A l’initiative du Ministère de la Jeunesse et des Sports, chargé de l’Instruction civique et de la Construction citoyenne, la phase nationale des Etats Généraux du Sport aura lieu les 24 et 25 avril 2025 au Centre International de Conférences de Bamako (CICB). Invité à participer aux travaux par sa présence effective, ou, à apporter sa contribution à ces assises par écrit, Dr. Tiefing Sissoko, ancien entraîneur de l’équipe nationale de judo du Mali, a concentré sa contribution riche de propositions dans une lettre ouverte dont voici le contenu.
LETTRE OUVERTE A L’OCCASION DES ÉTATS GENERAUX DU SPORT AU MALI
Bamako, le 18.04.2025
Chers amis du sport malien,
Chers membres de la commission d’organisation des États Généraux du Sport,
Vous m’avez sollicité pour prendre part aux Etats Généraux du Sport. En tant qu’ancien international et ancien entraîneur de l’équipe nationale de judo du Mali, je prends la plume aujourd’hui pour partager avec vous mes réflexions et témoignages sur l’état actuel du sport dans notre pays. Ces quelques lignes sont une contribution sincère aux États Généraux du Sport, un moment crucial où nous devons poser les bases d’un avenir meilleur pour nos athlètes et pour le Mali tout entier. Les autorités de la transition ont raison de mettre le sport malien en débat.
Durant les deux années où j’ai eu l’honneur de diriger l’équipe nationale de judo, j’ai eu le privilège de découvrir des talents exceptionnels, des jeunes remplis d’envie, de détermination et de résilience. J’ai également eu le temps – hélas – de constater l’absence criante de pilotage stratégique et de vision claire au sein de notre fédération. Les structures internes, censées soutenir ces athlètes prometteurs, manquent cruellement de planification, de moyens et surtout de volonté politique pour faire avancer le sport malien.
Pourtant, malgré ces obstacles, nos judokas ont su briller et prouver leur valeur au-delà de nos frontières. Qui pourrait oublier les performances historiques de Sory Sacko, qui a décroché des médailles dans des tournois internationaux prestigieux ? Ces succès ne sont pas seulement les siens ; ils appartiennent à tout un peuple, car ils montrent que le Mali a des ressources humaines capables de rivaliser avec les meilleurs du monde. Qui pourrait oublier les athlètes talentueux comme Youssouf Diallo, Douga Théra, Mady Sidibé, Ousmane Diallo, Karonga Soumano, Lamine Kanté et la liste est longue. Qui pourrait oublier la mobilisation des anciens judokas, de judo émergence avec Mahamadou Mariko, Seydouba Traoré, Cheick Coulibaly, Mohamed Théra, Mohamed T Camara… Mais hélas, ces talents sont trop souvent étouffés par des acteurs dont les intérêts égoïstes passent avant ceux de la Nation.
J’ai vu comment certains ont tenté de freiner l’ascension de nos athlètes, non pas parce qu’ils manquaient de mérite, mais parce que leurs succès remettaient en question des positions acquises ou perturbaient des réseaux d’influence. Ce système, qui favorise les luttes de pouvoir et les intérêts personnels, est un véritable poison pour notre sport. Il décourage les jeunes, démotive les entraîneurs et ternit l’image de notre pays sur la scène internationale.
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Pour compléter cette expérience personnelle, j’ai décidé de sonder les judokas du Mali et plus largement les anciens sportifs de haut niveau maliens en France. Des débats ont été organisés dans les différents réseaux d’échange. Je remercie Amara Dagnoko pour l’animation de ces débats. Il en ressort les propositions suivantes et quelques pistes concrètes pour transformer le sport malien et lui redonner son rôle de levier de développement et d’unité nationale :
1. Instaurer une gouvernance transparente et professionnelle
- Sélection des dirigeants selon des critères de compétence : les fonctions dirigeantes au sein des fédérations et du CNOSM doivent reposer sur une expertise technique avérée
et des aptitudes professionnelles démontrées, excluant toute influence politique ou clanique. Le processus intègre une transparence absolue, avec une audition publique incluant la présentation d’un projet stratégique de développement de la discipline et une évaluation sur des indicateurs objectifs. Les responsables fédéraux doivent justifier d’un parcours en tant que sportif de haut niveau dans la discipline concernée pour garantir une légitimité sectorielle. Ces éléments doivent faire l’objet de supervision.
- Une commission indépendante doit être mise en place pour examiner les décisions des fédérations et garantir leur conformité aux règles éthiques et à l’intérêt général. Cette instance aurait le pouvoir d’enquêter sur les plaintes, de sanctionner les abus et de protéger les athlètes contre toute forme de discrimination ou d’obstruction.
- Instaurer un plafonnement strict des mandats au sein des fédérations et du CNOSM pour prévenir toute concentration prolongée du pouvoir par un individu ou un groupe.
L’alternance doit devenir un impératif institutionnel, garantissant un renouvellement régulier des instances dirigeantes du mouvement sportif.
