Craignant d’éventuelles conséquences imprévisibles au lâcher de Moustiques mâles biaisés génétiquement modifiés dans le village de Souroukoudingan, province du Houet, Région du Guiriko, du Burkina Faso, la Coalition de veille sur les activités biotechnologiques (CVAB) a sommé le gouvernement de revoir sa copie. « Il est mis fin à toutes les activités du projet Target Malaria sur toute l’étendue du territoire national », a annoncé le Gouvernement ce vendredi 22 août 2025.
La conférence de presse de la CVAB, consécutive au lâcher de Moustiques mâles biaisés génétiquement modifiés, a été animée à Ouagadougou, ce jeudi 21 août 2025, par le FIAN Burkina Faso, le Collectif des Organisations et Associations sur les Semences Paysannes (COASP Burkina), la Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain (COPAGEN Burkina Faso), le Conseil National de l’Agriculture Biologique (CNABio) et African Technology Assesment Platform (AfriTAP).
Déclaration liminaire de la CVAB
« Nous vous remercions d’avoir honoré notre invitation à prendre part à cette conférence de presse organisée par la Coalition de veille sur les activités biotechnologiques au Burkina Faso (CVAB). Cette conférence de presse a pour objets de protester contre le lâcher de moustiques génétiquement modifiés intervenu le 11 août dernier dans le village de Souroukoudingan, de rappeler les fondements de nos inquiétudes sur le projet Target malaria et d’ouvrir le débat sur les activités du projet.
Comme vous le savez, par un communiqué daté du 14 août 2025, l’Institut de recherche en science de la santé (IRSS) a annoncé avoir procédé au lâcher de moustiques mâles biaisés génétiquement modifiés dans le village de Souroukoudingan dans le département de Karangasso Sambla, province du Houet.
Ce lâcher, selon les informations recueillies, a été autorisé par l’Agence Nationale de Biosécurité (ANB) par décision en date du 24 juillet 2025 sur la base d’un rapport d’évaluation du Comité scientifique National de Biosécurité (CSNB) et d’une consultation large et inclusive des villages de Souroukoudingan et des villages environnants, entre autres.
La CVAB avait souhaité la suspension de l’autorisation du lâcher et l’élargissement du dialogue social afin que tous les arguments puissent être considérés dans la controverse sur le projet Target malaria dans un communiqué publié le 11 août 2025. Malheureusement, au même moment, soixante-quinze mille (75 000) moustiques mâles auto-limitatifs génétiquement étaient relâchés dans la nature. Notre désarroi a été immense. Nous observons que le processus décisionnel du lâcher ne nous offrait pas de possibilité d’exercer un recours à temps utile. Ce constat n’est pas de nature à apaiser nos doutes sur la transparence dans la conduite des activités du projet. Aussi, nous doutons de la validité du consentement libre et éclairé qu’auraient donné les populations de Souroukoudingan et des villages environnants. En effet, la question des moustiques génétiquement modifiés est hautement technique pour que des populations profanes puissent consentir valablement à ces lâchers.
Pourquoi sommes-nous opposés au projet Target Malaria ?
Nous sommes d’avis que la pandémie du paludisme est un drame pour notre pays tant elle endeuille des familles chaque année et qu’il faille bien trouver des solutions. Le problème, c’est la solution que propose le projet Target malaria qui consiste en l’élimination du vecteur par des moustiques à impulsion génétique mis au point par la technologie du forçage génétique. Nous précisons que les œufs des moustiques génétiquement modifiés, qui seront génétiquement forcés par la suite, sont importés de l’Imperial College de Londres et d’Italie. Cette technologie est très controversée et pose des problèmes éthiques. Au lieu d’envisager des solutions aux risques imprévisibles, nous disons qu’il faut plutôt privilégier les alternatives sûres.
La technologie du Gene drive ou « forçage génétique » est encore controversée
Le génie génétique est une science, et en tant que telle, il est normal que nos chercheurs s’y intéressent. Toutefois, ses applications peuvent s’avérer dramatiques au regard de l’irréversibilité de leurs conséquences. Le forçage génétique est une technologie mal connue. La science n’a pas encore accumulé assez de données expérimentales sur l’hérédité du forçage génétique sur la santé humaine et sur les interactions aux niveaux des écosystèmes. La première expérience (en cages) sur le forçage génétique appliqué sur les moustiques a été faite en 2018 par le Professeur Andrea Crisanti (Kyrou et al. et al. 2018) et à ce jour, aucun moustique génétiquement forcé n’a encore été libéré dans la nature.
C’est pourquoi nous appelons au strict respect du principe de précaution.
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Le forçage génétique est capable d’exterminer toute une espèce. Les scientifiques du monde entier appellent à la plus grande prudence et soulignent que cette technologie n’est pas encore prête à être utilisée sur le terrain, en raison de son haut degré d’incertitude et d’imprévisibilité. Plus précisément, les impacts des organismes résultant du forçage génétique sur la santé et les écosystèmes sont inconnus et potentiellement irréversibles (CSS et al. 2019).
