Dr. Mohamed S. Helal, professeur adjoint de droit (Moritz College of law and affiliated), Centre Mershon des Etudes sur la Sécurité Internationale (Université d’Ohio), est actuellement conseillé juridique auprès du Ministère égyptien des Affaires Etrangères.
Dans la 2ème partie de ce bilan en trois parties, je discute des négociations sur le Grand Barrages de la Renaissance Ethiopienne (GBRE) qui ont eu lieu ces derniers mois, auxquelles ont participé les Etats –Unis et la Banque mondiale, et je donne également une description générale de l’accord qui a été conclu à la fin de ce processus.
La fin du jeu américain
A la fin de 2019, il était devenu évident pour tout le monde en Egypte que les pourparlers trilatéraux sur le GBRE étaient infructueux. Tous les forums et formats de négociations avaient été épuiser, et lors de la dernière réunion du Groupe National indépendant de Recherche Scientifique (GNIRS), il était parfaitement clair que les divergences entre les trois pays augmentaient, sachant que nous manquions également de temps, surtout que l’Ethiopie avait annoncé qu’elle commencerait le remplissage de son barrage au cours de la prochaine saison des pluies qui tombent d’habitude sur le hauts plateaux abyssins, provoquant l’inondation annuelle du Nil qu’Hérodote d’Halicarnasse a beau décrire dans les Histoires, la réalité n’est, malheureusement, pas toujours pareille.
Partant, en vertu de l’article 10 de l’Accord de la Déclaration des principes, conclu en 2015, qui permet aux Etats parties de régler leurs différends concernant la mise en œuvre de ladite Déclaration, par le biais, entre autres, de la médiation, l’Egypte et la Banque mondiale pour se joindre aux négociations afin d’aider les trois pays à parvenir à un accord sur le GBRE.
Les Etats-Unis et la Banque mondiale ont accepté l’invitation de l’Egypte, ce qui a conduit au lancement de négociations intensivités comprenant douze réunions qui ont duré de novembre 2019 à février 2020. Au cours des cinq réunions qui se sont tenues dans la région, les Etats-Unis étaient représentés par une équipe exceptionnelle du ministre du Trésor, tandis que les autres réunions à Washington DC étaient présidées par le secrétaire américain au Trésor, ‘’Steven Mnuchin’’. Les dates et lieux de ces réunions étaient les suivants :
1-6 novembre 2019 : Réunion des ministres des Affaires étrangères et des Ressources en eau-Washington D.C
2-15-16 novembre 2019 : Réunion des ministres des Ressources en eau-Addis –Abeba
3-2-3 décembre 2019 : Réunion des ministres des ressources en l’eau-Le Caire
4-9 décembre 2019 : Réunion des ministres ces affaires étrangères et des Ressources en eau –Washington D.C
5-12-22 décembre 2019 : Réunion des ministres des Ressources en eau –Khartoum
6-8-9 Janvier 2020 : Réunion des ministres des Ressources en eau-Addis-Abeba
7-13-15 Janvier 2020 : Réunion des ministres des Affaires étrangères et des Ressources en eau-Washington D.C.
8-22-23 janvier 2020 : Réunion des groupes de travail juridiques et techniques-Khartoum
9-28-31 Janvier 2020 : Réunion des ministres des Affaires étrangères et des Ressources en eau-Washington D.C.
10-3-10 février 2020 : Réunion des groupes de travail juridiques et etc génique-Washington D.C
11-12-13 février : Réunion des ministres des Affaires étrangères et des Ressources en eau-Washington D.C.
12-27-28 février 2020 : Réunion des ministres des Affaires étrangères et des Ressources en eau-Washington D.C.
Vu les fluctuations si multiples et encombrantes qu’ont connu ces négociations, il serait donc difficile d’en étaler les détails ici, alors je vais me contenter de proposer, seulement, quelques remarques générales.
