Dr Fousseyni Doumbia-professeur de droit
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Dr Fousseyni Doumbia, professeur de droit à propos de la révision de la constitution : « Il faut que le consensus prévale »

Préconiser la démarche inclusive et consensuelle, capitaliser les différentes tentatives de révisions et essayer de toucher certains éléments substantiels de la Constitution de 1992… Dr Fousseyni Doumbia, Constitutionnaliste et Professeur de Droit à l’Université de Bamako, trace des directives afin de donner une chance de réussite au projet de rédaction de la nouvelle constitution du Mali dont le décret a été signé par le Président de la Transition Assimi Goita, le 10 juin 2022. Interview.

L’Observatoire : Quelle est l’opportunité de la révision de la constitution du Mali ?

Dr. Fousseyni Doumbia : C’est tout à fait normal qu’on puisse réviser ou élaborer une nouvelle constitution. Je tiens à rappeler qu’on n’est pas dans la dynamique de la révision. On est dans la dynamique d’élaboration d’une nouvelle constitution, parce c’est la constitution qui est révisée dans quelques-uns de ses articles, et que la constitution reste toujours en vigueur. Alors que dans le cadre de l’élaboration de la constitution, c’est la constitution en vigueur qui disparait au profit d’une nouvelle constitution, donc dans cette dynamique on change de république. Il est important de rappeler que de 1960 à nos jours, le Mali a connu trois constitutions donc trois républiques. Si on change la constitution actuelle qui marque la naissance de la troisième république, on va basculer dans une quatrième république. La constitution de 1992 est une constitution très dépassée, malmenée qui a des limites sur bien des points parce que depuis qu’elle a été mise en place en 1992, elle n’a jamais fait l’objet de révision ou de modification. Alors que le droit constitutionnel a beaucoup évolué, les pratiques des années 1992 et celles d’aujourd’hui ne sont plus conciliables.

Ensuite également les circonstances changeant de moment, à travers les différentes solutions de sortie de crise, ont influé considérablement sur le contenu de la constitution de 1992. Ce qui fait que cette constitution doit être vraiment chamboulée, aujourd’hui, et dans le sens de tenir compte à la consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit et même de la paix. Et, ensuite établir certaine confiance démocratique avec la population. La Cour constitutionnelle a atteint ses limites dans le cadre du traitement du contentieux électoral, l’ensemble des institutions de l’Etat ont atteint leurs limites. Donc il faudra les renforcer pour permettre à la population de leur établir une certaine confiance. Egalement, le Mali a souscrit à des instruments juridiques internationaux qui demandent le chamboulement de notre constitution, c’est notamment la directive  de l’UEMOA qui demande à tous les Etats membres, depuis 2000, de mettre en place une cour des comptes. Tous les Etats l’ont fait sauf le Mali, parce que tout simplement la procédure  de mise en place de cette institution qu’est la cour des comptes est très délicate et très difficile à mettre en œuvre, il faut  impérativement un referendum. Est-ce il faudra convoquer tout un referendum juste pour mettre en place une cour des comptes ? Et cela va coûter extrêmement cher aux pauvres contribuables maliens que nous sommes. Donc il est impératif  d’aller vers une réforme de la constitution  qu’elle soit de révision ou d’élaboration. Ce qui est sûr, la classe politique est fortement divisée là-dessus pour tenir compte à certains impératifs de changements.

Nombreux qui pensent que l’élaboration d’une nouvelle constitution permettra de corriger les insuffisances constatées dans la présente en vigueur. Etes-vous d’accord?

Naturellement, ça dépend du contenu qui va être mis dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle constitution.  Ce qui est sûr, je l’ai dit, on n’invente pas la roue. Il y a eu déjà plusieurs tentatives de révision constitutionnelle qui ont proposé des éléments  qui permettent à la constitution de 92 d’être consolidée dans le cadre du fonctionnement de ses institutions, de la consolidation de l’Etat de droit et même de la paix. Donc, on peut essayer de capitaliser les différentes tentatives  de révision constitutionnelle, ensuite essayer aussi de toucher à certains éléments substantiels de la constitution de 92. Je disais qu’on ne peut changer de constitution si on ne touche pas certains éléments fondamentaux de la constitution en vigueur. Par exemple la nature du régime politique. Alors, si on ne la change pas l’élaboration d’une nouvelle constitution n’aurait pas de sens. Si on ne change pas la forme d’Etat aussi, peut-être, ou on change la forme d’Etat, on est dans un Etat unitaire, on bascule dans un Etat fédéral, par exemple, ou bien dans une régionalisation d’Etat.