Le protocole expérimental du projet est très complexe et cette complexité n’est pas justifiée : le projet comprend 3 phases qui portent sur 3 souches de moustiques génétiquement modifiés. Les objectifs des deux premières phases ne sont pas clairs. Seule la 3ème phase concerne la lutte contre le paludisme (et elle concerne le forçage génétique). A quoi donc servent réellement les deux premières phases ?
Aussi, le projet pose un problème éthique. En effet, l’homme n’est qu’une espèce parmi tant d’autres. Même s’il est l’espèce la plus évoluée, de quel droit peut-il décider de supprimer une autre espèce ? Les moustiques, malgré leur dangerosité, rendent des services écologiques et ça, il ne faut pas l’oublier. Il y a un risque d’auto destruction de la race humaine avec de telles prétentions.
Des alternatives sûres pour vaincre le paludisme existent
Vaincre le paludisme est le souhait de tous les Burkinabè. Ce souhait peut devenir une réalité par des méthodes plus sûres comme certains pays l’ont fait. L’Algérie a été certifiée pays exempt de paludisme en 2019 par l’OMS, et en 2024, c’était le tour du Cap vert. Le récent Rapport sur le paludisme dans le monde (OMS 2024) fournit des informations précieuses sur les progrès accomplis au cours des deux (2) dernières décennies et sur les perspectives d’avenir de la lutte contre le paludisme. Plusieurs pays n’ont signalé aucun décès ou cas autochtone de paludisme depuis 2022, notamment São Tomé-et-Principe, les Comores, l’Égypte, le Bhoutan, le Timor-Leste et la Thaïlande tandis que des pays comme l’Argentine, le Brésil, la Chine, le Salvador et le Paraguay, sont certifiés exempts de paludisme depuis plusieurs années. Ces pays, ont-ils eu recours aux moustiques à impulsion génétique ? Non ! Ces réalisations, ont été possibles avec l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticides, la pulvérisation intra domiciliaire d’insecticide à effet rémanent (PID) mais aussi via la surveillance des cas, la mise en place d’un réseau de laboratoires de diagnostic ainsi que l’amélioration socio-économique et la mise en œuvre de projets de réduction de la pauvreté (Carballar-Lejarazú et al., 2022). Ces solutions sont aussi possibles au Burkina Faso. Nous répétons que le problème du paludisme est un problème d’insalubrité. A ces alternatives déjà éprouvées dans la lutte contre le paludisme, il faut adjoindre l’assainissement du cadre de vie pour refouler les moustiques dans leur habitat naturel, l’utilisation de l’Artemisia sans oublier l’introduction et la poursuite des recherches sur le vaccin R21/Matrix-M développé par nos chercheurs à Nanoro.
Face à un problème comme celui du paludisme, les généticiens de bonne foi recommandent de toujours privilégier les solutions écologiques quand elles existent, aux solutions biotechnologues aux conséquences encore imprévisibles.
Appel à ouvrir le débat sur les activités du projet
Avec ce deuxième lâcher, Target malaria a bouclé la deuxième phase de son projet et pourrait ouvrir la 3ème phase que nous redoutons le plus. Et cela nous n’en voulons pas. Aucune partie du monde n’a encore connu de lâcher de moustiques génétiquement forcés dans la nature. Ainsi donc, le Burkina Faso qui n’est pas encore à la pointe de la technologie sur le forçage génétique ne peut servir de pays cobaye pour un lâcher de moustiques génétiquement forcés dans la nature.
Mesdames et messieurs les journalistes, nous souhaitons avoir tort dans cette affaire ; mais, si l’histoire venait à nous donner raison, ça serait vraiment dommage. Nous proposons donc un débat public sur le sujet, impliquant toutes les parties prenantes afin d’alimenter la controverse pour que jaillisse la lumière.
Nous invitons aussi les intellectuels de ce pays, experts de la question, à sortir de leur position de réserve. Il est temps que les personnes avisées se prononcent sur ces expérimentations pour permettre à nos autorités de décider en connaissance de cause. »
Réaction du gouvernement
Selon son communiqué de vendredi 22 aout 2025, signé de son Secrétaire général, Pr Samuel Paré, « le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) informe le public burkinabè qu’à la suite de la décision N° 2025-000011/MESRI/CAB/ANB du 18 août 2025 et de la Décision N°2025-096/MESRI/SG/CNRST/DG du 22 août 2025, il est mis fin à toutes les activités du projet Target Malaria sur toute l’étendue du territoire national.
Les enceintes contenant les moustiques génétiquement modifiés sont sous scellés depuis le 18 août 2025 et tous les échantillons seront détruits suivant un protocole indiqué. Les moustiques mâles biaisés génétiquement modifiés sans impulsion génétique lâchés dans le village de Souroukoudingan, Province du Houet, Région du Guiriko ont été soigneusement traités par les services techniques compétents. »
Cyril Roc DACK / Icimali.com