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Le Coronavirus et nous : ce que je crois

Le monde, face à une pandémie inédite est en plein bouleversement sous nos yeux. Elle frappe le Mali et l’Afrique où les vulnérabilités pointées font craindre à certains un désastre sanitaire et une grave crise économique.

Notre système de santé a été sondé dans ses atouts et faiblesses face à cette pandémie sans précédent. Elle survient au Mali à un moment où l’état du pays est des plus précaires : crise de gouvernance, de l’Etat, institutionnelle, insécurité quotidienne des populations rurales, attaques des Groupes terroristes, conflits intercommunautaires, insécurité alimentaire, menaces d’autres épidémies saisonnières, crise de l’éducation, difficultés économiques et financières…

Nous payons un lourd tribut qu’une gouvernance erratique n’arrive pas à enrayer. Dans ce contexte, nous avons une pensée pour le Chef de file de l’opposition Soumaila Cissé en demandant que tout soit fait pour qu’il retourne parmi nous sain et sauf. Et de même pour tous ceux qui ont été pris en otages.
Pour affronter la maladie qui est désormais présente au Mali, avec Bamako comme épicentre, les mesures les plus strictes doivent être prises sans délai pour limiter sa diffusion et son extension à l’ensemble du pays.

Certes, des dispositions ont été prises comme un peu partout, avec leurs difficultés d’application, des plans Covid19 « adoptés », des opérations conduites ; nous avons les compétences pour cela si elles sont toutes exploitées, associées et écoutées, étant entendu que c’est aux autorités compétentes de donner la direction, prendre les décisions requises et coordonner les actions programmées.
Avons-nous véritablement tiré toutes les leçons de l’épisode EBOLA, particulièrement disposions-nous d’un Plan de préparation et de réponse solide, constamment adapté aux menaces d’épidémies à potentiel de pandémie ? Allons-nous sortir de là sans dispositif de santé publique robuste, sans une recherche performante, sans une capacité renforcée de réflexion stratégique, d’anticipation ? Sans appréhender les bases d’un nouvel essor ?

À cet égard, quatre questions nous semblent importantes : la gouvernance, la pertinence des mesures sanitaires et socioéconomiques, la reconstruction de nos capacités de recherche et d’innovation technologique, la définition d’un dispositif pérenne de prospective et donc d’anticipation.

1. Seule une gouvernance de responsabilité, une gouvernance osée et transparentequi prend à bras le corps la lutte contre l’épidémie dans une démarche systémique et intégrée, peut mobiliser tous les segments et donner de vraies perspectives au pays et à nos concitoyens.
Aucune des crises que nous vivions déjà n’entrera en hibernation le temps d’en finir avec le coronavirus ! Elles vont interagir et nous devons y faire face par une réponse globale et intégrée.
Le défi de la légitimité de l’Etat est au cœur de la riposte : sa capacité à redonner du sens à son action en répondant au « besoin d’Etat » des populations à la base, notamment sécuritaire, sanitaire, alimentaire et éducatif. La seule posture opérante, est celle de la responsabilité, de la crédibilité de la gouvernance de la crise au Mali : transparence, cohérence et cohésion.Transparence sur les politiques et stratégies retenues, dans l’établissement et la diffusion des indicateurs de l’évolution de l’épidémie.
Quel Plan Covid-19 faut-il retenir ? Le ministre de la Santé et des Affaires sociales avait parlé d’un peu plus de cinq milliards, le Président de la République de 6 milliards et le volet budgétaire d’un plan retient environ 34 milliards ; le 3ème discours parle de mesures sociales de cinq-cents milliards dans une hypothèse basse, sans oublier d’autres mesures sociales et économiques avancées dans le même discours.

Les moyens engagés par le gouvernement sur tous les plans, sanitaire, social et économique doiventêtre clairement connus, mis en place aux niveaux requis et suivis pour garder le soutien et l’implication active des populations à la riposte.

