L’ancien Premier ministre, qui se cache depuis qu’il est accusé d’être le cerveau d’une tentative de déstabilisation de la transition, estime que ce sont ses présumées ambitions présidentielles qui lui ont valu d’être poursuivi.
Que reproche-t-on exactement à Boubou Cissé ? L’ancien Premier ministre, soupçonné d’avoir voulu déstabiliser les autorités de la transition, est cité dans une instruction judiciaire sur une affaire qui a débuté dans le courant du mois de décembre.
Mis en cause, il est « introuvable », selon la justice. Ses avocats affirment qu’il est « en lieu sûr ». Depuis que des hommes « armés et encagoulés » ont débarqué chez lui, le 24 décembre dernier, Boubou Cissé vit caché.
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« À l’heure actuelle, j’ignore si ces gens, qui ont violenté les personnes qui étaient chez moi, étaient des agents des forces de l’ordre ou des bandits », explique-t-il à Jeune Afrique, affirmant toutefois qu’il n’est « pas homme à vouloir se soustraire à la justice de [son] pays », du moment qu’elle est « impartiale et équitable ».
Un contre-coup d’État ?
Introuvable, donc, mais pas silencieux. L’ancien Premier ministre dément toute velléité de déstabilisation des autorités de transition, censées organiser début 2022 une nouvelle élection présidentielle. Il assure d’ailleurs n’avoir eu « aucune activité politique » depuis sa sortie du camp militaire de Kati, le 8 octobre dernier.
Arrêté par la junte qui a démis l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août, il avait été relâché en même temps que 11 personnalités arrêtées lors du coup d’État.
« Après 52 jours éprouvants passés en détention, je n’aspirais qu’à profiter de ma famille et à garder profil bas. Je l’avais d’ailleurs indiqué aux leaders de la transition », assure l’ancien Premier ministre. Il évoque également un désir de « changer d’air ». Mais, si le passeport diplomatique dont il avait fait la demande lui a finalement été octroyé fin décembre, il affirme ne pas prévoir de quitter le territoire avant d’en savoir plus sur le dossier qui le concerne.
Boubou Cissé est en effet accusé d’avoir joué un rôle central dans une tentative « d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État », une affaire dans laquelle cinq personnes, dont certaines proches de lui, ont été interpellées le 21 décembre.
Une procédure « plus qu’inquisitoire », selon ses avocats. « Il n’y a pas le moindre témoignage, pas le moindre élément de preuve contre lui, tempête son avocat, Me Kassoum Tapo. On lui reproche d’avoir des ambitions présidentielles et d’avoir pris contact avec un certain nombre de personnes pour, soit disant, déstabiliser la transition. »
Auditions « surréalistes »
Six autres personnalités ont été mises en cause par le juge d’instruction chargé du dossier : Sékou Traoré, ex-secrétaire général de la présidence, Mohamed Youssouf Bathily – dit Ras Bath –, activiste et chroniqueur radio, Mahamadou Koné, trésorier payeur général, Vital Robert Diop, directeur général de la société PMU-Mali, Aguibou Tall, directeur général adjoint de l’AGEFAU (une agence publique de télécommunication) et frère de Boubou Cissé, et Souleymane Kansaye, receveur général du district.
Accusés de « complot contre le gouvernement » et « d’association de malfaiteurs », tous – à l’exception de Sékou Traoré – , sont incarcérés à la maison d’arrêt centrale de Bamako. L’ancien secrétaire général de la présidence, démis de ses fonctions depuis, bénéficie cependant toujours des protections que son statut de magistrat et son ancien poste, qui lui donnait rang de ministre, lui conférait. Son dossier fait donc l’objet d’une procédure séparée, et a été transmis à la Cour suprême.
« L’ensemble de la procédure démarre sur un rapport de la sécurité d’État auquel nous n’avons pas eu accès, dénonce le conseil de Vital Robert Diop, Éric Moutet. Le dossier tel qu’on le connaît n’est constitué d’aucun élément matériel, sinon les auditions des mis en cause. »
L’avocat évoque par ailleurs des « questions surréalistes et imprécises » posées lors des auditions, sur de supposées réunions clandestines et sur leur volonté de fomenter un coup d’État.
Les enquêteurs auraient également cherché à en savoir plus sur leurs liens avec Boubou Cissé, en essayant notamment d’obtenir des confidences sur ses ambitions présidentielles.
Le procureur de la République, Mamoudou Kassogué, leur reproche « des contacts et déplacements suspects » et « des actions de sabotage de certaines initiatives des autorités de la transition ».
Des contacts que dément absolument Boubou Cissé, hormis pour son frère – qu’il voit « quasiment tous les jours » – et pour Sékou Traoré, qui fut son collaborateur par le passé et qu’il aurait « rencontré deux fois » depuis sa libération.
Boubou Cissé veut « servir »…
Malgré ses déboires judiciaires, Boubou Cissé n’exclut pas de participer à la transition, d’une manière ou d’une autre. « Après sept ans passés au service de mon pays, je pense avoir une petite expérience qui pourrait servir », affirme-t-il.
A-t-il oublié que sa propre démission était réclamée par les contestataires, lors des manifestations hostiles à IBK ? « Je ne sais pas si c’était ma personne qui était à la base de la colère, mais le poste [de Premier ministre] sur lequel certains avaient des visées », balaie Boubou Cissé.
Il affirme cependant qu’à l’époque, il était prêt à présenter sa démission au chef de l’État pour permettre de calmer les choses. IBK – avec qui il a gardé de « bonnes relations » et s’entretient régulièrement – ne l’a jamais accepté, en dépit des pressions de ses adversaires et de ses alliés. « Il considérait que j’avais fait ce que je pouvais, et souhaitait me garder à mon poste. »
Aujourd’hui encore, Boubou Cissé tente de défendre son bilan, notamment économique, en tant que ministre (de l’Industrie d’abord, puis de l’Économie), puis chef de gouvernement. Un bilan qui aurait été meilleur sans les « lenteurs administratives » et certains « blocages », argue-t-il. « Peut-être que nous n’avons pas été suffisamment attentifs à certaines formes de colère, que nous avons sous-estimé le mécontentement et le sentiment d’injustice », reconnaît-il cependant.
…Mais ne « pense pas » à la présidentielle
« Face au travail colossal de la transition et aux défis énormes des réformes qui sont à mener, il n’y a pas de temps à perdre et il ne faut pas se laisser distraire », martèle Boubou Cissé. Mais c’est pour immédiatement affirmer « ne pas penser » à une éventuelle candidature à l’élection présidentielle à venir.
Celle-ci se tiendra-t-elle dans 14 mois, comme c’est prévu par la charte de la transition ? Goodluck Jonathan, le chef de la délégation de la Cedeao qui a entamé une nouvelle visite au Mali le 11 janvier, s’est dit confiant sur ce point.
Il s’est cependant dit « très préoccupé » par les récentes accusations de tentative de déstabilisation ou de coup d’État et a insisté « pour que les personnes qui n’ont rien à voir avec cette rumeur ou bien cette tentative de déstabilisation puissent être libérées le plus rapidement possible ». Une déclaration que Boubou Cissé, où qu’il soit, a suivi avec attention.
Source: Jeune Afrique