PAR : Choguel Kokala MAÏGA Dramane DEMBELE Mamadou TRAORE Modibo SIDIBE Mohamed Ali BATHILY Mountaga TALL Moussa Sinko COULIBALY Oumar MARIKO Soumaïla CISSE 1
La violation par les juges des lois dont ils sont chargés de l’application et ses conséquences, notamment à l’occasion des élections présidentielles de juillet et août 2018.
- A- Le juge n’est pas au-dessus de la loi
Le juge ne crée pas la loi et ceci, en vertu du respect de la séparation des pouvoirs. La prérogative de créer la loi appartient au législateur, c’est-à-dire aux représentants du peuple, les députés. Du moins, tel est le principe.
Le juge doit se contenter de dire le droit, c’est-à-dire de l’appliquer et, à cette occasion, il sera amené à les interpréter sans les dénaturer. En aucun cas, il ne peut ignorer la loi ou lui substituer sa propre volonté. Si la demande lui en est faite, le juge a l’obligation de rendre la justice.
Le rappel succinct de ces principes permet d’apprécier, dans les lignes qui vont suivre, les conséquences pouvant découler du mépris des lois par les membres de la Cour Constitutionnelle, à l’occasion des élections présidentielles du 29 juillet et du 12 août 2018, ou par les membres de la Cour Suprême.
- B- La violation de la loi organique n°97-010 du 11 Février 1997.
Cette loi détermine les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, ainsi que la procédure suivie devant elle.
Toutes les juridictions sont organisées et fonctionnent selon des règles qu’elles sont tenues de respecter. Ces règles relèvent de la procédure et ne peuvent être violées sans conséquence. Elles sont d’ordre public, c’est-à-dire s’imposent donc à la fois aux juges et aux justiciables.
Autrement dit, nul ne peut les violer. Les juges et les justiciables, sont tous contraints de les respecter. On dit que nul ne saurait y déroger, se soustraire à leur application, sous peine de nullité, et de nullité absolue.
Par-là, il faut comprendre que la violation des règles de procédure entraine chaque fois l’anéantissement des actes qui en sont issus. Ces actes sont considérés comme 2
n’ayant aucune existence juridique et ne peuvent donc être opposés aux autres qui, par conséquent, ont le droit de refuser de leur obéir.
Celui qui veut se prévaloir d’un acte issu de la violation d’une loi de procédure, est privé de tout moyen légal d’imposer cet acte aux autres, tout simplement parce qu’il s’agit d’un acte illégal, nul et de nul effet. Persister à le faire, ne relèverait même pas de l’abus de droit, puisque l’illégalité ne saurait constituer un droit, mais relèverait plutôt de l’arbitraire et voire de la violence, morale ou physique.
Considérons, à la lumière de ce qui vient d’être dit, les dispositions de la loi organique n°97-010 du 11 Février 1997.
En l’occurrence, il s’agit :
➢ D’abord, de l’article 8 de ladite loi qui dispose que : « Les membres de la Cour Constitutionnelle ont pour obligation générale de s’abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l’indépendance et la dignité de leurs fonctions. Ils ont l’obligation en particulier… de ne prendre aucune position publique sur les questions ayant fait ou susceptibles de faire l’objet de décision de la part de la Cour, de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence de la Cour Constitutionnelle ».
La lecture de ce texte laisse clairement percevoir que les membres de cette juridiction sont tenus de respecter certaines obligations, sans aucun moyen d’y échapper.
Ils sont soumis en premier lieu à une obligation générale qui consiste, pour eux, à éviter de commettre tout comportement qui pourrait porter atteinte à leur indépendance et à la dignité de leur fonction.
En d’autres termes, ils doivent veiller à préserver leur neutralité et leur impartialité, qui constituent pour le justiciable un gage de sécurité et de crédibilité de la décision qu’ils sont appelés à prendre.
Lorsque le comportement personnel du magistrat conduit le justiciable à douter de lui et à ne plus lui accorder sa confiance, il va sans dire que ce magistrat a, pour le moins, porté atteinte à la dignité et à l’honneur de sa fonction, et qu’il a compromis son indépendance, c’est-à-dire son impartialité et sa neutralité. 3
L’obligation générale ainsi visée par l’article 8 est renforcée par certaines obligations particulières que le juge constitutionnel est également tenu de respecter, notamment celles :
– de ne prendre aucune position publique sur les questions soumises à sa décision ou susceptibles de l’être ;
– de ne donner aucune consultation, aucun avis par écrit sur des questions pour lesquelles la Cour Constitutionnelle est compétente.