L’Egypte et l’Ethiopie avaient, d’abord et avant tout, des objectifs fondamentalement divergents. D’un côté, l’Egypte à chercher à conclure un traité global sur le GBRE qui devrait établir des droits et obligation substantiels et clair, protégeant, ainsi, les intérêt fondamentaux des trois pays, tout en offrant des garanties procédurales pour assurer la mise en œuvre effective de l’accord. Cependant, l’Ethiopie ne semblait pas en mesure de conclure un accord établissant des obligations sans ambiguïté. Il a procédé avec un texte informe, indéterminé, et inefficace qui susceptible de fonctionner en pleine légalité.
En effet, mes collègues éthiopiens avaient l’habitude, à plusieurs reprises, de surnommer le document que nous négocions de « compréhension » et non de « traité » et ont insisté pour que ce document renferme des « lignes directrices », au lieu de stipule des règles.
Deuxièmement, s’agissant du fond de la question, l’Égypte a appelé à un accord qui couvre à la fois le remplissage et le fonctionnement du GBRE, et qui comprend des mesures d’atténuation de la sécheresse détaillées pour protéger les riverains en aval. Ceci n’est pas, seulement, conforme à l’article cinq d la Déclaration des Principes de 2015-laquelle oblige les trois pays à s’entendre sur le « premier remplissage » et « l’exploitation annuelle » du barrage-mais c’est une preuve de bon sens. Car, un mégaprojet de la taille du GBRE devrait fonctionner selon des règles précises qui fournissent suffisamment de clarté et de précision aux riverains en aval en ce qui concerne la qualité d’eau qui sera libérée du barrage dans toutes les conditions hydrologiques.
L’Ethiopie, quant à elle a préféré se mettre d’accord sur le remplissage du GBRE, tout en conservant une liberté d’action illimitée concernant le fonctionnement du barrage. En effet lors de la réunion finale des ministres des Ressources en eau à Addis-Abeba, les 8 et 9 janvier 2020, l’Ethiopie a soumis ce qui ne peut être décrit que comme une proposition sans fondement sur le fonctionnement du GBRE, déclarant ce qui suit : « A la fin de la saison des pluies, la règle de fonctionnement annuel sera préparée et communiquées » pareillement, dans la section concernant les mesures d’atténuation de la condition de relâchement d’eau seront déterminés par les institutions chargées des affaires de l’eau dans les trois pays. Pratiquement, cela signifie que les riverains en aval seraient enfermés dans des négociations perpétuelles sur des règles opérationnelles en constante évolution qui les soumettraient à la volonté et au caprice d’un riverain en amont.
Troisièmement, l’Egypte a fait preuve d’une grande souplesse tout au long de ces négociations, et plus particulièrement lorsque elle a pris sa décision, sur l’insistance de l’Ethiopie et les incitations des américains, de modifier fondamentalement ses propositions concernant le remplissage et le fonctionnement du GBRE. Comme discuté dans la lère partie de ce bilan, le Groupe National Indépendant de Recherche Scientifique avait convenu que le remplissage et le fonctionnement dudit barrage de la Renaissance seraient adaptatifs et coopératifs. Pour l’Egypte, qui cherchait à parvenir à un accord conforme aux meilleures pratiques internationales, cela signifiait que le GBRE et le barrage d’Assouan devaient fonctionner dans le cadre d’une «opération multi-réservoirs» coordonnée. L’Ethiopie, cependant, a refusé de faire intégrer son barrage dans une opération à réservoirs multiples et a insisté pour que la discussion se concentre exclusivement sur le GBRE.