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Dans cette dynamique, l’élaboration de la constitution aura son sens. On est dans un régime semi présidentiel, on pourrait basculer soit dans un régime parlementaire soit dans un régime présidentiel pour donner un sens à l’élaboration d’une nouvelle constitution, et beaucoup d’autres éléments. Il y a également des lignes rouges qui ne peuvent pas être franchies par le pouvoir de révision. Quand vous regardez l’article 118 de la constitution du 25 février 1992, alors on constate que l’initiative peut être enclenchée. Sauf qu’on ne peut pas toucher à certains éléments, par exemple, la question de la laïcité. Bien sûr on ne pourra pas la toucher.

Mais le multipartisme qui ne peut pas faire l’objet de révision, connait une prolifération anarchique des partis politiques sur la scène politique malienne, on peut essayer de l’encadrer tout en essayant de rationaliser le multipartisme dans notre pays, et ensuite également la forme républicaine aussi ne peut être changée parce que le pouvoir appartient au peuple. C’est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Donc si on ne touche pas à certaines lignes rouges, si on ne touche pas à certains éléments substantiels que je viens d’indiquer je ne vois pas de raison de changement de constitution. On pourrait plutôt s’inscrire dans une dynamique de révision de la constitution parce qu’il y a une grande partie de la classe politique surtout les acteurs du mouvement démocratique qui sont très réticents par rapport à l’élaboration d’une nouvelle constitution. Parce que la constitution de 92, c’est une constitution symbole, fruit d’une longue lutte, c’est du sang du peuple malien qui a coulé pour permettre à son élaboration, donc dans cette dynamique il faudra la maintenir tout en essayant de la renforcer à travers des mécanismes de révision de la constitution.

La révision de la constitution a été un échec pour les régimes d’ATT et d’IBK. En tant qu’expert en droit, quelle démarche préconisez-vous pour éviter les erreurs du passé ?

C’est vrai qu’il y a eu plusieurs tentatives, j’allais dire tous les présidents de 1992 à maintenant ont essayé d’apporter une modification à la constitution de 92. Tout cela a été couronné par un échec. Je crois que comme je l’ai dit tantôt, s’il y a eu l’unanimité au sein de la classe politique et sociale du pays, c’est celle qui concerne notamment la question  de la réforme constitutionnelle. Les gens sont fortement unanimes là-dessus il faut vraiment réviser cette constitution. Ce qui dévie surtout, c’est la méthode et le contexte. Dans cette dynamique pour faire prospérer facilement la réforme constitutionnelle et d’éviter surtout l’énième échec des différentes tentatives, il est particulièrement important de préconiser la démarche inclusive et consensuelle, c’est-à-dire, la constitution est le fruit d’un consensus, s’il faut la reformer il faut que le consensus aussi prévale. C’est ce qui a été surtout compris par les autorités de la transition en occurrence le président de la transition qui a décidé surtout d’associer l’ensemble des forces vives de la nation autour de ce projet d’élaboration de la constitution. Quand vous regardez le décret il y a un certain nombre de forces politiques et sociales du pays qui sont citées, qui ne vont pas être en marge de cette réforme, qui auront des conclusions et des recommandations à faire, qui après, vont être traitées par le comité d’experts qui sera mis en place par le président de la transition. Donc pour faire prospérer les choses, le plus important ce qui est totalement admis dans une démocratie, c’est de renforcer le principe par la voie du consensus autour de l’élaboration de la future nouvelle constitution du Mali.

La Transition est-elle bien placée pour procéder à l’élaboration de la nouvelle constitution ?