Ces obligations sont claires et précises. Les membres de la Cour Constitutionnelle doivent absolument les respecter. Elles ne doivent, sous aucun prétexte, être violées et ne sont guère négociables.
Comme pour certifier qu’il n’y a, pour les membres de la Cour, aucune permission de violer ces obligations, l’article 10 de la loi n°97-010 du 11 Février 1997 prévoit une sanction on ne peut plus sévère à l’encontre de celui ou de celle qui ne les respecterait pas.
➢ L’article 10 dispose en effet que : « La Cour Constitutionnelle constate, le cas échéant, la démission d’office de celui de ses membres qui…aurait méconnu les obligations générales et particulières visées aux articles 3 et 8 ci-dessus ».
La démission d’office est un véritable couperet qui vient mettre fin à la qualité de membre de la Cour, de celui ou celle dont il sera prouvé qu’il (ou elle) a violé les obligations définies à sa charge par l’article 8.
Cette sanction n’est soumise à aucune formalité dès lors que sa preuve ne souffre d’aucun doute et qu’il ne reste qu’à la constater.
Le constat est dressé par la Cour qui n’a pas les moyens de se dérober. La loi l’engage à le faire, elle « constate » la démission d’office.
Si elle « fermait les yeux » sur les manquements commis par le membre qui aura violé les obligations instaurées par l’article 8 ci-dessus, il en résulterait que la Cour aura perdu son indépendance, sa neutralité et son impartialité, ce faisant, l’honneur et la dignité qui s’attachent à l’exercice de ses fonctions.
Les articles 8 et 10 de la loi n°97-010 du 11 Février 1997 sont là les textes qui ont été violés par les membres de la Cour Constitutionnelle. 4
- Par Madame la Présidente de la Cour Constitutionnelle
Pendant que le processus électoral avait déjà commencé, Madame Manassa Danioko, Présidente de la Cour Constitutionnelle, a donné une consultation à Monsieur le Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation, en violation de l’article 8 de la loi ci-devant visée.
La preuve de cette consultation est fournie par sa lettre n°082/P-CCM du 26 juillet 2018, constituant sa réponse à la demande dudit Ministre. Cette demande avait pour objet de requérir son avis sur l’interprétation de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016, notamment en ses dispositions qui traitent de la procuration.
De surcroît, son avis revêt un caractère public car il a été donné à un service public qui a pris le soin de le diffuser largement, de le classer au secrétariat de la Cour où il peut être consulté par chaque membre de ladite. Or, l’article 8 ci-devant visé lui interdit formellement de donner un caractère public à son avis.
Trouvant que cet avis était « sans équivoque », le Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation en répercuta le contenu au niveau de ses services en charge des élections présidentielles (les gouvernorats, préfectures, sous-préfectures et mairies). Il leur adressa à cet effet une instruction n°2018-000665/MATD-SG du 28 juillet 2018 relative au vote par procuration.
Il suffira de dire, à ce stade, que Madame la Présidente ne pouvait ignorer que son avis touchait « une question susceptible de faire l’objet de décision de la Cour ». De la même manière, elle ne pouvait ignorer que les contestations liées aux conditions de délivrance des procurations relèvent « de la compétence de la Cour Constitutionnelle ».
En violant l’obligation qu’elle avait de ne point donner cet avis, elle s’est ainsi exposée elle-même à la sanction prévue par l’article 10, sa démission d’office qui doit être constatée par la Cour.
En plus de cet avis ainsi incriminé, elle s’est encore permise d’émettre un second avis constituant un commentaire de son propre arrêt, l’arrêt n°018-03/CC/EP du 08 août 5
- 2018. Il s’agit de l’arrêt portant proclamation de résultats définitifs du 1er tour de l’élection présidentielle.
En conclusion donc de cette partie, il y a lieu de retenir que Madame la présidente a violé par deux fois l’obligation qu’elle avait, aux termes de l’article 8 ci-devant visé, à savoir :
– lorsqu‘elle a émis un avis sur les procurations, en réponse à une demande du Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation ;
– et lorsqu’elle s’est livrée au commentaire de son propre arrêt sur la proclamation des résultats, alors même que le processus électoral n’était pas encore terminé et qu’elle a publié ce commentaire sur le site de la Cour Constitutionnelle.
