Réunies au sein du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), plusieurs figures se détachent parmi les militaires putschistes.
Bamako s’est réveillée ce 19 août sans président, mais avec de nouveaux hommes forts. Tard dans la nuit, Ibrahim Boubacar Keïta a présenté sa démission au terme d’une journée de tensions. Arrêté dans l’après-midi avec son Premier ministre, Boubou Cissé, dans sa résidence à Sébénikoro, le désormais ex-président a été conduit au camp militaire de Kati, où il se trouvait toujours ce mercredi.
C’est de là, à une dizaine de kilomètres de la capitale, que le coup d’État a débuté, lorsque des militaires ont fait irruption dans le camp d’où était parti, déjà, le putsch de 2012. C’est en effet dans ce même camp Soundiata-Keïta qu’est né le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE), le 22 mars 2012, qui a porté à la tête du pays le capitaine Amadou Haya Sanogo.
Des haut gradés à la manœuvre
Le Comité national du salut du peuple (CNSP), lors d’une allocution télévisée, le 19 août 2020. De gauche à droite : Modibo Koné, Assimi Goïta, Ismaël Wagué, Malick Diaw, Sadio Camara.
Il existe cependant de nombreuses différences entre les hommes qui ont mené le coup d’État de 2012 et ceux qui sont derrière celui qui vient de se produire. Car si, à l’époque, c’était des sous-officiers qui étaient à la manœuvre, cette fois, ce sont des militaires plus haut gradés.
Visiblement très organisés, ils sont apparus sur les écrans de l’ORTM avec un texte minutieusement préparé, au contenu clair. Les Maliens ont alors découvert le visage des nouveaux « hommes forts » de la junte qui venait de pousser IBK à la démission.
Aux côtés du colonel-major Ismaël Wagué, porte-parole du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), le lieutenant-colonel Assimi Goïta – qui se présente désormais comme « le président du CNSP » – , et les colonels Sadio Camara, Modibo Koné et Malick Diaw.
Le colonel Malick Diaw, lors de la première apparition télévisée des putschistes, le 19 août 2020 sur l’ORTM. Ce n’est pas un hasard si c’est Ismaël Wagué qui a été désigné comme porte-parole de la junte. Chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air, il bénéficie d’une solide réputation, aussi bien au sein de l’armée qu’auprès d’une partie de l’opinion publique. « C’est un homme discret et patriote », dit de lui un analyste des questions sécuritaires. Pilote de chasse, Ismaël Wagué a miraculeusement survécu à un accident survenu dans le nord du Mali, en 2012, alors qu’il était aux commandes de son MIG-21.
Si les membres du CNSP sont issus de différents corps de l’armée, Malick Diaw, Sadio Camara et Modibo Koné viennent tous de la même promotion à l’École militaire interarmes (EMIA) de Koulikoro.
Sadio Camara était, pour sa part, directeur général du Prytanée militaire de Kati, avant son départ début juin pour la Russie où il devait suivre une formation. Il était de retour au Mali pour un congé de quelques semaines.
Malick Diaw est chef-adjoint du camp de Kati. Il a également été chef d’état-major adjoint de la Garde nationale de la 3ème Région militaire de Kati.
Le colonel Modibo Koné a, quant à lui, été commandant à Koro, dans la région de Mopti (Centre).
Le général Dembélé, homme clé du dispositif ?
Reste le cas du général Cheikh Fanta Mady Dembélé. Officiellement, il n’appartient pas au CNSP. Il n’a pas non plus pris la parole face aux caméras de l’ORTM, mardi soir. Mais plusieurs de nos sources sécuritaires et diplomatiques le présentent comme un homme clé du dispositif – si cela était avéré, il en serait alors le plus gradé. Contacté par Jeune Afrique, le général dément cependant faire partie des putschistes. « J’ai vu, comme vous, une déclaration à la télévision, avec cinq personnes. Pour l’instant, aucune figure ne se dégage », nous a-t-il déclaré.
