieux de voir ces jeunes aussi nombreux aux alentours des routes principales de la capitale, à quelques mètres seulement de l’endroit où nous étions, nous faisons escale devant le poste de police de Niamana, opposé à l’entrée du marché à bétails  se trouvant au côté sud de la voie.

Au passage d’un autre jeune mendiant, nous l’avons appelé pour lui gratifier d’une pièce de monnaie afin de mieux l’aborder. Il décline son identité : Mamadou. Deux autres viennent en vitesse vers nous. Selon Mamadou, notre interlocuteur, ils sont venus de Dougabougou dans la région de Ségou et habitent, depuis leur arrivée, à Niamana avec leur maître coranique.

« Nous sommes venus à Bamako, il y a un peu longtemps. Tous les jours nous venons ici pour chercher quelque chose (argent, nourriture) et la nuit, retournons à la maison auprès de notre marabout », explique le mineur Mamadou, 12 ans avoisinant.

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Venus des régions du centre et des pays du Sahel, il faut signaler que les enfants talibés envahissent la capitale Bamako, où aux abords des routes principales, des ronds-points, et même à l’intérieur des quartiers, à la recherche de petite monnaie ou de nourriture, ils se promènent en longueur de journée sans attirer presque l’attention du public.

Ternir l’image de la société

En effet, les difficultés sociales, l’incertitude institutionnelle, le phénomène de terrorisme et de narco trafiquant affilié aux groupes armés non identifiés sévissant dans le centre, absorbent les populations et les gouvernants, lesquels continuent à observer tous naïvement la montée spectaculaire de la mendicité : un danger.

Cet état de fait tire irréfutablement son origine de la situation d’insécurité grandissante dans le Sahel en général avec ses nombreux cas de déplacés internes et externes, naturellement, n’ayant pas suffisamment de moyens de subsistance.

Cette situation sécuritaire contraignant des populations, des femmes et des enfants à des déplacements obligés est à l’origine donc de ce fléau déplorable, ternissant l’image de la société. Malgré tout, la mendicité devient une alternative pour eux. Ne dit-on pas qu’il faut manger pour ne pas mourir ?

S’il faut manger d’abord pour ne pas mourir, est-ce le cas pour tous ces mendiants que nous voyons en longueur de journée ? Qu’est-ce qui pourrait expliquer ce phénomène croissant dans notre pays ?

La pauvreté est inéluctablement un facteur qui encourage ce phénomène. Des gens n’ayant pas de quoi subvenir à leurs besoins s’adonnent à la pratique. Mais, l’Association Malienne de Lutte contre la Mendicité et pour la Réinsertion des Jeunes Mendiants (A.M.R.P.J.M), estime que c’est tout à fait le contraire, depuis un certain temps.

Une activité lucrative

Le secrétaire général de cette Association, Amadou Boubacar Coulibaly, rappelle qu’il est difficile, actuellement, d’éradiquer le phénomène de la mendicité, devenu une activité lucrative pour certains qui s’y donnent. «Les jeunes mendiants ont déjà pris l’habitude d’avoir les choses facilement. Eradiquer ce phénomène est un travail dur, très dur même », reconnait-il.

Travaillant également pour leur réinsertion dans la vie sociale, M. Coulibaly trouve aussi que cela n’est pas du tout facile. « On fait de notre mieux. On les recueils, on leur donne des formations, mais souvent, ils fuient. On continue à les regarder, quand on les trouve, on les ramène encore en les donnant quelques corrections, des conseils pour qu’ils continuent à travailler », ajoute-t-il.

Pour ceux qui ont la faculté de pouvoir travailler, c’est-à-dire, les plus de 12 ans, selon le secrétaire général, l’Association essaie de les mettre parmi les illettrés dans un centre de formation pour leur apprendre un métier comme la soudure, la maçonnerie, électricité… Là-bas, indique-t-il, ils apprennent la langue bambara et à écrire un peu le franc.

« On a beaucoup échangé avec les maîtres talibés, il y en a qui ont sollicité si on pouvait assurer leurs relais. Ils disent envoyer ces talibés pour aller mendier parce qu’ils n’ont pas d’aide et ne peuvent pas les prendre en charge. Ils apprennent le Coran pendant la nuit et le matin de bonheur. Dans la journée, ils partent chercher quelque chose à manger et à ramener à la maison », poursuit notre interlocuteur, qui précise que certains maîtres talibés ont refusé de les rencontrer dès lors qu’ils ont souhaité parler, avec eux, de la situation de la mendicité.

L’autre cas fulgurant de cette mendicité, ce sont des mères de jumeaux, assises aux abords des voies publiques. « On a eu à rencontrer celles qui sont aux abords des routes avec des jumeaux, c’est un marché pour elles. On a décelé de faux jumeaux », précise-t-il, avant d’ajouter qu’il y a certains qui se disent mendiants, mais, arrivé chez eux, vraiment, c’est le contraire.

Un désordre

Essentiellement encadrés pour la mémorisation du Saint Coran par des marabouts, les jeunes talibés sans couverture de l’Etat dans l’apprentissage des métiers afin de leur permettre de vivre, après, dignement, restent donc cette couche sociale qui augmente le taux de chômages, livre notre pays au grand banditisme et à la délinquance juvénile.

Face à cette situation, il est important d’interpeller les plus hautes autorités du pays afin qu’elles jettent un regard attentif sur ce petit monde de mendiants qui se propage comme un virus.

Même si la pratique est punie par le code pénal du Mali à travers la loi N°01-079 du 20 août 2001, la mendicité et l’incitation à la mendicité ont de beaux jours dans notre pays. Les articles 193 et 184 du code pénal sont clairs là-dessus. Ils condamnent la mendicité de 15 à 6 mois d’emprisonnement et cela même s’il s’agit de personnes invalides.

En décembre 2021, les participants aux ANR ont recommandé à nouveau l’interdiction de la mendicité au Mali aux autorités de la Transition, déterminées à mettre de l’ordre au plus niveau de l’Etat. S’il est vrai que le phénomène de mendicité crée sans doute un désordre dans la capitale, celui-ci prend de l’ampleur pendant que les autorités veulent mettre de l’ordre dans la conduite de l’Etat. Paradoxal.

Mais, Paul Valéry avait juste vu, quand il déclarait : ‘’Il y a deux grands maux qui menacent le monde ; l’ordre et le désordre’’.

O. Morba

Le SOFT

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