Ces diverses violations sont sanctionnées aux termes de l’article 10 de la loi 97-010 du 11 Février 1997 par la démission d’office de Madame la présidente de la Cour Constitutionnelle.
Selon ce même texte, cette démission doit être constatée par la Cour Constitutionnelle ; c’est-à-dire par les autres membres de cette juridiction, sous la nouvelle présidence de leur doyen.
Le constat de la démission d’office, est une mesure de police interne à la Cour qui doit veiller à la faire respecter parce qu’elle touche à sa propre compétence. Cette compétence est violée dès lors qu’elle admet, en son sein, une personne qui a perdu sa qualité de membre comme c’est le cas pour Madame la Présidente.
L’autorité et la force des jugements est liée à la qualité des membres de la juridiction ayant rendu lesdits jugements.
Autrement dit, la parole d’une personne qui a été démise d’office de ses fonctions, n’a pas les caractères d’un jugement. Celui qui perd sa qualité de juge ne peut prononcer un jugement, sa parole est loin d’incarner la légalité qui confère au jugement son authenticité, donc son pouvoir d’être appliqué. 6
- La violation de la loi du 11 Février 1997 par les autres membres de la Cour Constitutionnelle.
Les huit autres membres de la Cour, sous la présidence nouvelle de leur doyen d’âge, devaient statuer sur la violation de l’article 8 de la loi n°97-010 du 11 Février 1997, et constater « la démission d’office » de Madame Manassa Danioko, la présidente défaillante, en application de l’article 10 de ladite loi.
Avant d’intervenir sur les procédures et les questions qui lui sont soumises, toute juridiction doit d’abord vérifier que sa propre compétence est respectée. Elle doit s’assurer de la qualité de ses membres, et lorsque cette qualité fait défaut, elle ne peut statuer.
En effet, lorsque la Cour statue et proclame les résultats avec dans sa composition la présidente défaillante, il va sans dire que la présence inopportune de celle-ci affecte et détruit sa propre compétence. Il en résulte la nullité totale de la procédure, donc celle de l’arrêt proclamant les résultats.
Malheureusement, les autres membres de la Cour Constitutionnelle, qui avaient l’obligation de constater la démission d’office de la présidente défaillante, ont refusé d’appliquer à celle-ci cette sanction.
Une telle attitude équivaut de leur part, à la désorganisation et au dysfonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
C’est là, forcément, la forfaiture telle qu’elle est punie comme un crime par les articles 72 et 73 du Code pénal.
L’article 72 dispose que « Tout crime commis par un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions est une forfaiture ».
L’article 73 dispose que « Tout acte de forfaiture sera puni de cinq ans au moins et de dix ans au plus de réclusion, lorsque la loi n’aura pas prévu une peine inférieure ou supérieure ».
La forfaiture commise par les membres de la Cour Constitutionnelle relève « de la coalition des fonctionnaires contre la constitution et les lois« , telle que cette infraction est définie au titre II, chapitre VII du Code pénal. 7
En effet, ce titre porte sur les « crimes et délits contre la chose publique » et le chapitre VII sur la coalition ainsi incriminée.
Que faut-il entendre par « fonctionnaire public » ?
Selon l’article 77 du Code pénal, « sont réputés fonctionnaires, tous citoyens qui, sous une dénomination et dans une mesure quelconque, sont investis d’un mandat même temporaire, rémunéré ou gratuit, dont l’exécution se lie à un intérêt d’ordre public, et qui, à ce titre, concourent au service de l’Etat, des administrations publiques, des communes ou des groupements administratifs ».
Lorsque ces fonctionnaires publics s’entendent pour prendre des mesures ou des décisions contraires à la Constitution et aux lois, ils seront punis de la peine de 5 ans à 20 ans de réclusion. Cette peine pourrait être assortie de l’interdiction des droits civiques et de tout emploi public pendant 10 ans au plus (article 78 du Code pénal).
On voit bien que les membres de la Cour Constitutionnelle sont des fonctionnaires au sens de l’article 77 du Code pénal.
En refusant de se soumettre à l’application des articles 8 et 10 de la loi n°97-010 du 11 Février 1997, ils tombent sous le coup de l’application des articles 72, 73, 77 et 78 du Code pénal en tant qu’auteurs principaux pour tous les autres membres de la Cour, à l’exception de Manassa Danioko, la présidente défaillante qui devient leur complice.