Afin de se conformer à cette volonté, toute la philosophie de l’accord a été modifiée. Les négociations se sont concentrées sur la régulation des niveaux de relâchement d’eau par le GBRE dans des conditions hydrologiques normales (c’est-à-dire moyennes et supérieures à la moyenne), ainsi que sur la détermination du volume d’eau à libérer du. GBRE pendant les périodes de sécheresse. Après qu’un accord technique ait été conclu sur ces questions, l’Ethiopie a ensuite fait volte-face. Bien que l’accord ait été, sur l’insistance de l’Ethiopie, conçu uniquement pour régir le GBRE, celle-ci a commencé à faire valoir que les mesures d’atténuation de la sécheresse ne devraient pas être limitées au GBRE, mais devraient également incomber aux réservoirs en aval. Bref, l’Ethiopie voulait avoir son gâteau et le manger aussi. II a cherché à adapter chaque section de l’accord en faveur de ses propres intérêts, de telle façon conserverait tous les droits et privilèges de l’accord, mais souhaitait que les fardeaux et les obligations soient assumés par ses copropriétaires en aval.
Quatrièmement, et peut-être le plus important, pour l’Egypte, il s’agit d’un accord sur le GBRE et non pas d’un régime global régissant l’exploitation du Nil bleu, ni d’un accord de répartition de l’eau. Pourtant, L’Ethiopie avait l’intention d’utiliser cet accord pour établir un droit illimité de construire de futurs projets hydrauliques en amont du GBRE. L’Egypte a toujours soutenu qu’il est incontestable que l’Ethiopie, en tant que Co-riverain jouissant de l’égalité de droit avec les autres « Etats riverains, a le droit de bénéficier des avantages du Nil bleu. Or, Ce droit doit être régi par le Droit International. L’Ethiopie, en revanche, voulait se consacrer un droit non réglementé aux eaux du fleuve; en substance, elle cherchait à devenir le pouvoir incontesté qui édicté librement les lois du Nil.
A l’origine, les négociations devaient se terminer à la mi-janvier. Il a toutefois été convenu de prolonger les pourparlers d’un mois supplémentaire et, à la mi-février, il a été décidé que les États-Unis, sur la base des accords techniques et juridiques conclus par les parties, faciliteraient la rédaction du texte final du traité. L’accord final, qui a été préparé avec l’apport technique de la Banque mondiale, a été partagé avec les parties le 22 février 2020. Après avoir examiné l’accord, l’Egypte a annoncé qu’il l’avait accepté, et a décidé de le parapher le 28 février 2020. Mais, pour sa part, l’Ethiopie a rejeté l’accord.
Cet accord n’est pas un texte américain imposé aux parties, j’agis plutôt d’un accord qui repose entièrement sur les positions des trois pays. Il s’agit d’une formule juste et équilibré qui préserve leurs intérêts fondamentaux. Bien que je ne puisse pas divulguer le contenu du texte, je peux me permettre uniquement de partager avec les lecteurs jouissant d’une connaissance légale, les grandes lignes de l’accord.
Cet accord repose sur un grand compromis : l’Éthiopie sera en mesure de remplir le barrage aussi rapidement que le permettent les conditions hydrologiques et, à parti du GBRE de manière durable. En revanche, l’Égypte et le Soudan seraient protégés contre les ravages contre les ravages des sécheresses ou des sécheresses prolongées qui pourraient coïncider avec le remplissage du GBRE, ou qui pourraient survenir pendant le fonctionnement du barrage. Cet accord y est parvenu grâce aux éléments suivants :
- Un Remplissage par étapes : l’Égypte a accepté un plan de remplissage par étapes proposé par l’Éthiopie. L’exécution de chaque étape dépend de la condition hydrologique du Nil bleu, selon lesquelles, en années moyennes, le remplissage se déroulerait conformément au calendrier, tandis que dans les années supérieures à la moyenne, il serait accéléré et dans les années inférieures à la moyenne, il serait ralenti.
