L’imam malien Mahmoud Dicko, figure de la coalition hétéroclite qui réclame la démission d’Ibrahim Boubacar Keïta, revient pour Jeune Afrique sur l’échec de la médiation de la Cedeao et sur ses relations avec le président malien.
L’imam Mahmoud Dicko est au cœur de l’échiquier politique malien. Le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), la coalition hétéroclite qui mène la contestation contre le président Ibrahim Boubacar Keïta, en a fait son autorité morale. Les sorties de l’ancien président du Haut Conseil islamique, très critique envers la gouvernance actuelle, font trembler Koulouba.
Après plusieurs tentatives de médiation – dont la dernière en date a réuni à Bamako le 23 juillet Muhammadu Buhari, Mahamadou Issoufou, Alassane Ouattara, Nana Akufo-Addo et Macky Sall – , les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), se sont réunis ce lundi pour un sommet extraordinaire sur la situation au Mali.
À l’issue de celui-ci, ils ont réitéré une série de préconisations, parmi lesquelles la « démission immédiate des 31 députés dont l’élection est contestée y compris le président du Parlement », un appel à « une recomposition rapide de la Cour Constitutionnelle » et à « la mise en place rapide d’un gouvernement d’union nationale ».
Entretien avec l’imam Dicko, dont la popularité n’a fait qu’augmenter ces derniers mois et vers lequel tous les regards se tournent.
Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous déclaré à la sortie de votre rencontre avec les chefs d’État de la Cedeao, le 23 juillet, que « rien n’avait bougé » ?
Mahmoud Dicko : Rien n’a bougé parce qu’ils n’ont rien proposé. Ils nous ont répété ce qui avait déjà été dit. Était-ce la peine que cinq chefs d’État se déplacent pour nous dire ce que la précédente mission conduite par Goodluck Jonathan avait conclu ? Je me demande quel était le sens réel de cette mission.
La Cedeao propose la recomposition de la Cour constitutionnelle, le réexamen du contentieux électoral et la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Qu’en pensez-vous ?
Je n’ai pas de problème par rapport à leurs propositions. Mais elles restent vagues. Lors de leur mission, les cinq chefs d’État ont insisté sur ce qu’ils considéraient comme une ligne rouge : la démission du président. C’est un point de vue que je partageais et je suis toujours de cet avis.
Qu’attendez-vous du sommet extraordinaire des chefs d’État de la Cedeao du lundi 27 juillet ?
Ce sont des hommes responsables qui se soucient du pays. J’espère qu’ils prendront des résolutions à même de résoudre la crise.
Certains évoquent des dissensions au sein du M5-RFP, entre une branche qui se contenterait de la démission du Premier ministre Boubou Cissé et une autre qui campe sur le mot d’ordre de la démission du président. Est-ce exact ?
Le Premier ministre est nommé par le président. C’est à ce dernier de chercher la solution. C’est à lui d’apprécier s’il doit se séparer de ce chef de gouvernement ou non. C’est à lui de juger si cela permettrait de calmer les manifestants. Cela dit, combien de Premiers ministres a-t-il changés depuis qu’il est au pouvoir ? Un bon nombre. Alors pourquoi tient-il tant aujourd’hui à garder celui-ci ?
Le M5-RFP observe une trêve jusqu’à la Tabaski, le 31 juillet. Quelle sera la suite des actions ?
Je ne sais pas. Il faudrait poser cette question aux leaders du M5-RFP. IL EST SIMPLISTE DE DIRE QUE J’ISLAMISE LA CONTESTATION
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d’« islamiser » la contestation ?
Je suis musulman, tout comme de nombreux Maliens. On ne peut le nier. Mais il est simpliste de dire, à partir de ce fait, que j’islamise la contestation. C’est une insulte faite au peuple malien de penser que moi seul peut islamiser le pays. C’est un peuple qui s’est battu pour la démocratie. Des Maliens ont perdu la vie pour cela.
Vous avez organisé une prière mortuaire en hommage aux personnes tuées dans les manifestations des 10 et 11 juillet dans votre mosquée et avez insisté à plusieurs reprises sur la nécessité de faire la lumière sur les circonstances de leur mort. Où en sont les enquêtes ?
Ce n’est pas normal que des gens qui sortent dans la rue pour manifester soient tués. Je n’ai personnellement pas connaissance d’une enquête ouverte par l’État. Cela reste d’ailleurs l’une des revendications des manifestants. En revanche, certaines ONG se sont emparé de la question et ont mené des enquêtes, à l’image d’Amnesty International.
Quelles sont vos relations avec Ibrahim Boubacar Keïta aujourd’hui ?
Il reste toujours mon frère. On peut avoir des points de vue divergents, mais ça n’enlève rien au fait que ce soit mon frère.