- C- Les plaintes adressées aux juridictions compétentes pour connaitre les infractions commises par les membres de la Cour Constitutionnelle.
Les membres de la Cour Constitutionnelle restent passibles de poursuites pénales pour les faits constituant des infractions pouvant être qualifiées de crimes ou délits.
Selon l’article 7 de la loi n°97-010 du 11 Février 1997, « sauf le cas de flagrant délit, les membres de la Cour Constitutionnelle ne peuvent être poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés en matière pénale qu’après avis de la Cour Constitutionnelle ».
Comment faut-il comprendre ce texte ?
Il faut tout de suite commencer par dire que l’article 7 qui vient d’être évoqué ne donne aucune immunité aux membres de la Cour Constitutionnelle. L’immunité, si elle existait, signifie une mesure qui s’oppose définitivement à la poursuite pénale. Il est 8
clair et évident que l’article 7 de la loi déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle n’accorde pas du tout le privilège de l’immunité aux membres de cette juridiction.
Lorsque ceux-ci commettent des infractions, les juridictions chargées de les poursuivre ont seulement l’obligation d’en informer la Cour Constitutionnelle avant d’engager leurs poursuites, arrestations, détentions ou avant de les juger.
La Cour Constitutionnelle doit leur transmettre son avis sur les faits reprochés à ses membres, faits pour lesquels ils sont passibles de poursuite, d’arrestation, de détention et de jugement.
L’avis en question, dans tous les cas, ne lie pas les juridictions pénales ; il ne peut mettre fin à la poursuite, à l’arrestation, à la détention ou au jugement de ceux des membres de la Cour Constitutionnelle visés par les infractions pénales.
Lorsque les faits constituent un cas de flagrant délit ou de flagrant crime, les juridictions pénales sont autorisées à poursuivre, arrêter, détenir ou juger les membres de la Cour Constitutionnelle, sans demander son avis.
Le flagrant délit et le flagrant crime sont définis par l’article 65 du Code pénal qui dispose que : « le crime ou le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre … est qualifié crime ou délit flagrant. ».
Le 31 août 2018, les candidats Soumaïla Cissé, Mohamed Ali Bathily, Choguel Kokala Maïga, Daba Diawara, Dramane Dembélé, Mamadou Traoré, Mountaga Tall et Moussa Sinko Coulibaly ont, par l’entremise du Cabinet de Maître Magatte A. Seye, porté plainte pour forfaiture et coalition de fonctionnaires contre la Constitution et la loi.
Cette plainte vise Madame Manassa Danioko, Madame Fatoumata Diall, Messieurs M’Pèrè Diarra, Mahamadou Boiré, Zoumana Moussa Cissé, Seydou Nourou Kéïta, Modibo Guindo, Baya Berthé et Bamassa Sissoko.
Les faits, objet de la plainte adressée à la Cour Suprême du Mali, à la Cour d’Appel de Bamako et au Tribunal de la Commune IV du District de Bamako, constituent des cas de flagrants crimes, en ce sens qu’ils ont été portés à la connaissance de l’opinion publique et de la Cour Constitutionnelle dès leur commission. 9
Leur poursuite n’est nullement soumise à la plainte des parties civiles, elle doit être faite d’office par les parquets compétents.
Cela signifie que les tribunaux en charge des poursuites, une fois que les faits ont été révélés, devraient immédiatement enclencher l’action publique devant permettre d’ouvrir les enquêtes de police judiciaire et les enquêtes spécifiques aux juridictions pénales elles-mêmes.
La situation de flagrance est ici évidente en ce qu’elle sanctionne des infractions continues.
En effet, cette infraction commence par la violation de l’obligation particulière de l’article 8, par Madame la présidente, notamment celle qui lui interdit de donner publiquement son avis ou de faire une consultation sur une question relevant de la compétence de la Cour Constitutionnelle.
Ensuite, l’infraction se poursuit par la défaillance des autres membres de ladite Cour qui, en refusant de constater la démission d’office de Madame la présidente de la Cour, en refusant d’informer de cette situation l’autorité de nomination de cette dernière pour que celle-ci procède à son remplacement dans les 30 jours (article 10, alinéa 2), commettent le crime de forfaiture (articles 72 et 73 du Code pénal) et le crime de coalition de fonctionnaires contre la Constitution et la loi (articles 77 et 78 du Code pénal).
