Plongée dans un témoignage fort. Celui d’Abdoulaye* à propos de l’enlèvement du chef de l’opposition malienne, de la vie avec les djihadistes aux négociations. Par Olivier Dubois, à Bamako.
« On est partis de Saraféré aux alentours de 15 heures avec 2 véhicules. La voiture de l’honorable Soumaïla Cissé était en tête. À 5 km de Koumaïra, on a entendu des coups de feu venant de devant, contre le véhicule de Soumaïla », retrace Abdoulaye*, l’un des membres de la délégation, kidnappé avec le chef de l’opposition et retenu captif pendant des jours en forêt. « En quelques secondes, nous avons été entourés par de nombreux combattants armés. Ils tiraient vers le haut, des tirs de sommation, et d’autres tiraient sur les véhicules en criant « Allahou Akbar, Allahou akbar ! ». Pendant les coups de feu, on s’est aplatis derrière les sièges. Puis, ils ont ouvert les voitures et nous ont dit de sortir et de nous allonger par terre. On a eu 3 blessés, dont le garde du corps, qui est décédé. Soumaïla a été blessé à la main par des éclats de vitre. Il est resté très calme durant l’attaque et nous disait de ne pas paniquer, de faire tout ce qu’ils demandent. Quelques minutes plus tard, ils l’ont pris et emmené à moto. On ne l’a plus revu depuis. Ils nous ont séparés en deux groupes, nous ont bandé les yeux et nous sommes repartis en voiture », ajoute-t-il.
L’assurance avait pourtant été donnée quant aux conditions de sécurité
Le 25 mars dernier, il n’aura fallu qu’une poignée de minutes pour que le président de l’URD et chef de file de l’opposition disparaisse, kidnappé dans une opération spécifique le ciblant, alors que des élus locaux lui avaient garanti qu’il n’y aurait pas de problème pour se rendre à Koumaïra. « Ils nous ont dit qu’on pouvait aller là-bas faire campagne, qu’il n’y avait rien, le maire de Koumaïra même nous a confirmé qu’on pouvait venir, qu’il n’y avait pas de danger et c’est pour cela que nous sommes partis, sans escorte militaire ou de la gendarmerie », poursuit Abdoulaye. Normalement, Soumaïla Cissé aurait pu bénéficier d’une escorte militaire du gouvernement pour battre campagne dans ces zones, mais le candidat aux législatives ne semblait pas en avoir besoin. « Il pensait qu’il pouvait aller faire campagne là-bas sans problème, car il avait des contacts avec des groupes armés dans cette zone.
Dans une partie du cercle, il était escorté par les éléments de la CPA (Coalition du peuple pour l’Azawad) et avait pu faire campagne à Léré, Soumpi et Dianké. En se rendant dans le Gourma, il a jugé sage de ne pas partir avec cette escorte, sûrement après avoir reçu des assurances. Mais qu’un homme politique de sa stature ne soit parti qu’avec un seul garde du corps pour le protéger, c’est quand même dingue ! », s’étonne ce cadre politique natif de la zone qui pense que le maire de Koumaïra, Amadou Kalossi, actuellement retenu avec son adjoint par des ravisseurs du même groupe que ceux qui ont enlevé Soumaïla, a certainement joué à un jeu qui l’a totalement dépassé.
Une démarche de « deals » avec des groupes armés locaux
Dans cette campagne législative où chaque voix compte, il fallait aller au contact des populations, en brousse, dans ces nombreuses zones du pays où l’État est quasi absent et suscite parfois défiance et hostilité. Une escorte de Famas assurant la protection d’un candidat en campagne dans ces territoires pourrait considérablement envenimer une situation sécuritaire locale déjà fortement dégradée et envoyer le mauvais signal si le candidat se pose en rupture avec la gouvernance actuelle.
Donc, chaque candidat s’est débrouillé pour faire sa campagne dans l’intérieur du pays, souvent en passant des « deals », avec des groupes armés locaux dont l’influence ou la puissance garantissent une certaine sécurité dans ces zones à haut risque. Mais, dans cette partie du Gourma malien contrôlée par Hamadoun Kouffa, les assurances et les garanties données par les uns se sont effacées devant l’agenda du maître des lieux, qui en capturant cet enfant du terroir devenu le deuxième homme politique du pays, a obtenu un formidable moyen de pression sur le gouvernement malien.
Des journées en brousse avec les combattants armés
Il est tôt ce matin du 26 mars quand Abdoulaye est réveillé avec ses compagnons d’infortune dans un camp en forêt qui fourmille de combattants armés. « Il y avait des Bambaras, des Songhais et des Peuls parmi eux », se remémore l’ex-otage. « Ce n’était pas la Katiba Macina, car quand ils se sont présentés à nous, ils nous ont dit : « C’est Al-Qaïda ! ». »
Ses geôliers, qui disent ne pas aimer la démocratie et qui les somment de l’abandonner sont très à cheval sur les 5 prières quotidiennes et l’étude des versets du Coran, mais aussi soucieux du confort des prisonniers : « On se levait le matin, on priait, on apprenait le Coran, on mangeait, on dormait jusqu’à l’heure de prier et tout recommençait. On était vraiment bien traités et on pouvait manger ce que l’on voulait, des gâteaux, des beignets…, tout ! On avait de l’eau, du savon pour se laver. On dormait bien, sous les arbres, parce qu’ils nous ont donné des couvertures avec des moustiquaires », décrit Abdoulaye.
Des conditions de captivité correctes
Des conditions de vie en captivité qui peuvent surprendre si on oublie qu’Abdoulaye et ses compagnons revêtaient une certaine importance pour leurs ravisseurs. Ils pouvaient constituer une monnaie d’échange. Donc leur état, leur sécurité et leur confort étaient logiquement une préoccupation pour les kidnappeurs car à travers eux, ils pouvaient obtenir certaines choses. « Pour ces djihadistes, un otage, c’est de l’or ! Ils mettent tous les moyens pour le protéger, parce que s’il arrive quelque chose à l’otage, ils ne gagneront rien », confirme cette source sécuritaire malienne.
Source: lepoint.fr