2. Instaurer un cadre juridique qui renforce l’évaluation et la transparence
- Institutionaliser les mécanismes de contrôle : instaurer un audit obligatoire pour toutes les fédérations et associations sportives, avec diffusion publique des rapports. Les sanctions en cas de gestion frauduleuse ou de corruption doivent être alourdies, prévoyant notamment une exclusion définitive de toute fonction dirigeante. Actuellement, des instances reconnues coupables par la justice conservent leurs prérogatives sans conséquences, illustrant un déficit de redevabilité.
- Chaque fédération doit publier annuellement un rapport détaillant ses actions, ses résultats et ses défis. Des audits externes doivent être réalisés régulièrement pour vérifier l’utilisation des ressources financières et matérielles.
- Promouvoir une culture de l’évaluation en obligeant les fédérations à fixer des objectifs annuels mesurables (nombre de licenciés, performances sous-régionales et internationales, etc.) et à publier des rapports publics détaillant leurs réalisations.
- Plus largement adopter une loi moderne sur le sport. Les acteurs traditionnels ont développé des mécanismes pour les contourner et se maintenir contre vents et marées.
3. Les infrastructures sportives
- Lancer un plan national de modernisation des infrastructures en impliquant les acteurs privés. L’Etat n’est plus le seul à porter les coûts. Explorer des technologies comme les installations modulaires (gymnases démontables) ou les conventions avec les établissements scolaires qui disposent d’espaces aménageables. Les intérêts peuvent être partagés.
- Créer des centres d’excellence sportive en développant des pôles régionaux spécialisés dans certaines disciplines (judo, athlétisme, football, etc.), dotés d’infrastructures modernes et d’un encadrement professionnel. Ces structures constitueraient des incubateurs pour jeunes prodiges, accélérant leur émancipation professionnelle. L’idée existe depuis quelques décennies mais n’a jamais été mise en œuvre. De façon complémentaire, un centre d’excellence pourra être développé pour la diaspora malienne avec la possibilité de présenter des athlètes aux tournois internationaux.
4. Développer les Ressources Humaines
- Formation continue des cadres sportifs : mettre en place des programmes de formation pour les administrateurs, entraîneurs et arbitres afin de renforcer leurs compétences en gestion, leadership et stratégie sportive. Exiger la définition et la publication d’un plan de formation annuel pour toutes les fédérations. Impliquer les acteurs de la diaspora pour l’animation des formations.
- L’article 38-2 et 39 du décret n° 2019 0758 autorisent la coexistence de plusieurs associations dans une même discipline. Il serait judicieux de favoriser la concurrence entre celles-ci pour stimuler l’innovation et améliorer la qualité des services offerts aux athlètes. Le monopole des fédérations sportives montre des insuffisances. Des carrières d’athlètes ont été brisées. Les subventions publiques doivent être attribuées en fonction des résultats obtenus et des projets proposés, et non sur des liens politiques.
- Créer des mécanismes de reconnaissance pour les athlètes et les entraîneurs qui obtiennent des résultats significatifs. Impliquer davantage les jeunes dans les prises de décision pour refléter leurs besoins et aspirations.
5.Financement du sport
- Diversifier les sources de financement en réduisant la dépendance aux subventions publiques et en encourageant les partenariats public-privé (PPP). Les entreprises locales et internationales pourraient être incitées à sponsoriser en contrepartie des avantages fiscaux. Mais cela exige un contrôle strict. Le système de sponsoring est très opaque dans les fédérations. L’implication étonnante du Président du CNOSM interroge !
- Optimiser la supervision des mécanismes d’allocation des fonds sportifs : Ces ressources financières, issues de subventions publiques, de mécénat d’entreprise et de dons, font régulièrement l’objet de détournements. Des cas avérés montrent que des instances ont converti des salles polyvalentes équipées (ex. tatamis dédiés aux combats) en hébergements précaires pour athlètes. Un encadrement rigoureux impliquant audits systématiques et sanctions dissuasives s’impose pour éradiquer ces dérives, garantissant une utilisation conforme aux objectifs initiaux.
Chers membres de la commission d’organisation des États Généraux du Sport,
Le sport malien a un immense potentiel, mais il est bloqué par des pratiques archaïques et des intérêts égoïstes. Si nous voulons que nos jeunes puissent rêver grand, que nos athlètes puissent briller sur la scène internationale et que le Mali puisse retrouver sa fierté, alors nous devons agir maintenant. Ces États généraux du Sport sont une opportunité unique de repenser notre modèle et de bâtir un système plus juste, plus efficace et plus inclusif.
Je crois fermement que le sport peut changer la vie. Il peut inspirer, rassembler et transformer.
Mais pour cela, il faut que nous ayons le courage de changer les choses.
Vive le sport malien ! Vive le Mali !
Avec ma très haute considération,
Dr. Tiefing SISSOKO
Ancien entraîneur de l’équipe nationale de judo du Mali