Ces infractions deviennent continues et successives lorsque, malgré ses violations constatées de la loi, Madame la présidente de la Cour Constitutionnelle, normalement frappée par la démission d’office, et les autres membres visés par la forfaiture et la coalition de fonctionnaires contre la Constitution et la loi, se sont ensemble entendus pour tenir audience et proclamer les résultats définitifs des deux tours de l’élection présidentielle.
L’état de flagrance de la survenance des faits incriminés résulte du caractère continu et successif des infractions visées, notamment en ce qu’elles se sont constituées à l’occasion d’un processus étalé dans le temps.
Ceci, pour dire que les organes de poursuite, saisis par les plaintes, sont totalement dispensés de l’obligation de passer par l’avis de la Cour Constitutionnelle pour agir. 10
Le cas échéant, cet avis, s’ils le demandaient, quel qu’il soit, favorable ou non favorable, ne saurait être une cause d’extinction des infractions dénoncées.
En effet, l’article 10 parle d’un avis qui ne saurait, en aucun cas, être compris comme un fait justificatif qui neutraliserait ces infractions, ou une immunité, c’est-à-dire un privilège empêchant leur poursuite.
- D- La question de l’investiture du Président de la République et le droit pénal
Selon l’article 37 de la Constitution, le Président élu, avant d’entrer en fonction, 15 jours après la proclamation officielle des résultats, prête serment devant la Cour Suprême.
Est-ce que cette juridiction doit accepter la prestation de serment du Président de la République, lorsque la proclamation officielle des résultats fait l’objet d’une plainte déposée devant elle ?
Autrement dit, la prestation de serment est intervenue le 4 septembre 2018 alors que déjà, le 31 août 2018, une plainte était déposée contre l’ensemble des membres de la Cour Constitutionnelle pour forfaiture, coalition de fonctionnaires et complicité de ces infractions.
Est-ce que la proclamation officielle des résultats peut être faite par les membres de la Cour Constitutionnelle lorsqu’ils sont tous frappés, au-delà des infractions commises, par la démission d’office, telle qu’elle est visée dans la loi portant organisation et fonctionnement de cette juridiction ? Que vaut leur parole, une proclamation ou une simple déclamation ?
Manifestement, la présidente Madame Manassa Danioko est frappée par la démission d’office pour avoir donné une consultation écrite, rendue publique et pour avoir publié un commentaire sur le site de la Cour Constitutionnelle, le tout en violation des obligations particulières visées par l’article 10 de la loi n°97-010 du 11 Février 1997.
Quant aux autres membres de la Cour, ils sont également frappés par leur démission d’office, en application de l’article 10 ci-dessus.
En s’abstenant de constater la défaillance de Madame Manassa Danioko, ils ont non seulement commis une forfaiture, mais aussi et surtout violé l’obligation générale que l’article 8 de la loi n°97-010 du 11 Février 1997 met à leur charge, notamment de 11
« s’abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l’indépendance et la dignité de leur fonction ».
Dès lors, on ne peut éviter de se poser la question de la validité juridique de la proclamation des résultats faite par une juridiction, la Cour Constitutionnelle, qui n’avait d’autre choix que de constater la démission de ses propres membres aux termes de l’application des articles 8 et 10 de la loi portant son organisation et son fonctionnement.
En effet, elle était obligée de constater la démission d’office de ses propres membres, d’en informer l’autorité de nomination dans les 30 jours suivant leur démission.
En proclamant les résultats, les membres de la Cour sont allés au-delà de leur situation personnelle qui s’analyse en la violation des obligations générales et particulières résultant de l’article 8, qu’il leur incombait d’assumer.
La proclamation des résultats étant un élément constitutif des crimes de forfaiture et de coalition de fonctionnaires ainsi que de leur complicité, elle ne peut dès lors servir de base à la prestation de serment du Président de la République, en application de l’article 37 de la Constitution.
La Cour Suprême, au nom de la primauté de la loi, avait la charge, sur la base de la plainte à elle adressée, de prendre des mesures conservatoires, notamment afin d’empêcher la prestation de serment qui n’est, de toute évidence, que la conséquence des proclamations de résultats faites en violation des lois et constituant, pour cette raison, des infractions.
En se privant de prendre ces mesures, les membres de la Cour Suprême n’ont pu que s’engouffrer et s’enfermer eux-mêmes totalement dans lesdites infractions, objet de la plainte adressée à leur juridiction.
