Les enseignements
De cette libération de Soumaïla Cissé et de ses propres entretiens accordés aux différents médias, nous pouvons rapidement tirer les leçons suivantes :
Les groupes terroristes sont maîtres du centre et du nord du Mali : ils contrôlent et se partagent redoutablement une bonne partie du territoire national au moyen d’une guerre d’usure qui semble produire ses effets au plus haut niveau, puisque le maître-mot dans toutes les bouches est désormais : Négociation ! Soumaïla Cissé lui-même est revenu convaincu que c’est la meilleure piste de sortie définitive à la crise. Il reste à savoir à présent ce qu’il faudra concrètement négocier avec eux.
Nos gouvernants nous mentent quand ils clament officiellement ne pas négocier avec les terroristes : Le Mali et la France ont ensemble conduit cette opération de libération. Cependant, c’est notre pays qui a payé le plus lourd tribut par le relâchement assumé de plus de deux cents (200) combattants aguerris sur son territoire. C’est un tournant majeur dans nos relations avec les groupes terroristes, car c’est la première fois qu’un échange de terroristes se fait explicitement contre des otages. Sinon, en janvier 2011, le président ATT avait malicieusement fait échapper de prison Sanda Ould Bouamama dans le cadre des négociations avec Abou Zeid, qui aboutiront un mois plus tard à la libération de trois autres otages d’Arlit. Là où nombre de Maliens voient un mauvais signal dans la lutte contre l’impunité, celui qui était le plus célèbre des otages maliens depuis mars dernier a eu du mal à trouver les mots justes, lorsque le journaliste de TV5 l’a invité à se prononcer sur le nombre excessif de terroristes relâchés en contrepartie de sa libération. Sa réponse trop égocentrée a amené certains maliens à considérer ses sorties médiatiques prématurées et moins bien préparées. Peut-être que Monsieur Cissé a simplement parlé avec le cœur de l’humain qui vient de retrouver les siens après plus de six (06) mois de séquestration, alors que ses concitoyens continuent de voir en lui le politique d’abord.
Ahmada Ag Bibi, le négociateur incontournable dans toutes les libérations d’otages de cette dernière décennie dans le Sahel : l’ancien membre du groupe Ansar Dine (d’Iyad Ag Gahly), élu ensuite député à Kidal, est l’homme par qui les énigmes se dénouent dans le désert. C’est lui qui a introduit l’ancien espion français – Jean-Marc Gadoullet – auprès d’Abou Zeid, alors chef d’AQMI, pour négocier la libération des sept (07) otages d’Areva et de Vinci, capturés sur le site minier d’Arlit et transportés au nord du Mali en décembre 2010. Dans son livre « Agent secret », sorti en 2016 aux éditions Robert Laffont, l’ancien colonel de la DGSE parle d’Ag Bibi comme un guide fiable qui connait parfaitement la zone et les différents acteurs. Depuis cette collaboration, Ahmada Ag Bibi a gagné la confiance de l’Elysée, au point d’être recommandé par la France aux autorités maliennes pour conduire les négociations pour la libération de Soumaïla Cissé et de Sophie Pétronin, au détriment des premiers intermédiaires mandatés par l’ancien premier ministre, à savoir Chérif Ould Attaher et le colonel Mamadou Lamine Konaré, qui avaient pourtant enregistré des succès importants dans le dossier de Soumaïla Cissé.
Le business lucratif des négociations d’otages : les otages dans le Sahel constitue un véritable marché rentable et périlleux, qui ne va pas disparaître de sitôt, tant ses acteurs sont puissants, manipulateurs et sournois. C’est une affaire de millions d’euros et de milliards de Francs FCFA, impliquant des prédateurs prêts à tout pour défendre leurs parts du gâteau. Dans son livre, Gadoullet attirait déjà l’attention du public sur le sujet, en évoquant les tentatives d’assassinat (dans le désert) et d’écartement (en France et en Afrique) dont il a été victime durant son travail sur le dossier des otages d’Arlit. L’ancien agent secret français nous apprenait alors que les sommes officiellement annoncées dans les médias ne sont pas forcément celles remises aux ravisseurs. Il faut toujours les relativiser, car elles vont au-delà le plus souvent, et les négociateurs récupèrent aussi un important morceau du pactole. D’ailleurs, Gadoullet et Ag Bibi réclamaient en 2015 trois millions d’euros à Areva et Vinci pour leur rôle dans la libération des otages d’Arlit. C’est donc faux de faire croire que ce sont uniquement les groupes terroristes qui vivent de l’argent des otages. C’est un cercle vicieux dont ces groupes dits terroristes constituent la face visible. Finalement, nous sommes peut-être les seuls à souhaiter la fin du terrorisme dans le sahel, puisque beaucoup ont intérêt à ce qu’il perdure aussi longtemps que possible.
