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39ème Anniversaire d’un Assassinat : 17 Mars 1980 – 17 Mars 2019, « Chez Cabral, le calcul était absent »

Infatigable, dévoué et désintéressé, Abdoul Karim Camara dit Cabral, était la sentinelle des intérêts de l’étudiant malien. Il est mort, assassiné par Moussa Traoré et sa clique le 17 Mars 1980. C’est avec émotion que les anciens camarades de lutte se souviennent, 39 après, de Cabral, ce grand leader estudiantin malien dont l’exemple devrait inspirer les générations scolaires d’aujourd’hui et de demain.

Trente neuf ans seulement, est-on aussi tenté de dire¸ tant la marque de cet homme reste encore vivace dans le souvenir de tous ceux qui l’ont, peu ou prou, connu.

C’était un soir de l’année scolaire 1976-77. Dans l’amphithéâtre de l’Ecole Normale Supérieure où nous sommes réunis pour mettre sur pied la troupe théâtrale de l’Ecole Normale Supérieure. Je fais une rencontre banale mais qui allait être une des plus marquantes de ma vie.

Un des nombreux étudiants ayant répondu à l’appel se présente à moi, (secrétaire à la Culture que j’étais dans le bureau de l’ADENSUP, Association des Etudiants de l’Ecole Normale Supérieure). « Je m’appelle Abdoul Karim Camara, mais je suis plus connu sous le nom de Cabral, surnom qui m’a été donné au Lycée de Badala ; je suis en 1èreannée Philo-Psycho-Péda ». Je me présente à mon tour. La petite réunion se déroule. La troupe est mise sur pied. Les dates de répétition sont arrêtées et le petit groupe se sépare.

A partir de cet instant, mes rencontres avec Cabral deviennent de plus en plus fréquentes.

En dehors des séances de répétition, les multiples activités de l’ADENSUP (conférence-débats, assemblées générales, récitals, actions de salubrité, etc.) nous en donnaient l’occasion. Car, Cabral était un de ces étudiants qui répondait présent à tous les appels du bureau ; il était un « militant » de l’ADENSUP, qualificatif qui, à cette époque-là, était attribué avec parcimonie et après une période probatoire pertinente. En plus d’avoir été assidu aux répétitions, Cabral tient son rôle avec art et application dans chacune des deux pièces mises en scène (« Ni san cènna, jate tè kalo la » ; « la poudrière australe éclatera »). La conviction se lisait dans ses gestes, et la solennité dans sa voix.

L’année 1976-77 a été ponctuée de deux grèves mémorables (d’abord, contre l’introduction du concours d’accès à l’enseignement supérieur, puis pour la libération de Boniface Diarra, arrêté pour diffusion de mot d’ordre de grève) et de l’arrestation de Tiébilé Dramé (pour participation aux obsèques de Modibo Kéïta) ; mémorables à cause de la sévérité de la répression par la police du fameux Tiécoro Bagayoko, tout comme du fait que le régime du CMLN s’en est trouvé quelque peu ébranlé. 1977-78 s’annonçait comme une année scolaire grosse d’événements importants. Comme palliatif de la turbulence du front scolaire, le pouvoir entendait organiser les élèves et étudiants dans le cadre où il pourrait les contrôler à distance. Un programme de supervision de la mise en place des comités est communiqué à tous les établissements d’enseignement secondaire et supérieur. Faut-il boycotter cette mise en place ? Faut-il, au contraire, l’empêcher ? A l’ADENSUP, nous pensons que l’erreur consisterait à laisser le champ libre aux « pions » du régime ou à ceux qui n’ont aucune conviction, et qui viennent dans le bureau pour paraître ou pour uniquement organiser les bals et concerts. La stratégie arrêtée consiste à faire élire un bureau constitué d’un noyau de militants sûrs. Cabral, bien sûr, fait parti des « favoris ». Il est élu secrétaire administratif, c’est-à-dire deuxième personnalité du bureau que j’ai l’honneur de diriger cette année-là.

Cabral était un homme de confiance

Ceux qui ont placé en Cabral leur confiance, en le proposant et en le faisant élire, ne s’étaient pas trompés. Car, très vite, il s’impose comme un élément incontournable au sein du bureau, par sa disponibilité, par son sens du devoir, sa rigueur morale, sa franchise et surtout en ont très vite fait. Son dévouement pour l’ADENSUP n’avait d’égal que sa volonté d’être, aussi et surtout, un étudiant modèle pour qui l’effort et le respect sans borne pour ses professeurs étaient les premiers commandements. Les nombreuses sollicitations découlant de la qualité de responsable estudiantin, pou lui (et pour nous tous, à l’époque), ne devaient aucunement dispenser des contrôles et devoirs), et encore moins justifier les mauvaises notes. Etre responsable c’est, surtout, donner le bon exemple ; c’est, aussi travailler plus que les autres.

Cette exemplarité au sein de l’ADENSUP ne passe pas inaperçue au niveau des autres comités d’établissement. En Janvier 1978 se tient le congrès de l’UNEEM (Union Nationale des Elèves et Etudiants du Mali). Les délégués venus, pour la première fois, de l’ensemble du pays doivent se doter de nouveaux statuts et élire un Bureau de Coordination. Là encore, Cabral se fait distinguer par la qualité de ses interventions et par ses qualités humaines. Ses bonnes relations personnelles avec la plupart des délégués de Bamako et l’attention qu’il a portée aux camarades venus des Régions, lui permettent facilement de rapprocher les positions d’arrondir les angles. Il est élu secrétaire à l’Information au Bureau de Coordination de l’UNEEM, que j’ai eu, une fois encore, l’honneur de diriger.

Le fait d’appartenir tous deux au Bureau de L’ADENSUP et du Bureau de Coordination amena Cabral et moi à avoir des relations plus suivies tant sur le plan du travail que sur le plan humain.

De fait, il devient « mon adjoint » au sein du Bureau de Coordination. Inutile d’ajouter que là aussi, Cabral s’impose par les mêmes qualités que celles rappelées plus haut.

Durant toute cette année, que ce soit à l’occasion des petits conflits qui éclataient au sein de tel ou tel établissement ou autour des questions plus importantes, Cabral s’est présenté comme la sentinelle des intérêts de l’étudiant malien. Nul ne pouvait compter sur lui pour porter atteinte aux principes. Mais, tous pouvaient attendre de lui qu’il amène les uns et les autres, à force de persuasion, au compromis qui ménage l’essentiel.

L’image que je garde le plus de ce camarade infatigable, dévoué et désintéressé, est celui d’un compagnon foncièrement honnête chez qui le calcul était absent, un militant qui s’est toujours placé du côté où il pensait que le devoir voulait qu’il soit.

En somme, il était de la graine des hommes faits pour marquer leur génération.

Fauché prématurément, puisse son exemple de droiture et d’abnégation inspirer ses compagnons de lutte, actifs sur la scène politique du moment, et ses cadets qui affirment le prendre pour idole.

Modibo Diallo

26 Mars

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