Au Mali sous IBK, les autorités judiciaires majeures du pays que sont la Cour suprême et la Cour constitutionnelle sont soumises à un véritable supplice : celui du harcèlement consultatif dont le bourreau n’est autre que le cercle de pouvoir autour de Koulouba/Sébenicoro, de la Primature, de Bagadadji. Une pratique antirépublicaine qui devient la marque de fabrique de la gouvernance d’un régime en mal de légitimité, écrasé par les dossiers de la nation qui, faute de traitement diligent et adéquat rendus illusoires, ne cessent de s’empiler sur sa table dans un décor pollué et de laxisme généralisés.
C’est en toute impunité et dans l’arrogance politique et administrative, que le harcèlement consultatif de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle sévit sous le manteau institutionnel complice des écarts de gouvernance dont il assure le parrainage. Toutes les irrégularités, toutes les manipulations politico juridiques et les violations qu’il contribue à recycler, y sont à demeure.
Plus le Président IBK et son gouvernement croulent sous le poids des dossiers qui les écrasent, plus ils abusent irrégulièrement et de manière répétitive et insistante, des procédures consultatives ouvertes devant la Cour suprême et la Cour constitutionnelle. La Cour suprême et la Cour constitutionnelle dont les premiers responsables généralement de culture démocratique sommaire, toujours couchés à plat ventre, incapables de se hisser à une hauteur minimum d’indépendance républicaine, encaissent sans brocher ni murmurer, les uppercuts de la déliquescence généralisée des institutions de l’Etat. Pire, les Présidents de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle affichent plutôt, de manière ostensible, l’impression de prendre goût à ce jeu démocratiquement malsain, prohibé par toutes les valeurs de la République, mais dont ils sont accros.
Les deux institutions judiciaires majeures de l’Etat que sont la Cour suprême et la Cour constitutionnelle servent davantage le Président IBK et son gouvernement que la démocratie et l‘éthique républicaine. La République pour eux, ainsi que sa Constitution et sa démocratie, ne peuvent être qu’au service des caprices du chef.
Le cas récent de la grève des magistrats le prouve à suffisance. Le Président de la Cour suprême qui a préféré servir des hommes de pouvoir plutôt que les institutions et les valeurs de la République, a agi en parfaite connaissance de l’article 125 de la loi organique n°2016-046 du 23 septembre 2016 sur la Cour suprême. Même les néophytes du droit le savent, cette loi n’ouvre absolument aucune possibilité de la saisine de la Cour suprême par le Premier ministre sur la base d’une procédure consultative relative à la légalité d’une grève, comme l’atteste son article 125 selon lequel « le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Haut Conseil des Collectivités peuvent, chacun en ce qui le concerne, saisir l’Assemblée consultative de la Cour d’une demande d’avis sur des projets de décret ou des propositions et projets de loi qui leur sont soumis ». L’honneur de la Cour suprême et de son Président commandait simplement de déclarer l’irrecevabilité de cette saisine, non seulement au nom du refus du déshonneur de l’Homme tout court, mais aussi au nom de la République et de la démocratie.