Bureau de l’U.A contre Covid19: IBK en première ligne

Le Fonds Covid-19 gagnerait à une gestion tripartite : administration, société civile et secteur privé. Manuel de procédures, plan de passation de marchés qui peuvent tout à fait allier urgence et transparence, rien ne doit être négligé pour réduire les suspicions et autres défiances.
Une telle gouvernance qui aura le soutien de tous est indispensable pour mobiliser notre peuple pour une riposte forte et intégrée, centrée sur un « compact » de services répondant aux attentes des populations. Rassurer et redonner confiance sont indispensables à une sortie de crise solide et durable.

2. Mesures sanitaires, sociales et économiques

Tout doit être fait pour ralentir, contenir la diffusion du virus. Bien de mesures prises vont dans le bon sens – même si d’autres attendent des décisions- et nous devons tous soutenir, faire connaître et faire respecter par tous les citoyens les règles de base pour la prévention de la maladie :
– La mise de distance (plus d’1 mètre) entre les personnes.
– Le lavage fréquent des mains au savon, ou pour ceux qui le peuvent de gel hydroalcoolique,
– La protection des autres contre la toux,
– La suppression des poignées de main et des embrassades.
– Le port de masques et on doit prendre soin de ne pas le présenter comme un substitut aux autres mesures.

Quelques remarques et suggestions

• Le personnel de santé que nous félicitons et encourageons doit être convenablement équipé ; formé tout le long avec un plan de mobilisations de ressources humaines complémentaires. Il en est de même pour le personnel de la protection civile.
• Prendre immédiatement des mesures drastiques et en atténuer les contraintes par un volet social et ou économique approprié. Il est incompréhensible de soumettre à un comité scientifique l’opportunité de confinement de Bamako et de maintenir le second tour des législatives en se référant au dialogue national en pleine évolution de l’épidémie ! Non il faut confiner (isolement) Bamako et environs, prendre toutes les mesures pour contenir la propagation.
• Capacités à collecter les informations, les traiter et prendre les décisions et les ajuster à l’évolution de la maladie ; évoluer en temps réel et anticiper en impliquant les chercheurs.
• Redéployer le programme de communication et de mobilisation, en incluant fortement les collectivités, notamment les communes qui ont des responsabilités en la matière ; les chefs de village, de fraction et de quartier et avec eux élargir aux comités de chefs de famille pour agir et gérer au plus près des populations, les jeunes et les femmes, les mesures indispensables et qui sont contraignantes.
• Adapter notre doctrine en matière de tests et donc de dépistage au profil de l’épidémie, aux objectifs d’endiguement de la maladie.
• Etendre les capacités de diagnostic du Covid-19 au niveau national, les quatre laboratoires retenus dans le plan sont tous situés à Bamako. Il est impératif de prendre en compte la dispersion de la maladie dans les régions du pays et la multiplication des foyers (épicentre). Pour cela, un inventaire de tous les laboratoires des districts sanitaires disposant des enceintes de confinement microbiologique de type 2 (poste de sûreté microbiologique) qui permettent la manipulation du virus pour le diagnostic doit être fait. Il existe et peut être disponible des appareils pour la PCR qui peuvent être installés dans ces laboratoires pour décentraliser le diagnostic du Sars-Cov 2 l’agent causal du Covid-19. Les kits de PCR pourraient être mis à la disposition de ces structures de santé. En faisant cela, nous économiserons les coûts de transport des échantillons prélevés et nous raccourcirons le délai par rapport au rendu des résultats et donc les mesures à prendre. Cela servira aussi à renforcer nos plateaux techniques à la suite de cette épidémie.
Dans tous les cas, l’impératif est de contenir et d’enrayer l’épidémie.

Au plan social et économique

Si on peut apprécier les gestes de solidarité de nos dirigeants, comme les soutiens annoncés au plan social et économique, on est interrogatif sur le caractère quelque peu précipité de ces annonces. On aurait gagné à cerner l’état réel de notre économie et l’impact économique du coronavirus ; l’économie informelle, les conséquences sur le monde rural déjà confronté à l’insécurité quotidienne, l’économie réelle est ébranlée engendrant détresse sociale et dysfonctionnements socioéconomiques. La panoplie des réponses « habituelles » est déployée, elle pansera des plaies, répondra à des urgences aux conséquences graves.

