Me Mamadou Ismaïla Konaté,Avocat, Associé aux Barreaux du Mali et de Paris, exprime sa surprise de la publication d’un Acte fondamental par le Comité national pour le salut du peuple (CNSP). C’était au cours d’une interview accordée au site Burkinabè WakatSéra, le 1er septembre 2020.
« J’avoue que ce fut une surprise pour moi », indique l’ex-ministre de la Justice malienne d’IBK au sujet de l’adoption de l’Acte fondamental du CNSP avant de faire comprendre que « trois jours avant, une personne bien informée » lui avait fait part « d’une initiative d’écriture d’un texte fondamental valant “constitution” de la transition ». Et de poursuivre : « Je suis resté dans l’expectative jusqu’au moment où j’ai vu circuler, sur les réseaux sociaux, un document intitulé “Acte fondamental” », a-t-il indiqué à nos confrères de WakatSéra. Après avoir parcouru le document de long en large, Me Konaté estime n’avoir pas trouvé de raison « de s’en féliciter ». Pourquoi ? L’ex-ministre donne plus d’explications.
« En premier lieu, pour un CNSP, qui a affirmé sans ambages, sur la place publique, au M5-RFP, être venu “parachever” une dynamique qui a abouti à l’anéantissement d’un régime honni par la majeure partie des Maliens, a rencontré le même M5-RFP la veille sans jamais rien laisser filtrer de son intention et de sa démarche de prise d’acte aussi important… qu’un Acte fondamental au-dessus de la Constitution, croyez-moi qu’il y’a de quoi pour le moins s’interroger », fait-il savoir.
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Il poursuit en indiquant en deuxième lieu qu’à travers cet Acte fondamental, le CNSP « devrait tout au moins se douter que la prise d’acte comme celui-ci est le parachèvement du parfait “coup d’État”. » Ce n’est pas tout, il poursuit ses explications en avançant en troisième lieu que la production d’un tel document n’est que le signe « de l’accaparement du pouvoir et de son exercice plutôt solitaire ». À l’en croire, le CNSP, à travers cet Acte, s’est accaparé du « pouvoir constituant ».
À travers ce texte, Me Konaté ne fait pas de doute que « le CNSP dispose aujourd’hui des moyens juridiques de s’installer à la tête de l’État, d’y demeurer contre le gré des citoyens et d’entreprendre ce qui leur parait être le bonheur du Mali et des Maliens ». À ses dires, cela est possible dans la mesure où « cet Acte fondamental permet de déroger aux dispositions constitutionnelles, de les suppléer, de les remplacer, voire même de les suspendre ».
L’illustre avocat ne se limite pas là dans ses analyses de cet Acte fondamental. Il explique qu’en plus du fait que le Président du CNSP est le « Chef de l’État », « qu’il exerce la plénitude de ces prérogatives, il n’apparait nulle part qu’il doit informer, consulter pour ce qui est de la gestion et de l’administration des affaires publiques ». Il prend soin de signaler que même si dans l’Acte fondamental, le CNSP a pris le soin d’indiquer que ce texte demeure valable jusqu’à la mise en place de la « Transition », « nous avons un texte “exceptionnel” qui nous installe un pouvoir “exceptionnel” alors même que la transition, c’est demain… »
Après maintes interrogations, Me Mamadou Ismaïla Konaté lance un avertissement au CNSP :« Si le CNSP souhaite redorer son blason auprès des gens, s’il veut que les Maliens aient confiance dans sa démarche et s’il veut être crédible aux yeux de quiconque, qu’il retire ce texte et qu’on l’oublie vite et pour de bon… »
Dans son analyse, appuyé de faits historiques, Me Konaté estime que l’adoption d’un tel texte exceptionnel peut bien être un annonciateur d’une volonté de garder le pouvoir pour de bon. « Les textes dits “Acte fondamental” étaient les premières démarches entreprises par les putschistes des années 80, dès le lendemain de leur forfait », rappelle-t-il.
Ces textes, précise-t-il, dotaient ces « hommes forts » de « prérogatives de puissance publique, dérogatoires de tout le droit commun. Ils avaient droit de vie et de mort ». Et de faire comprendre : « Il a fallu longtemps pour que les pays sous joug militaire amorcent des processus de retour à une vie constitutionnelle normale. Ce fut long et couteux et ce n’était pas forcément nécessaire ».
« Ce texte manque de sagesse et de clarté », affirme Me Konaté qui ne trouve aucune raison « d’avancer dans le sens de l’Acte fondamental ». Mieux, il estime qu’il vient « en doublon d’un texte constitutionnel qui est capable d’appréhender les difficultés de l’heure et d’offrir les instruments juridiques pour assurer la continuité de l’Etat ».
Dans le contexte actuel du Mali, fait savoir Me Konaté, « Anéantir la loi existante est une faute majeure ». Car, précise-t-il, le « Chef de l’État » peut agir au moyen d’Ordonnances durant la période exceptionnelle. Mais « c’est la démarche unilatérale qui la rend suspecte et lui donne inéluctablement des alluzres autoritaires dans ce cas ».
L’illustre avocat parle sans ambages. Malgré toutes ces situations, il ne perd pas foi en l’avenir du Mali. « Par les efforts et la détermination de tous les Maliens et les Maliennes, l’on devrait retrouver le bon chemin, le bon rythme et le bon tempo ». Il lance alors une invitation à toutes les femmes et tous les hommes valables du pays : « Ne nous laissons pas embourber. Soyons debout et unis pour ceux-là qui ont le sens du Mali, l’amour de cette nation et se sentent encore redevables vis-à-vis de ce pays et de sa nation ».
À l’en croire, « le plus dur était de se séparer de mauvais compagnons animés de mauvais esprits. N’oublions pas que ce combat est permanent puisque les vaincus ont toujours plus d’une astuce dans leur tête. Ils peuvent être tapis partout et sont capables de tenter tous les coups du monde pour revenir ».
Fousseni Togola
Le Pays