- Mesures d’atténuation de la sécheresse pendant le remplissage : les trois pays ont convenu que l’Éthiopie mettrait en ligne toutes les turbines hydroélectriques du GBRE d’ici deux ans. La seul limite à cette période de remplissage initiale de deux ans est que si une sécheresse exceptionnellement grave devait se produire (ce type de sécheresse n’a pas plus de 2 à 3% de chances de se produire) ; l’achevèrent de cette phase initiale serait légèrement années , l’accord stipule que le GBRE libérera selon une formule détaillée et sur une longue période d’années un pourcentage spécifié de l’eau stockée dans le barrage au-dessus de 603 m. Pour éviter d’ennuyer les lecteurs avec les complexités d’ingénierie et les subtilités insensées, il suffit de dire qu’à un niveau d’eau de 603 m (qui ne serait atteint que dans les pires sécheresses), le GBRE conserverait près de 25MilIiards m3, ses turbines seraient pleinement opérationnelles, ce qui lui permettrait de produire de l’électricité à un taux d’efficacité d’environ 80% de sa capacité.
- Régie opérationnelle: cet aspect de l’accord, qui a de nouveau été accepté par les trois pays, est d’une grande simplicité : une fois le niveau de l’eau dans le GBRE atteint 625 m- ce que l’Ethiopie appelle le «niveau de fonctionnement optimal»- le barrage libérera le volume total d’eau entrant dans son réservoir
- Mesures d’atténuation de la sécheresse pendant le fonctionnement : Ces dispositions sont similaires aux mesures d’atténuation de la sécheresse pendant le remplissage: Si une sécheresse se produit, pendant le fonctionnement, le GBRE est tenu de libérer l’eau stockée au-dessus de 603 m, selon une formule détaillée et sur une longue période d’années.
- Mécanisme de coordination et de règlement des différends: l’accord comprend un mécanisme hybride de règlement des différends qui combine des solutions basées sur la négociation avec l’option de renvoyer l’affaire à un arbitrage exécutoire (il va sans dire que l’Ethiopie rejette l’arbitrage exécutoire). L’accord comprend également un mécanisme de coordination qui permet un échange de données rationalisé et des réunions régulières pour assurer la mise en œuvre de l’accord.
II est à signaler que tout texte de compromis est, le plus souvent, imparfait ; tout en préservant les intérêts fondamentaux des parties, il équilibre également les gains et répartit les coûts de manière équitable. Il donne à chacune des parties des gains qui justifient leurs pertes et propose une formule suffisamment équilibrée pour garantir la durabilité de l’accord. C’est précisément l’accord préparé par les États-Unis en coordination avec la Banque mondiale, L’Ethiopie produira toute l’électricité dont elle a besoin et l’Egypte sera protégée contre les caprices des conditions hydrologiques changeantes -du Nil Bleu.
De plus, cet accord ne mise pas sur l’avenir. Tout un tas d’articles ont été publiés par les responsables et commentateurs éthiopiens qui affirment que leur rejet vis-à-vis de l’accord revient, en partie, au fait qu’il s’agit d’un accord de partage de l’eau, et qu’il cherche à imposer ce que l’on appelle «accords coloniaux» sur l’Ethiopie. C’est manifestement faux. L’accord est conçu pour régir le remplissage et le fonctionnement du GERE, sans porter atteinte aux droits, obligations et actions riverains des parties. Il ne s’agit pas d’un accord d’allocation de l’eau (en fait, il le dit explicitement), ni d’un accord qui fait explicitement référence à/ ni n’établit de lien implicite avec, d’autres accords préexistants. Bien qu’il puisse être politiquement opportun, en particulier au cours d’une année électorale, de prétendre que l’accord rédigé par les États-Unis et la Banque mondiale cherche à embrouiller l’Ethiopie dans un accord de répartition de l’eau, le gain politique à court terme de cette tactique n’a pas même; à mon avis, commencer à l’emporter sur les énormes avantages qui résulteront pour les trois pays de cet accord.
La balle est maintenant dans le camp de l’Ethiopie. Un traité Juste et équilibré est sur la table. Ce dont nous avons besoin, c’est du type de volonté politique et de leadership visionnaire qui peuvent tirer parti de cette opportunité et tracer une nouvelle voie pour toute la région.
Icimali.com