Aucune investiture ne peut juridiquement être fondée sur la proclamation de résultats définitifs d’une élection présidentielle, lorsque cette proclamation constitue le corps des infractions pour lesquelles les membres de la Cour Constitutionnelle sont poursuivis.
Ces infractions étant constitutifs de crimes, elles suffisent, même en application de la présomption d’innocence, à déterminer la Cour Suprême à sursoir à l’investiture, donc à l’empêcher, en attendant une proclamation des résultats respectueuse des lois. 12
Le cas échéant, lorsque la Cour Suprême, malgré cette situation, fait prêter serment au Président de la République, le 4 septembre 2018, elle ne peut, par une telle situation, que prolonger et aggraver les violations toutes flagrantes des lois en matière électorale et en matière pénale.
La violation des lois et des normes administratives sont de nature à remettre en question « les acquis démocratiques ». Ces acquis-là, aux termes de l’article 37 de la Constitution, doivent être préservés par le Président de la République qui en fait le serment : « …devant Dieu et le peuple malien… ».
Que vaut en effet le serment d’un Président de la République lorsqu’il jure « …devant Dieu et le peuple malien… de respecter et de faire respecter la Constitution et la loi… » ; lorsque, précisément les membres de la Cour Constitutionnelle qui l’ont déclaré définitivement élu sont poursuivis pour forfaiture et pour avoir fait une coalition contre l’application de la Constitution et la loi ?
Que vaut encore ce serment lorsque le Président de la République y est amené à jurer « …devant Dieu et le peuple malien…de préserver les acquis démocratiques » ? (article 37 de la Constitution).
Il va de soi qu’un tel serment est nul et de nul effet ; puisque, pour préserver les acquis démocratiques, il faut que les lois s’appliquent et non qu’elles soient violées.
Il ne peut naitre de la violation de la loi, la légitimation et encore moins la légalité de l’élection du Président de la République sans que celui-ci ne commette un parjure qui ferait juridiquement de lui le complice des infractions incriminées.
La Cour Suprême ne peut ignorer l’ensemble de ces développements juridiques. Elle a pourtant organisé la prestation de serment du Président de la République, malgré une telle compilation d’infractions qui ont conduit à l’arrêt de proclamation de résultats, par les membres de la Cour Constitutionnelle poursuivis devant elle.
Ce faisant, les membres de la Cour Suprême qui ont statué violent à leur tour les articles 72, 73, 78 et 79 du Code pénal. Ensemble, avec leurs homologues de la Cour Constitutionnelle, ils sont parvenus à placer le Président de la République dans la complicité des infractions qu’ils ont commises et pour lesquelles ils sont poursuivables.
La complicité est punie par les articles 59 et 60 du Code pénal. 13
Pour terminer, il suffira de dire que le Président de la République est passible de poursuite pénale pour :
– « haute trahison ou à raison des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de… » ses fonctions, selon les termes de l’article 95 de la Constitution ;
– avoir mis en péril le régime républicain qu’il a juré, « …devant Dieu et le peuple malien de préserver en toute fidélité …».
Le refus par les juridictions de respecter et de faire respecter la loi, en voulant coûte que coûte conférer la légalité à l’élection du Président sortant, ne peut se faire que dans un régime qui a cessé d’être républicain. La République ne peut s’entendre que du respect des lois, car elle est elle-même d’essence juridique. La violation des lois est la marque de l’arbitraire et de la dictature.
Selon l’article 121 de la Constitution, lorsque la forme républicaine de l’Etat est remise en cause, notamment par le fait des tribunaux de refuser l’application des lois qui gouvernent le processus électoral et par l’acceptation du Président de la République de tirer profit de cette inapplication pour se maintenir au pouvoir, « …Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat… ».
Le droit du peuple à la désobéissance civile est un droit constitutionnel, son exercice permet « de…préserver les acquis démocratiques… » dont le Président de la République a, selon son serment, la charge mais qu’il a violé de par son comportement, en acceptant l’inapplication des lois par les juridictions ci-dessus visées.
Les deux juridictions, Cour Constitutionnelle et Cour Suprême, sont des institutions constitutionnelles (Titre VIII et Titre IX de la Constitution). Le Président de la République, à ce titre, est garant de leur respect et de leur fonctionnement.
Il convient et il suffit de rappeler que si la démocratie incarne un ensemble de principes qui doivent fonder la gouvernance, seul l’Etat de droit, c’est-à-dire l’application effective des lois et des normes administratives, permet d’en apprécier la réalité et l’effectivité. 14