Rires. Je crois que, sur ce point, je me dis s’il y a une période admise pour l’élaboration d’un tel document de portée importante qu’est la constitution, c’est la période de transition, sauf que dans la pratique ces derniers aussi ont leur raison, parce que la transition dans ses principes, dans ses valeurs, devraient être impartiale, neutre, ne pas prendre position pour une partie au détriment d’une autre. Mais on a l’impression que les contraintes se produisent sur le terrain parce que d’aucuns pensent que ils sont parvenus au pouvoir par le biais des élections, par le biais de l’alternance. Ils ont des projets à mettre en œuvre, ils vont les matérialiser quelles que soient les conséquences qui vont en résulter et au détriment aussi du consensus qui doit être priorisé en période de transition. Ce qui est important à préciser, c’est que en période de transition on ne doit pas du tout parler ni de majorité ni d’opposition, mais le fonctionnement actuel du pays fait de telle sorte que la transition est entrain de considérer une partie comme une majorité au détriment d’une opposition. La classe politique est fortement divisée, on va de clivage à clivage ce qui va être fortement limité.

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C’est ce qui fait aujourd’hui qu’une partie de la classe politique pense que la transition est partiale. Une transition qui n’est pas neutre, une transition qui considère une partie comme majorité et l’autre comme opposition n’est pas à même d’engager une réforme constitutionnelle pour le Mali. Alors que la bonne période, à mon avis, c’est la période de transition si bien sûr. Elle est neutre, impartiale et équidistante vis-à-vis de l’ensemble des forces politique et sociale du pays. Parce qu’il est très difficile pour un homme politiquement engagé, d’engager une réforme constitutionnelle. Il y aura toujours des zones d’ombres à étaler sur la place publique, pour beaucoup, c’est une manière soit de renforcer dans ses prérogatives  en tant que président de la république, soit de s’inscrire dans une dynamique d’un énième mandat à la tête du pays. Alors que pour la transition ce n’est ni l’un ni l’autre. Le plus important, c’est d’être neutre et impartial et s’inscrire dans la dynamique des réformes engagées. Egalement pour ces derniers, c’est vrai que nous avons une transition très-très ambitieuse, la transition aurait dû s’atteler à l’organisation des élections et partir. Mais, il y a déjà une dose de consensus qui est là, puisque, au moment des concertations nationales du 10, 11 et 12 septembre 2020 résultant du coup d’Etat du 18 aout 2020, il y a eu la feuille de route de la transition qui a demandé l’élaboration d’une nouvelle constitution pour le Mali, cela a été acté par l’ensemble des forces vives de la nation. Les Assises nationales, même si, elles n’ont pas été aussi inclusives que les concertations nationales, ont aussi demandé dans le cadre du processus de refondation de l’Etat de basculer à une nouvelle république. Donc ce qui semble beaucoup plus important, à mon avis, c’est de rassembler les Maliens, l’ensemble des forces politiques et sociales, aussi bien dans le cadre de la gestion du pays mais aussi dans le cadre de l’engagement des différentes reformes, qui engagent toute une nation. Personne ne doit être en marge de ce processus-là.

Peut-on dire que notre pays regorge de ressources humaines capables de conduire le projet d’élaboration de la nouvelle constitution, à bon port, parce qu’on se rappelle qu’il y avait des experts étrangers dans les différentes tentatives échouées ?

Je ne peux pas confirmer ça. Peut-être au moment de l’élaboration de la constitution de 1992, je crois qu’il avait l’assistance des constitutionnalistes étrangers. Pour les différentes tentatives, c’est vrai qu’il se peut que les experts étrangers aient également contribué à ce processus en termes d’appui, mais, il y a eu des comités d’experts, par exemple, celui de 2019 dont je faisais partie n’était composé que des Maliens. Le Mali regorge de très grand juriste, d’éminents juristes qui se sont fait distinguer aussi bien sur le plan national qu’international dans le cadre des processus de réformes dans autres Etats. Donc, on n’est pas en panne  de spécialiste en la matière, je crois que les spécialistes sont là, le plus important, c’est de les activer et les résultats seront là au service de l’intérêt supérieur de la nation.

Propos recueillis par Ousmane Morba

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