La libération de Soumaïla Cissé, le jeudi 08 octobre 2020, a suscité une grande euphorie prouvant à suffisance que certains de nos compatriotes négligent ou ignorent les graves péripéties de cette affaire synonyme de rabais diplomatique, politique et militaire. Par ailleurs, certains propos tenus, dans les médias, par l’ex-otage ne sont pas du genre à susciter de l’espoir car elles ont montré son caractère hautain, égocentrique et méprisant.
En guise de rappel, le président de l’URD Soumaïla Cissé et trois européens, notamment la franco-suisse Sophie Pétronin ainsi que les deux italiens Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccalli ont été libérés, jeudi 08 octobre dernier, contre plus de 200 prisonniers jihadistes remis dans la nature et 10 millions d’euro. Après les cris joie et les danses à Bamako pour accueillir Monsieur Cissé dans l’indifférence face à la défaite et l’humiliation, Iyad Ag Ghali a nourri ses hommes avec des plats majestueux. Il faut pourtant sortir du déni pour mesurer la portée des graves péripéties de cette affaire qui a mis le Mali au rabais sur plusieurs dimensions.
Rabais sur le plan politique
La libération de Soumaïla Cissé a fait l’objet d’une mise en scène médiatique très scandaleuse avec la ferme volonté des nouvelles autorités de se faire une santé populaire qui pourrait être facilement façonnée dans le vide politique qu’on connait depuis longtemps. Il faut d’ailleurs noter de passage que la première ambition de la junte est de s’incruster dans le paysage politique et neutraliser tous les acteurs voués à son animation. Mais leur maladresse saute aux yeux.
Au-delà des fuites d’informations sur le processus et les conditions de libération des otages, ce qui relève de l’immaturité à plusieurs égards, leur manière de s’attribuer tous les mérites, en effaçant d’autres noms, prouve que nous sommes loin de sortir du système pourri dans lequel l’égoïsme prime sur l’intérêt général. La rivalité politique et malsaine prime sur le bon sens. Curieusement la junte a fait plier la classe politique dans son propre système. Tout le monde a applaudi les responsables de la transition après la libération de plus de 200 terroristes en qualifiant de victoire, ce qui doit être considéré comme une défaite multidimensionnelle. Le débat politique ne porte que sur une seule ligne. Il s’agit de celle qui fait plaisir aux nouveaux dirigeants, et les politiques s’autocensurent pour se mettre au diapason. Reste tabou, toute allusion faite aux négociations menées sous IBK. A cela s’ajoute le déni de Soumaïla Cissée. Dans sa première intervention sur RFI depuis sa libération, concernant les négociations, il a utilisé une métaphore sur le football afin de minimiser les premières étapes des négociations et attribuer le mérite aux nouvelles autorités qu’il a qualifiées de buteurs. A ses dires, dans un match de football, c’est le nom du buteur qu’on retient. Mais il a peut-être oublié d’ajouter que le football est un jeu collectif et qu’on y prône beaucoup le sens du fairplay. Après cette ingratitude, le président de l’URD a tenu des propos méprisants sur France 24, quelques heures après sa libération en répondant à une question sur « l’inquiétude que la libération des jihadistes peut susciter chez certains ». « J’espère qu’ils ne sont pas inquiets que je sois libéré… En tout cas, moi je ne suis pas inquiet d’être libéré… » C’est en ces termes que Soumaïla Cissé a répondu. Et le cadre politique affichait son caractère arrogant, hautain et rancuneux. « je suis libéré en contrepartie des jahadistes, vous voulez récupérer les jihadistes et me dire si je ne suis pas content, et que donc je n’ai qu’à retourner là-bas. Je pense que dans toutes les guerres ils sont en train d’en libérer des jihadistes en Afghanistan ; ils sont en train d’en libérer en Arabie Saoudite et au Yémen ; je n’ai pas de jugement de valeur à ce niveau-là» se laissait aller l’ex-otage.
