L’Éthiopie s’apprête à lancer la quatrième et dernière phase de remplissage du Barrage de la Renaissance… sans concertation ni accord avec le Soudan et l’Égypte, situés en aval.
Le 24 mars dernier, l’Éthiopie a annoncé l’achèvement à 90 % de son Barrage de la Renaissance et un nouveau grand remplissage – le quatrième et dernier – pendant la prochaine saison des pluies.
Selon les données des chercheurs, cette opération provoquera le blocage, cet été, d’environ 20 milliards de mètres cubes d’eau. En réponse, le ministre égyptien des Ressources en eau et de l’Irrigation, Hani Sweilam, a dénoncé lors de la Conférence de l’ONU sur l’eau, « les effets désastreux » des mesures unilatérales prises par l’Éthiopie et des « dommages incommensurables sur la stabilité sociale et économique de l’Égypte », principal pays concerné avec le Soudan.
La question du barrage, pourtant, continue à préoccuper les spécialistes, qui déplorent l’échec du dialogue entre les trois pays baignés par le Nil. « Si la quatrième phase de remplissage du barrage éthiopien est lancée, Addis-Abeba réalisera complètement son but et la construction de barrage sera un fait accompli. Malheureusement, l’année dernière, il n’y a eu aucune avancée dans les négociationsentre les trois pays », confie à Jeune Afrique Abbas Sharaky, professeur de ressources hydriques et de géologie à l’Université du Caire.
Recours devant l’ONU
« L’annonce par l’Éthiopie d’un achèvement de la construction du barrage à 90 % est exagérée, mais cela n’empêche pas que le pays va bloquer environ 20 milliards de mètres cubes d’eau pendant les prochains mois, soit l’équivalent de la quantité totale d’eau qui a été bloquée derrière le barrage pendant les trois mois précédents cette nouvelle phase de remplissage. L’Éthiopie adopte une méthode aléatoire dans le remplissage. Elle bloque des quantités d’eau sans coordination avec les deux pays d’aval et sans tenir compte de leurs besoins », ajoute ce spécialiste.
Qui rappelle aussi que « la dernière réunion qui a regroupé l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie remonte à début avril 2021. Malgré le recours déposé par Le Caire auprès du Conseil de sécurité de l’ONU au printemps dernier pour forcer Addis-Abeba à accepter un accord légal sur le barrage, aucune réunion n’a été tenue depuis entre les trois pays concernés. »
À ce stade, les Égyptiens ne peuvent que constater l’échec de leurs tentatives, et de nouvelles négociations semblent plus qu’hypothétiques. « L’Éthiopie a tiré profit de la situation actuelle pour imposer sa volonté à l’Égypte, et ce pour la quatrième fois, sans que cela provoque aucune action de la part du Caire », explique Adly Sadawy, membre du Conseil égyptien des affaires étrangères (ECFA), et ancien chef de l’Institut des recherches et des études stratégiques sur les États du bassin du Nil à l’Université de Fayoum.
Mobiliser la communauté internationale
« Le quatrième remplissage du Barrage de la Renaissance va pourtant avoir un effet majeur sur l’Égypte, vu la grande quantité d’eau qui sera bloquée par le barrage. Si elle veut débloquer la situation, elle doit maintenant trouver le moyen d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le sujet, poursuit-il. Ce qui implique de faire du dossier du barrage un point chaud sur la scène internationale. »
Une opinion partagée par l’ancien vice-ministre égyptien des Affaires étrangères, Mohamed Hegazi, qui a indiqué à Jeune Afrique que « l’Égypte ne va pas accepter d’être la seule à subir des dégâts causés par la construction du barrage si l’Éthiopie reste déterminée à achever le projet sans accord. L’eau du Nil est une question de vie ou de mort, et demeure un dossier prioritaire qui prime sur toutes les autres crises qui frappent l’Égypte ».
Le 9 mars dernier, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Shoukry, a confirmé aux médias locaux que « toutes les options sont ouvertes, toutes les alternatives restent imaginables, et l’Égypte peut compter sur ses capacités et ses relations étrangères solides ». Une manière implicite de laisser croire que l’option militaire est encore une possibilité. Dans le pays, pourtant, le sujet ne fait pas vraiment débat, toutes les discussions tournant autour des problèmes économiques.
Depuis mars 2022, le pays s’enfonce dans une crise économique aiguë. La livre égyptienne a perdu plus de 50 % de sa valeur, l’inflation a grimpé à plus de 40 % en février 2023, alors que le prix des denrées essentielles adoublé.