L’on se rappelle également cet avis de la Chambre consultative de la Section administrative de cette même Cour suprême daté du 08 novembre 2016 signifiant au ministre chargé de l’Administration territoriale de l’époque, qu’il est « loisible » au gouvernement d’organiser les élections communales du 20 novembre 2016 sous l’empire de la loi électorale modifiée n°06-044 du 4 septembre 2006 pourtant expressément abrogée. Cet avis tronqué, juridiquement boiteux et politiquement adulé, n’avait pu « s’acheter » qu’au prix d’une saisine totalement irrégulière de l’institution, qui n’avait d’autre but que de l’amener à délivrer un blanc-seing au ministre, afin de masquer son incapacité à mettre en application la seule loi électorale en vigueur qui n’était que la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016. Cette procédure consultative irrégulière, n’avait visée qu’à extorquer à la Cour suprême, un cachet d’impunité destiné à solder une illégalité flagrante. Son Président récidiviste aujourd’hui avec l’affaire de la grève de son propre corps, n’avait déjà pas eu à l’époque, de scrupule à se mettre à plat ventre et à céder au chant des sirènes de la servilité institutionnelle, dont les aberrations avaient fini par faire enfiler par la Cour suprême, le manteau du magicien qui ressuscite une loi abrogée pour en faire du droit positif. Le magicien qui transforme le plomb en or ! Mais la Cour suprême n’est probablement pas le terrain de prédilection des pratiques démocratiquement malsaines du harcèlement consultatif. C’est aussi et surtout la Cour constitutionnelle dans sa version Manassa DANIOKO en l’occurrence, qui en est la cliente préférée. Pour un oui ou pour un non, cette Cour qui ressemble à une vieille machine de fabrique d’avis prêts-à-porter rocambolesques, est à la fois réceptive et positivement réactive par nature à la quasi-totalité des desideratas du harcèlement consultatif. La version Manassa de la Cour constitutionnelle restera certainement dans les annales, comme celle de la compromission, de la manipulation et des collusions politiciennes, de l’inculture démocratique et républicaine, bref de toutes ces pratiques éhontées, dont la constitution malienne devra impérativement se donner les moyens de bannir à jamais. Elle fera œuvre utile de salubrité institutionnelle ! Combien d’avis, constitutionnellement boiteux, politiquement négociés en catimini, voire économiquement troqués, a-t-elle pu ainsi distribuer à tour de bras dans les cercles du pouvoir ? A combien de reprises et à quel prix, la Cour constitutionnelle aurait-t- elle probablement pu se faire vendre ainsi ? Mieux vaut ne pas s’attarder sur ces dérangeantes questions. Et rester davantage collé à l’actualité en train de se jouer sous nos yeux, en s’interrogeant autrement : pourquoi solliciterait-on par deux fois de suite un avis de la Cour constitutionnelle si ce n’est pour lui tordre la main. Et l’obliger ainsi, un mois à peine après son Avis défavorable n°2018-01/CCM du 12 septembre 2018 sur la prorogation du mandat des députés, à se dédire par un nouvel Avis n°2018-02/CCM du 12 octobre 2018 favorable à la prorogation de mandat des députés avec pour effet indirect de rapporter par simple avis en dehors de toute procédure contentieuse, tout un décret ayant convoqué le collège électoral pour le 25 novembre 2018.
Certes, les avis sollicités le 10 septembre 2018 et le 10 octobre 2018 ont été déclarés recevables par la Cour constitutionnelle sur la base de l’article 85 alinéa 2 de la Constitution selon lequel la Cour constitutionnelle est « l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». On ne va pas se mentir. Cette recevabilité est et demeure suspecte pour défaut de fondement constitutionnel évident. La Cour s’est volontairement et irrégulièrement enfermée dans le piège de son interprétation controversée de l’article 85 de la Constitution relatif à ses missions « d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics » et d’organe statuant sur « les conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat ». Tous les bricolages juridico-institutionnelles qu’elle fomente avec le régime en place sont drapés dans cette disposition constitutionnelle bafouée par cette interprétation douteuse.
A cause de l’enfer de cette prison procédurale dont usent et abusent les cercles du pouvoir de mèche avec elle, la Cour en est réduite à jouer au pompier de service en alerte permanente, prêt à sauter à la rescousse de toutes les bourdes du régime qu’elle doit s’atteler à colmater à coup de bricolages indigestes. Quitte à se dédire piteusement en l’espace d’un moins sur la même question juridique posée.
Comme une drogue, la Cour constitutionnelle et la Cour suprême sont tellement accros au supplice de leur propre harcèlement consultatif que les deux institutions judiciaires se disputent le strapontin de conseil juridique permanant des cercles du pouvoir. Tant pis si à cause de ce harcèlement causé par les consultations sauvages, leur indépendance et l’Etat de droit devaient foutre le camp. En tout état de cause, du harcèlement consultatif au délabrement juridique et institutionnel de l’Etat au Mali, il n’y a qu’un petit pas. Qui paraît franchi aujourd’hui. C’est dommage pour l’Etat de droit, la démocratie et la République.
Dr Brahima FOMBA
Université des Sciences Juridique
et Politiques de Bamako (USJPB)
Source: L’Aube