L’absence de l’Etat au nord et au centre favorise l’embrigadement des enfants, privés d’école depuis des années, par les groupes terroristes, lesquels leur offre des perspectives d’avenir à travers des rétributions alléchantes. Le président de l’URD a beaucoup insisté sur le caractère juvénile de ses anciens ravisseurs. Son séjour chez les terroristes lui a indubitablement ouvert les yeux sur l’ampleur des effets de la crise sécuritaire dans le septentrion malien.
Ne jamais perdre espoir : si Soumaïla Cissé reconnaît que ce sont les mots de ses proches qui l’ont davantage motivé à rester en vie, il a tenu à féliciter les médias, particulièrement l’ORTM, dont les messages de soutien, diffusés à la radio nationale après le journal, lui ont permis de garder espoir, en sachant que tout le pays était mobilisé pour sa cause. La leçon tirée de cet épisode est de ne jamais cesser de communiquer sur la situation des otages ou des portés-disparus, même lorsque l’espoir est mince.
Les interrogations
Il y a beaucoup d’interrogations qui restent pour l’instant sans réponse dans cette opération de libération, dont entre autres :
L’enlèvement du chef de file de l’opposition pose désormais la question de l’organisation des élections dans les régions de Mopti, Gao, Tombouctou, Taoudéni, Kidal et de Ménaka : comment les candidats pourront se rendre dans cette partie du territoire pour faire campagne dans le cadre des élections présidentielles et législatives à venir ? Avec quels dispositifs sécuritaires seront-ils accompagnés ? Le risque d’enlèvement étant dorénavant établi, beaucoup de candidats vont réfléchir deux fois avant de prendre la route. Sur ce plan, les autorités de la Transition ont déjà du pain sur la planche.
Le président de l’URD pouvait-il être libéré plus tôt ? Pourquoi son sort a-t-il été délibérément négocié avec l’ex-otage française ? Un article de Jeune Afrique nous informe que les services français ne voulaient pas « entendre parler d’une libération de Soumaïla Cissé avant celle de Sophie Pétronin ». Ce qui a eu un impact sur la valeur de la rançon, qui est passée de deux (02) millions et quelques détenus à dix (10) millions (ou plus) et plus de deux (200) cents terroristes libérés.
Ce qui nous amène à la question du timing de la libération qui suscite également des interrogations : le 16 juin dernier, IBK avait annoncé l’imminence de la libération de l’ancien député de Niafounké, tout en déclarant connaître l’identité de ses ravisseurs. Pourtant, il a fallu attendre près de trois mois, durant lesquels il y a eu coup d’Etat et mise en place du gouvernement de la Transition, pour voir se matérialiser ce vœu. Pourquoi maintenant, ni plus tôt, ni plus tard ?
Pourquoi Soumaïla Cissé garde le silence sur les efforts considérables fournis par l’ancien président et son premier ministre dans le processus de sa libération ? Est-ce parce qu’il impute son rapt du 25 mars dernier à l’absence d’assistance sécuritaire adéquate de la part de l’ancien régime ? En tout cas, c’est le président de la Transition, Bah N’Daw, qui a dû officiellement reconnaître le mérite d’IBK et de Dr Boubou Cissé dans le succès de cette opération. Un geste qui a été salué par nombre de nos compatriotes.
Dr Aboubacar Abdoulwahidou MAIGA
Enseignant-chercheur à l’ULSHB.