Au lendemain de la diffusion d’une vidéo où apparaissent trois chefs jihadistes opérant au Mali, le patron de la Minusma estime que ces groupes sont affaiblis. A nos confrères de Jeune Afrique, il confie que la situation dans le Sahel doit être une priorité mondiale avant qu’il ne soit trop tard.
Près de trois ans après son arrivée à la tête de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), Mahamat Saleh Annadif fait face à de nombreuses critiques. Persistance de l’insécurité dans le nord et le centre du pays, affrontements intercommunautaires et la menace terroriste semble toujours forte. S’il réclame de meilleurs moyens, le diplomate tchadien assure que l’on assiste à un affaiblissement des groupes jihadistes.
Jeune Afrique : Une vidéo dans laquelle les chefs jihadistes Iyad Ag Ghaly, Amadou Koufa et Djamel Okacha – dont les groupes sévissent au Mali, apparaissent côte à côte a été diffusée jeudi soir. Quelle a été votre réaction lorsque vous avez visionné ces images ?
Mahamat Saleh Annadif : Depuis un certain temps, beaucoup de rumeurs circulent autour d’une lutte de leadership entre les groupes terroristes dont sont issues ces trois personnes, notamment entre Iyad Ag Ghaly et Yaya Abou Amane. Sur la vidéo, on voit Amadou Koufa entre eux deux, comme si cela était une rencontre de réconciliation.
Amadou Koufa s’exprime en langue peule dans cette vidéo…
Ce message semble s’adresser en priorité à leurs pseudo-sympathisants. J’ai le sentiment qu’il s’agit d’un appel du pied. Mais qu’une organisation qui se prétend islamiste ne s’adresse qu’à une seule communauté interpelle. Tout cela est un signe d’affaiblissement.
Mais là, ils apparaissent côte à côte… N’est-ce pas plutôt la preuve de leur force ?
S’il s’agit bien là d’une rencontre de réconciliation, c’est qu’il y avait un problème. Je n’ai pas encore les preuves concrètes, mais nous avons des informations selon lesquelles ils auraient procédé entre eux à des éliminations. Il faut que l’on suive ça de près.
Ne craignez-vous pas que cette vidéo exacerbe les tensions intercommunautaires, déjà fortes ces derniers mois au Mali ?
C’est leur fonds de commerce ! Ils prospèrent en soulevant les communautés les unes contre les autres. Malheureusement, là où il y a moins de présence de l’État, moins de services sociaux, face à des populations qui se sentent abandonnées, ils parviennent à gagner du terrain.
La menace terroriste s’est étendue du nord du Mali vers le centre du pays. N’est-elle pas en train de s’accroître ?
À cause de la pression mise par Barkhane, les terroristes se sont déplacés. Malheureusement, cette zone est très peuplée et c’est un poumon économique. C’est aussi une région où il y a beaucoup de caches, ce qui permet aux terroristes de se dissimuler. Mais je crois qu’il y a une reprise en main en cours et je suis sûr que le rapport de force va rapidement changer.
La Minusma a déployé 13 000 hommes, elle dispose d’un budget d’un milliard de dollars. Malgré cela, les résultats semblent faibles…
Il y a un malentendu originel. Pour le Malien lambda ou l’observateur, si nous sommes au Mali c’est pour lutter contre le terrorisme, mais la Minusma n’a pas le mandat pour cela ! Alors, évidemment, si c’est là-dessus que vous jugez, vous allez dire que rien n’a été fait. Mais c’est oublier que nous avons aussi une mission politique et de stabilisation : accompagner le processus de paix, aider à organiser les élections… là il y a des succès. Il y a un véritable quiproquo.
Faut-il que le mandat de la Minusma devienne offensif ?
Actuellement, le mandat est inapproprié, c’est clair. Mais ce n’est pas le seul problème. Un certain nombre de nos contingents ont un clair déficit de capacité. Nous manquons de véhicules blindés, nous avons des soldats qui ne sont pas toujours bien formés, pas toujours bien équipés… et cela dépend des pays contributeurs de troupes. Je veux bien faire mon autocritique, mais il faut aussi que les pays nous fournissent les moyens adéquats.
Récemment, on a entendu plusieurs critiques à l’encontre de la mission… La ministre française des Armées, Florence Parly, ou encore le président sénégalais Macky Sall, ont déploré son manque de résultats au vu du coût qu’elle engendre…
C’est un faux procès ! Prenez la force du G5 Sahel, qui a un mandat offensif et est en train d’être mise sur pied. Si elle compte des hommes qui ne sont pas bien formés et pas bien équipés, elle rencontrera les mêmes problèmes que nous, sinon plus.
Un financement du G5 Sahel par les Nations unies est-il envisageable ?
Le secrétaire général des Nations unies est engagé en ce sens. Mais c’est le Conseil de sécurité qui est souverain… Cet engagement est un acte fort des chefs d’État de la sous-région qui ont dit : « Nous sommes prêts à prendre notre destin en main, nous sommes prêts à voir des hommes mourir, nous sommes prêts à nous engager, aidez-nous tout simplement à avoir la logistique nécessaire ». Maintenant il faut les accompagner.
Cette réponse africaine aux problèmes africains peine à se mettre en œuvre…
Malheureusement, ceux qui tiennent les cordons de la bourse hésitent. Pourtant, mieux vaudrait s’occuper de ce qui se passe au Sahel avant qu’il ne soit trop tard, sinon la menace risque de se propager ailleurs.
Après un premier mandat à la tête du Mali, les résultats d’Ibrahim Boubacar Keïta ont été critiqués. L’insécurité est toujours aussi forte et l’accord de paix n’est toujours pas mis en œuvre. Croyez-vous à un nouvel élan avec ce second mandat ?
Une nouvelle dynamique a commencé à prendre corps. Lors de son discours d’investiture, le président malien a dit que la mise en œuvre de l’accord de paix était sa priorité. Pour la première fois, il y a un ministre dédié uniquement à cela dans le gouvernement, et le Premier ministre, qui est totalement engagé dans ce sens, a été reconduit.
Vous êtes donc optimiste?
Il faut bien que je sois optimiste pour faire mon travail…
Source : Jeune Afrique