Le vendredi 1er septembre 2023 restera gravé dans les mémoires des Maliens comme une journée sombre pour la démocratie. Ce jour-là, la 45e promotion des Officiers de l’École Militaire Interarmes (ÉMIA) de Koulikoro a été baptisée « Feu Général d’Armée Moussa Traoré ». Une décision choquante qui a suscité l’indignation et l’incompréhension au sein de la population malienne.
Moussa Traoré, qui a dirigé le Mali d’une main de fer pendant plus de deux décennies, de 1968 à 1991, a été évincé du pouvoir par le vent de la démocratie des années 90. Son règne a été marqué par la répression brutale, les violations des droits de l’homme et la persécution de l’opposition politique. Son parti unique, l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM), a régné en maître absolu, étouffant toute dissidence.
Pourtant, c’est de ce parti que provient l’actuel Premier Ministre de la transition, Choguel Kokalla Maïga, qui n’hésite pas à critiquer les acteurs du mouvement démocratique ayant renversé son mentor d’alors, feu Moussa Traoré. Cette ironie n’est pas passée inaperçue, et elle ne fait que renforcer l’impression que cette réhabilitation est un affront à la mémoire des nombreuses victimes du régime de Moussa Traoré.
Le Chef Suprême des Armées, Colonel Assimi Goïta, a tenté de justifier cette décision en invoquant la « reconnaissance du mérite » au sein des Forces armées de Défense et de Sécurité. Il a salué la prétendue « valeureux, intègre, patriote » du Général Moussa Traoré et son dévouement au renforcement de l’outil de défense du pays. Cependant, cette tentative de glorification d’un régime marqué par la répression et la violence est inacceptable.
Le scandale réside dans le fait que cette réhabilitation ignore délibérément les victimes du régime de Moussa Traoré, en particulier les martyrs du 26 mars 1992. Ce jour-là, des milliers de Maliens ont manifesté pour la démocratie, et leur demande a été réprimée dans le sang. Les cicatrices de cette tragédie sont toujours visibles dans la société malienne, et la décision de célébrer le nom de Moussa Traoré est une insulte à leur mémoire.
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La démocratie malienne, durement acquise, est aujourd’hui mise en péril par cette décision aberrante. Elle envoie un message déconcertant aux citoyens, leur faisant croire que les abus du passé peuvent être ignorés et oubliés. La réhabilitation de Moussa Traoré est un affront à la justice et à la vérité. Elle est condamnée de manière catégorique par les acteurs politiques, surtout ceux du mouvement démocratique.
Certains militants de l’ADMA-PASJ ne vont pas par le dos de la cuillère. « La restauration en marche. Les martyrs de 1991 sont morts une fois de plus », regrette Mohamed Chérif Coulibaly. Et Mamadou Sissoko d’opposer son « non à la falsification de l’histoire ». « Le vendredi noir !», s’exclame Hamidou Cissé selon lequel « un assassin ne peut jamais être un homme d’Etat ». « Franchement, il y a de se poser des questions », s’indigne Mathias Togo qui interroge : « On peut se dédire jusqu’à ce point ? Qu’est-ce qui se passe dans mon pays ? »
Même son de cloche à l’Espoir pour la République et la Démocratie (EDR). « On a beau vouloir tordre le cou à l’histoire à travers une sordide tentative de réécriture, les faits têtus comme jamais, remonteront toujours à la surface pour confondre les faussaires. Nul n’a le droit de falsifier la mémoire d’un Peuple, ni de tronquer l’histoire d’un pays. Oui, on a beau maquillé un canasson, qu’il n’en sera pas pour autant un crack pur-sang. Un fayot restera toujours un fayot », a réagi Me Boubacar Karamoko Coulibaly. Qui a exprimé une pensée émue pour ses camarades de l’UNEEM, « tués ou marqués à jamais dans leurs chairs et leurs âmes par le régime fasciste et sanguinaire du dictateur Moussa Traoré ».
« Le 19 Novembre 1968 est la plus grande catastrophe (Naqba ) tombée sur le Mali », a martelé Me Boubacar Karamoko Coulibaly qui dit compatir aussi « à la grande déception et à l’immense tristesse de tous ceux dont on a ainsi voulu effacer le martyre des parents au sinistre bagne mouroir de Taoudeni ».
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Le militant de l’EDR reste, certes, ouvert à la « réconciliation, mais dans la sincérité et la vérité ». Alors que feu Président Moussa Traoré « jusqu’à sa mort, n’a jamais daigné présenter le moindre pardon à qui que ce soit comme s’il avait régné impunément ». « Ses 23 ans de dictature implacable ont été régulièrement jonchées de cadavres et de suppliciés », a-t-il remémoré.
Malgré son soutien à la transition en cours au Mali sous colonel Assimi Goïta, Me Coulibaly est loin d’accorder un « blanc-seing » à « ce grossier et sinistre personnage de l’histoire politique du Mali ». « Que Dieu fasse miséricorde dans janna tulfirda ou à toutes les victimes », a imploré Me Bobacar Karamoko Coulibaly.
Me Coulibaly est formel, « sur certaines situations ou certains personnages, on peut, on pourra tromper un temps le peuple ou une partie du peuple, mais jamais tout le temps. Il est très dangereux de flatter la croupe et la vanité des sots qui se croient pourtant les plus intelligents de l’histoire de l’humanité. Aucune faiblesse, aucune sympathie ne doit nous y conduire ou nous y maintenir. L’Etat a encore plus important et plus urgent à régler ou à gérer.Alors arrêtons de nous fourvoyer et de nous ré concentrer sur l’essentiel. »
Somme toute, cette action des autorités de la transition aura un impact sur la démocratie malienne et sur la mémoire des victimes. La réconciliation nationale ne peut pas être construite sur l’oubli des souffrances passées. La réhabilitation de Moussa Traoré est un triste rappel que la vigilance démocratique est toujours nécessaire pour préserver les acquis chèrement gagnés par le peuple malien.
D.C.A
Source : Le Soft