En dépit de l’interdiction formelle de manifester, les membres du mouvement anti-français ont défié la police et les forces de maintien de l’ordre en se rendant sur le Boulevard de l’indépendance pour manifester contre la présence française au Mali. Le choix de la date n’est pas anodin car elle coïncide avec l’anniversaire de l’armée malienne.
Le colonel Malick Diaw, Président du Conseil National de Transition (CNT) qui vient d’être constitué et fait office d’organe législatif, a publié un communiqué où il relève avec « regret » de récentes déclarations contre la présence française, émanant selon lui de mouvements auxquels appartiennent des membres du CNT.
Ces déclarations « n’engagent que leurs auteurs », dit-il. Il « tient à réaffirmer le soutien et la disponibilité du CNT à l’endroit de tous les partenaires qui œuvrent au côté du Mali dans la lutte antiterroriste ».
Pour sa part, lors du traditionnel discours à la nation à la veille de la fête de l’armée, le chef de l’Etat a affirmé en ces termes : « Je voudrais renouveler la gratitude de notre pays envers la communauté internationale dont les armées sont à nos côtés et dont les soldats risquent leur vie pour la libération de notre pays », a redit mardi soir le Président de transition Bah Ndaw à l’occasion du 60e anniversaire de l’armée malienne.
Ainsi à travers ces déclarations, le Président du CNT et le chef de l’Etat ont clairement affiché leur volonté de poursuivre la collaboration avec les forces étrangères au Mali et plus particulièrement les troupes françaises, qui se trouvent aujourd’hui dans l’œil du cyclone.
La France, engagée militairement depuis 2013 au Mali, y déploie ainsi qu’au Sahel 5.100 soldats dans la force antijihadiste Barkhane. Cette présence suscite régulièrement des expressions d’animosité sur les réseaux sociaux, dans la bouche de certaines personnalités et lors de manifestations épisodiques à Bamako. Rappelons que cette manifestation n’est pas la première du genre. Sous le régime de l’ancien Président Ibrahim Boubacar Keita, à la même date, elle avait eu lieu mobilisant de nombreuses personnes et même le leader panafricain Kemi Seba qui s’était vu dans un premier temps refusé de pénétrer sur le sol malien. Ironie du sort, l’un des leaders (Adama Ben Diarra) du mouvement se trouve aujourd’hui membre du CNT, chose qui va en contradiction avec sa volonté de faire partir mordicus les troupes françaises établies au mali.
Souvenez-vous, l’émergence de sentiments anti-français, associée à des pertes françaises et aux revers infligés par les jihadistes aux armées nationales, avait poussé le président français Emmanuel Macron à réunir les dirigeants du Sahel en janvier 2020 dans le Sud-ouest de la France pour resserrer les rangs.
Situation tendue sur le Boulevard de l’indépendance.
Les autorités maliennes ont interdit, officiellement pour raisons sanitaires, la manifestation prévue ce mercredi après-midi à Bamako contre la présence de la force antijihadiste française dans le pays.
La manifestation au Boulevard de l’Indépendance, lieu symbolique de rassemblement dans le centre de la capitale malienne, “n’est pas autorisée à cause des mesures de lutte contre la Covid-19”, a déclaré mercredi à l’AFP Daniel Dembélé, Directeur de cabinet du gouverneur de Bamako. Malgré l’interdiction émise par les services compétents, plusieurs personnes se sont regroupées au centre-ville pour ensuite converger vers le boulevard, lieu mythique des manifestations.
Les forces de l’ordre, mobilisés et déployés sur le terrain n’ont pas hésité à user de gaz lacrymogène pour disperser les manifestants qui se montraient de plus en plus agressifs. Commence alors une série de course poursuite entre policiers et manifestants, les jets de pierres et les ripostes par les gaz rendaient l’endroit très dangereux et même pour les malheureuses personnes qui habitent aux alentours et qui étaient obligées de fuir pour échapper à cette violence. Les motocyclistes pris au piège essayaient tant mieux que mal de se frayer un chemin et vite quitter les lieux.
Interrogé, un manifestant qui préfère rester sous l’anonymat raconte : « Pourquoi les militaires qui sont aujourd’hui au pouvoir veulent nous empêcher de manifester ? Qu’ils se souviennent que c’est grâce aux manifestations qu’on a mené ici contre Ibrahim Boubacar Keita qu’ils sont aujourd’hui au pouvoir. Nous avons confiance en notre armée nationale, les Famas peuvent lutter efficacement contre les groupes jihadistes, nous n’avons plus besoin des militaires français ».
Ibrahim, qui habite non loin du boulevard raconte : « Je ne suis pas manifestant, mon seul crime est d’habité non loin du lieu de la manifestation, alors ma famille et moi sommes exposés au danger liés aux gaz lacrymogène et les jets de pierres. Je lance un appel aux autorités de changer le lieu des différentes manifestations qui se tiendront les jours à venir. Je ne suis pas le seul dans cette situation ».
Un autre manifestant toujours sous le couvert de l’anonymat pour des raisons de sécurité affirme : « La France est là juste pour piller les ressources du Mali. Comment expliquer qu’avec tous les moyens qu’elle dispose, la France ne parvient pas à éradiquer une bonne fois pour tous les différents groupes armés ? Elle fait durer cette guerre pour mieux servir leur gouvernement. Nous disons non à cela et c’est la principale raison qui m’a motivé à venir manifester pendant ce grand jour pour notre armée ».
Retour au calme
Après les courses poursuites et les altercations qui ont débuté depuis 14 heures, la capitale malienne retrouve le calme peu après 16 heures. Les manifestants n’ayant pas obtenu gain de cause et dispersés par la police nationale n’ont eu d’autre choix que de rentrer chez eux. Mais nombreux sont ceux qui murmurent qu’ils décideront d’un autre jour pour revenir à la charge. Le boulevard se vide progressivement des policiers qui y étaient déployés et la circulation a repris peu à peu son cours. Reste à nettoyer et effacer toute trace de violence du jour qui restera encré dans notre histoire comme fête de l’armée mais aussi comme jour choisi pour mener une lutte pour le départ de la France.
Ahmadou Sékou Kanta
L’Observatoire