Par ailleurs, le leader politique n’a pas hésité de montrer son adhésion à la ligne politique des jihadistes. « Je discutais avec mes ravisseurs lorsque j’étais au centre du pays… Lors de ces discussions, je remarquais la pauvreté, l’échec social » a affirmé Soumaila Cissé. Il n’a pas manqué de donner son point de vue sur le dialogue entre l’état et les jihadistes. « Je n’ai par exemple jamais refusé d’établir un dialogue avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa… Et dans la situation du Mali aujourd’hui, il faut trouver des alternatives à la pensée dominante» disait-il. Ce qui prouve que le président du l’URD a longtemps dupé les gens sur ce sujet car il disait le contraire dans ses discours de campagnes ainsi que ses prises de parole dans plusieurs débats politiques. Pas plus tard qu’un mois avant son enlèvement, Soumaila Cissé avait annoncé qu’il ne croyait pas au succès du dialogue avec Iyad et Koufa. Il a ajouté que si l’Etat devrait dialoguer avec eux, il fallait poser les conditions. « … qu’on sache qu’est-ce qui est à négocier ; est ce que la laïcité, l’intégrité territoriale, la forme républicaine du Mali sont négociables ? » avait il posé comme questions préalables.
Rabais sur le plan diplomatique
Dans les négociations qui ont permis la libération de Soumaïla Cissé et les trois ex-otages européens, les autorités maliennes n’ont pas fait que des concessions mais elles ont fait du suivisme. En effet, c’est la France qui a mené la danse en douce avec ses propres décisions, ses propres négociateurs et ses propres services de renseignement en faisant fi des approches du gouvernement malien. Ce qui n’a rien de surprenant dans la mesure où depuis 2010, Nikola Sarkozy, alors président de la France disait qu’il faisait plus confiance au MNLA qu’au gouvernement Malien en ce qui concerne la lutte contre les rapts et le terrorisme au sahel. Telle est la position de l’ancienne puissance coloniale qui traite beaucoup d’affaires de ce genre avec des grands jihadistes comme Iyag Ag Ghali et ses collaborateurs. Et c’est le même réseau qui a été privilégié sur celui opté initialement par IBK pour négocier la libération de Soumaïla Cissé et les trois ex-otages européens.
En effet sous la pression des autorités françaises, le gouvernement malien a mis de côté les efforts de ses négociateurs comme l’ancien conseiller de Blais Compaoré, Limam Chafi le mauritanien et l’ancien membre du MUJAO Cherif Ould Ataher. C’est ainsi qu’au compte de la France Ahmada Ag Bibi, un proche d’Iyad Ag Ghali a pris le dossier avec les marchandages, tractations et fuites d’informations qui s’en sont suivis jusqu’au dénouement.
Rabais sur le plan militaire
« La libération des otages a été obtenue grâce aux efforts des services de renseignement, des forces armées et de sécurité, des partenaires du Mali et de la cellule de crise. » Telle était la déclaration des autorités maliennes. Si on n’hésite pas à dire publiquement que nos forces armées ont participé à des négociations ayant abouti à la libération de 204 jihadistes et un versement de 10 millions de FCFA, on ne peut envisager que des perspectives désastreuses. Comme une ironie du sort, au moment où les gens vivaient dans l’euphorie de la libération de Soumaila Cissé, le village de Farabougou, situé à 34 kilomètres de la ville de Niono, subissait une attaque sanglante avant d’être assiégé pendant plusieurs jours avec un bilan de 6 morts, 22 blessés et 9 personnes enlevées. Ce qui rallonge le nombre d’otages anonymes qui sont des centaines à être trimballés par les jihadistes. A cela s’ajoutent les attaques qui ont fait plusieurs victimes civiles et militaires, dans la nuit du 12 au 13 octobre dernier, à Sokoura dans le cercle de Bankas.
Avec la prime au jihadisme consentie par nos autorités, on a signé la défaite de l’Etat dans la lutte contre le terrorisme. Dans cette affaire, les jihadistes sont sortis renforcés avec du financement et du respect. Aussi, leur succès, dans la libération des 204 prisonniers terroristes, peut susciter l’adhésion de nouvelles recrues car nos autorités leur ont donné l’occasion de se montrer puissants, crédibles et intouchables.
Issa Santara (Contribution)
Source: L’Observatoire