Diplômé de l’école militaire de Saint-Cyr en France, titulaire d’une maîtrise en génie civil, il est diplômé de l’Université de l’armée fédérale allemande, à Munich, et de l’École d’état-major général de Koulikoro. Il a par ailleurs dirigé l’École de maintien de la paix Alioune-Blondin-Beye de Bamako de 2018 à 2019.
Le général Dembélé connaît bien les arcanes de l’Union africaine, où il a été en charge de la gestion des conflits et de la planification stratégique, au sein de la Commission de paix et de sécurité. Il a également été membre du cabinet de Soumeylou Boubèye Maïga lorsque celui-ci était ministre de la Défense (2013-214). Il était notamment en charge des contrats d’équipements militaires. Il connaît également très bien Sy Kadiatou Sow, l’une des figures du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques du Mali (M5-RFP), dont il a récemment épousé la fille.
Une source sécuritaire française, qui a eu l’occasion de travailler avec lui, le décrit comme un « homme très calme et de consensus ». « Il semblait fidèle, en dehors du jeu politique, ajoute notre interlocuteur. Un patriote. »
Un militaire malien, membre présumé des mutins du camp militaire de Kati, contrôle la circulation à proximité du camp militaire situé à 15 km de Bamako, le 18 août 2020.
ILS ONT COMPRIS QU’IL FALLAIT FAIRE ATTENTION, POUR NE PAS FINIR COMME SANOGO
« Il y a, parmi les putschistes, des officiers qui ont l’habitude de travailler avec la communauté internationale. Ils ont compris qu’il fallait faire attention, pour ne pas finir comme Sanogo, et ont tout de suite parlé d’une transition. Ce putsch n’a pas nécessairement été planifié, mais il a été mûri », analyse Marc-André Boisvert, chercheur indépendant sur les questions de défense, qui a notamment travaillé sur l’armée malienne.
Frustrations latentes
Les putschistes semblent avoir su capitaliser sur des frustrations latentes, déjà existantes au moment du coup de force de 2012. Mais contrairement aux mutins de 2012, qui avaient dû affronter les militaires de la Garde nationale, les putschistes n’ont rencontré aucune résistance.
« Certains militaires ont pu toucher la prime Sanogo [prime de guerre versée chaque mois à chaque soldat envoyé au front]. Des primes ont également été allouées aux ayants droit des militaires. Mais les attaques de plus en plus meurtrières ont miné le moral des troupes et fait resurgir les frustrations. Les soldats avaient l’impression de ne pas avoir été écoutés après l’attaque de Boulkessi et Mondoro, en octobre 2019« , détaille Marc-André Boisvert.
« Il existe au sein de l’armée des frustrations latentes entre des officiers qui avaient les faveurs du pouvoir et les autres », explique Baba Dakono, secrétaire exécutif à l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité.
Pour le chercheur, les changements opérés au sein de la sécurité présidentielle sont aussi à l’origine de tensions entre les différents corps de l’armée. IBK avait retiré cette mission aux bérets rouges, pour la confier à la Garde nationale, puis à la gendarmerie.
Mardi matin, Ibrahim Boubacar Keïta avait en outre limogé le lieutenant-colonel Ibrahim Traoré de son poste de chef de la sécurité présidentielle. « Ce limogeage a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », estime Baba Dakono.
Autre élément qui pourrait avoir accéléré les choses : le rapport du groupe d’expert de l’ONU, qui a fuité le 14 août dernier. Son contenu, qui pointait la responsabilité directe de plusieurs gradés maliens dans les retards observés dans l’application de l’Accord de paix d’Alger, a suscité des tensions au sein de l’appareil militaire, selon Baba Dakono. « Ce rapport a donné l’impression que certains se la coulaient douce, tandis que d’autres mourraient au front », explique le chercheur.
Par Aïssatou Diallo
et Marième Soumaré
JeuneAfrique