Ce vendredi 25 décembre 2020, je me suis réveillé plus tôt que nécessaire pour un jour férié et chômé. Le temps d’un tour du quartier à pied avec ma famille, je me suis rendu compte qu’il y a bien de Maliens qui ne connaissent pas ce plaisir d’observer une journée sans travail, dans la mesure où ils vivent au jour le jour. D’où la difficulté de confiner nos populations. De retour à la maison, je prends mon petit déjeuner avant de m’installer dans le divan du salon devant la télé. Les informations émanant des grands JT sont toutes celles d’hier soir. Occasion idéale pour la fatigue accumulée durant la semaine de me plonger dans une somme salutaire. Impossible de dormir profondément à côté des enfants adorablement autoritaires et perturbateurs qui, pour n’avoir droit à mes câlins que durant ces rares instants volés à la corvée quotidienne, m’assaillent de questions et de sollicitations interminables pour un oui ou un non. Les cris, les pleurs, les rires et les anecdotes hilarantes font le bonheur familial ; bonheur malheureusement fugace et insaisissable !
Soudain, une parenthèse s’ouvre. Je m’y glisse en attrapant le téléphone pour aller m’informer de l’actualité générale sur Facebook. Là, une bombe : Soumaïla Cissé est décédé à Paris ! – Une ultime infox imaginée pour gâcher cette belle journée de fête de Noël ? Je suis d’autant plus dubitatif qu’une fausse nouvelle similaire avait récemment circulée sur l’ancien premier ministre malien, Ousmane Issoufi Maïga. Elle avait été rapidement démentie avant de faire des ravages émotionnels. Soumaïla Cissé lui-même avait été combien de fois déclaré mort sans preuve ? Cette fois-ci, c’est différent. La nouvelle est massivement reprise par des profils plus crédibles. Je suis comme électrocuté par cette évidence funeste. Aussitôt, une tornade de tristesse m’envahit. Je ne le connais pourtant que de loin, à travers les médias surtout. Triste, mais j’attends, perplexe, entre choc, déni et interrogations, sans doute beaucoup d’interrogations : comment ? De quoi est-il mort ? Que s’est-il passé entre ses sorties médiatiques après sa libération et aujourd’hui ? Je pense, je réfléchis, je doute, jusqu’à me mettre en colère : c’est quelle manière brutale d’annoncer la mort d’une personnalité aussi symbolique dans la vie contemporaine de la nation malienne ? Aucun signe avant-coureur, aucune information préalable sur son état de santé, et tout à coup ce largage fatal ! Je pense illico à sa famille politique, à l’espoir qu’il incarnait à leurs yeux depuis son retour épique des geôles terroristes. Le visage de sa brave femme me revient ensuite à l’esprit, puis celui de son fils qui s’était battu avec tant d’abnégation et de détermination pour la libération de son père. Je me refais le film de sa libération, l’effervescence nationale et internationale qui l’avait accompagnée. – Quelle peine ! L’homme revenait de loin, d’entre les morts, des oubliés de la République. Il avait survécu à l’épreuve de la captivité, à la solitude, à la faim et au manque simple de son confort habituel. Il revenait et tout lui souriait désormais, puisque tout était redevenu possible à ses yeux. Surtout que, sans en être acteur, le développement des événements, c’est-à-dire le coup d’État du 18 août et la Transition, avait rebattu les cartes du jeu politique en sa faveur, si bien que des théoriciens du complot lui avaient attribué le rôle de rédacteur principal de ce scénario. Les images se chevauchaient encore dans mon esprit quand, vers 11heures, un appel téléphonique provenant d’un média bamakois m’invite à me prononcer sur les conséquences de cette disparition de Soumaila Cissé sur l’avenir politique du Mali. Je me suis dit : » Hum, déjà ! « . Je leur ai demandé de me recontacter dans une dizaine de minutes, le temps pour moi de leur envoyer ce message : » Bonjour, je pense sincèrement que ce n’est pas le moment de s’exprimer sur un tel sujet. C’est encore chaud. Tout le monde a en tête l’après Soumaila, mais je voudrais attendre encore, le temps de faire son deuil, avant de me prononcer. Merci de votre compréhension. » Impossible de ne pas y songer, évidemment : Soumaila Cissé laisse orpheline sa formation politique – URD, mais bouleverse surtout l’horizon d’attente des acteurs politiques et des électeurs maliens attendus dans les mois prochains pour élire le président de la République et l’Assemblée nationale post-transition. 2021 arrive ainsi avec une nouvelle redistribution des cartes sur le champ politique malien, et avec elle d’autres calculs politiciens. Pour prétendre y participer, il faudra d’abord survivre au coronavirus, qui est apparemment le seul capable de survivre à 2020, hélas ! Je repense sans cesse à cette citation d’Elvis Abou : » la mort rappelle à l’homme sa finitude et sa faiblesse ». Mais ce sont toujours ceux qui restent qui souffrent. Quelle année horrible ! Aboubacar Abdoulwahidou MAIGA (Enseignant-chercheur, à Université des lettres et des sciences humaines de Bamako) – sur son compte Facebook
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