Ne restons pas cantonnés à cela. Il nous faut enclencher les prémisses d’un modèle économique plus solide, parce que les grandes crises, c’est aussi l’opportunité d’entreprendre des transformations profondes et globales qui ouvrent une nouvelle ère d’infinies possibilités. Ne nous privons pas de cette opportunité, mais ceci demande une autre gouvernance, un Etat stratège.

3.Remobiliser notre capacité de recherche et d’innovation

Soyons inventifs et utilisons toutes les ressources de notre système de santé, d’enseignement supérieur et de recherche. Oui, toutes ces générations de scientifiques, chercheurs au talent avéré, anciens, seniors comme cadets et qui ont fait et pourraient tant faire encore pour leur pays ; eux qui emportent des projets de recherche, qui portent les centres d’excellence et qui collaborent avec des instituts réputés. C’est le lieu de leur rendre un vibrant hommage, de leur manifester notre gratitude, et de leur dire qu’ils sont le fer de lance d’un Mali maître de son destin.

L’innovation est la force motrice qui nous permettra de réussir notre décollage économique : nous devons y mettre le prix qu’il faut. Notre capacité à nous développer par nous-mêmes en dépend. Le développement de la recherche doit être axé sur les besoins économiques et sociaux du Mali et fondé sur les priorités de son développement.
C’est dans cet esprit qu’a été créé en 2011 le Fonds Compétitif pour la Recherche et l’Innovation Technologique (FCRIT). Le Fonds est alimenté par des subventions budgétaires représentant 0,20% des recettes fiscales (on se souviendra que ce mode de subvention n’existait que pour les partis politiques avec 0,25%) et, pour ne remonter qu’à 2017 le fonds a reçu environ 2, 333 milliards de FCFA ; 2018 : 2,6 milliards, 2019 le même montant et 2020 : 2,3 milliards CFA soit en quatre ans environ 9,8 milliards de francs CFA. Les ressources affectées au Fonds sont additionnelles aux allocations budgétaires existantes pour le secteur de la recherche.
Nous avons les compétences, des laboratoires de recherche de niveau élevé, des expériences avérées y compris en recherche vaccinale, comme en pharmacopée traditionnelle…Nos chercheurs sont déjà engagés, on doit les encourager et leur donner les moyens appropriés. Voilà le chemin des réponses endogènes et structurantes.

Sortons ce Fonds de la léthargie dans laquelle on l’a confiné. Enseignants, chercheurs, ingénieurs, industriels, artisans et producteurs agricoles… mobilisons-nous pour amener les pouvoirs publics à utiliser le Fonds comme un puissant levier, pour faire éclore les créativités, les innovations, faire jouer les compétences dans une articulation recherche et production avec une vision stratégique partagée, des axes de recherche prioritaires et le tout, porté par un agenda clair et volontariste.
4. Renforcer notre capacité de réflexions stratégiques et d’anticipation
Quels sont les lendemains de la pandémie Covid-19 ? Le monde va changer, sa gouvernance doit changer, de nouveaux équilibres sont en construction, des redistributions vont se faire : quel horizon pour le Mali et l’Afrique ?
Que de plans et de financements annoncés pour le Mali, pour l’Afrique. On reparle de la dette -moratoire, annulation- sans interroger le système de la dette, ni les gouvernances encore moins les modèles économiques.

L’Afrique ne doit plus subir. Nous devons nous préparer, anticiper et construire notre propre chemin avec la ferme volonté de ne plus « …continuer à dormir sur la natte des autres… », ni dormir non plus sur celle qu’on veut nous réserver.

Et comme nous le disions, « la vérité, c’est que les modèles institutionnels et économiques nés avec les indépendances ne sont plus en mesure de donner efficacité et cohérence même aux programmes les plus judicieux. Il nous faut changer de modèle. ».

Aussi, comment refonder notre modèle de gouvernance, de démocratie, notre modèle économique et donc de développement ? Nous devons nous donner les moyens de contribuer activement à la réflexion stratégique au niveau de notre région et de notre continent.

Et le Mali doitêtre à l’avant-garde, lui qui fut actif dans l’avènement de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) et dans celui de l’Union Africaine (UA). Nous devons nous hisser à la hauteur des nouveaux enjeux. Cela demandera une vision d’ensemble, de la planification, de la méthode et du courage.

Modibo SIDIBE
Ancien Premier ministre

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