Société

Dr. Ibrahim Togola, président de Mali Folkcenter Nyetaa : « L’économie doit venir du local… »

Mettre en exergue toutes les potentialités agricoles de Selingué, inciter les intellectuels maliens à transformer la vie de leur communauté à la base… Le président de Mali Folkcenter Nyetaa, Dr Ibrahim Togola, revient sur les ressorts de l’économie d’un pays agricole. A l’ouverture d’un centre de formation professionnelle sur les énergies renouvelables et leurs applications dans l’agriculture à Selingué, Dr. Togola, qui œuvre dans le développement local depuis des années, s’est confié à L’OBSERVATOIRE. Interview

L’Observatoire : Pourquoi le choix de Sélingué pour abriter ce centre ?

Dr. Ibrahim Togola : Je pense que le choix du Sélingué est naturel. Sélingué est aujourd’hui une localité extrêmement importante dans notre pays. C’est une ville où toutes les activités agropastorales sont réunies disposant un grand barrage. Elle est reconnue pour l’agriculture de riz le maraichage, la pêche. C’est une localité qui égorge beaucoup de jeunes, d’énormes potentialités. En même temps, c’est une localité qui est confrontée à des difficultés. Il y a beaucoup de produits maraichers qui quittent d’autres localités pour arriver à Sélingué. Donc, si nous voulons vraiment faire un centre de formation, il faut le faire là où il y a la potentialité. Tous les ingrédients  sont réunis ici à Sélingué. Et il y a une volonté politique des autorités locales. Et donc nous pensons qu’avec ce centre notre objectif est de contribuer à l’utilisation rationnelle du potentiel et permettre aussi la promotion d’une économie locale durable sur les énergies renouvelables. Donc on ne peut choisir ce site-là, qui est vraiment un terreau où tous les ingrédients sont réunis. C’est ce qui explique le choix de cette localité.

Vous êtes dans le développement local durable et dans les énergies renouvelables. Aujourd’hui, vous ouvrez un centre de formation, pourquoi l’ONG Mali Folkcenter bascule dans ce nouveau format ?

Nous avons vu qu’aujourd’hui le défi de notre pays qui a 60 années d’expériences, qui a énormément de talent, sa jeunesse éduquée dans nos écoles constitue la force du pays. Mais ce qui nous manque c’est le travail avec la main. C’est la formation professionnelle. Aujourd’hui, nous faisons venir beaucoup de choses de l’étranger pour nos besoins. Et si nous regardons en même temps, nous dépendons énormément des technicités externes. C’est pour cela on s’est dit au Mali folkcenter, pour vraiment transformer notre vision qui est de faire des énergies renouvelables une réalité dans notre pays, on peut l’atteindre qu’à travers une formation professionnelle. C’est vraiment la clé. Il faudra que dans cet espace que ça soit les néo-alphabètes (des gens qui ne savent pas lire et écrire), mais qui sont des artisans, que ça soit des gens qui ont d’autre formation soit des juristes, des comptables peuvent se recycler ici, apprendre à travailler dans ce domaine-là. Dans tous les pays du monde tant que l’agriculture n’est pas maitrisée, au vrai sens du mot, c’est-à-dire, la scène agricole, du champ jusque dans l’assiette n’est pas maitrisé dans un pays, il n’y a pas de développement. Comment vous pouvez imaginer que les carpes (poissons) quittent la Chine et sont vendus frais au Mali. Mais souvent avoir de poisson frais à Gao, à Mopti et à Bamako pose un problème. C’est parce que la Chine a développé tout un dispositif énergétique. L’énergie c’est le catalyseur du développement. On ne peut avoir de développement sans une maitrise d’énergie. Et l’énergie aussi c’est des outils. Si tu donnes un stylo à quelqu’un qui ne sait pas lire, tu perds ton temps. Il faut aussi apprendre aux gens, l’énergie là est un outil qui est vraiment fléché comme l’eau. Et on peut l’utiliser, la canaliser et l’ajuster pour faire fonctionner tout équipement dont on a besoin. Il faut savoir confectionner les équipements. On n’a pas besoin d’être un savant pour ça. On a juste besoin de comprendre, d’appréhender les différents points. C’est ce que on va donner ici.

 Vous dites que votre ambition est de mettre en exergue toutes les potentialités agricoles de Sélingué. Comment y arriver ? 

Comment y arriver ? Il faut y croire. Aujourd’hui, il faut que nous croyions, nous maliens, que nous pouvons nous développer.  Il faut aussi se dire que personne ne va venir de l’extérieur pour nous développer. Et, il faut qu’on ait des outils. Si on a des outils, il faut qu’on sache utiliser ces outils. Et ces outils passent par la formation. Par la formation de notre jeunesse qui permettra de gagner leur vie et qui va les permettre de transformer ce que nous avons. Le Mali est un excellent producteur de presque tous les produits agricoles. Mais pendant une période donnée vous avez tellement de tomates sur le marché, vous avez tellement d’oignons sur le marché, vous avez tellement de mangues sur le marché. On peut prendre tous les produits que nous avons. Quand ça arrive, ça inonde, même les ânes refusent de manger les mangues. Trois mois après, tu n’as plus rien. Les oignons que nous avons viennent de la Hollande, les carottes viennent du Maroc. Ce n’est pas qu’on est contre l’importation, mais que nous n’avons pas un modèle, une chaine énergétique qui nous permet de dire que nous produisons telle période, nous devons conserver telle période et nous mettre sur le marché en telle période. Quand l’oignon arrive, il est à 75f. Aujourd’hui, il est cédé à plus de 400f. La moitié sur le marché présentement n’est pas du Mali. Donc, c’est des milliards qui sortent pour aller chercher des produits que nous savons produire mais ne savons pas conserver. Nous savons produire la tomate. Souvent, les bonnes femmes pleurent pour pouvoir les vendre. Si on avait des petites unités énergétiques pour juste faire des pattes de tomates de conserve, des petites unités de froid pour les stocker pendant 4, 5, 6 mois, on n’allait pas avoir ce problème.

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On va créer la richesse. C’est ça le rôle de l’énergie. Il faut voir juste, quand on te dit qu’un pays est pauvre, il faut voir combien de kilowattheure il consomme par habitant. Quand un pays est riche il faut voir combien de kilowattheure il consomme par habitant. Le niveau énergétique c’est le niveau de l’outillage du pays à tous les niveaux. C’est à dire la base en milieu rural, les villes semi urbains et les villes urbaines. Nous, notre développement en tant que pays ne va jamais arriver tant que le milieu rural où il y a la majorité des citoyens va rester dans la pauvreté. Il faudra que partout dans nos zones agricoles les gens puissent avoir des outils adaptés pour leur permettre d’améliorer leur bien-être. Cela passe par la formation, la compréhension et la mise à disposition des communautés des outils adaptés à leur besoin pour pouvoir créer la valeur ajoutée.

Le Mali est un pays agricole. Mais, certains observateurs pensent que le peuple malien est ‘’paresseux’’. Que leur dites-vous ?

Je trouve qu’un pays agricole qui est le premier producteur de coton devant les pays comme l’Egypte, qui a la meilleure qualité de coton  du monde. On ne peut pas dire que ce peuple est paresseux. La mangue malienne ce sont les Maliens qui l’ont planté. Je pense que la question qu’on doit se poser c’est les intellectuels maliens. Les enfants maliens qui ont été à l’école, qu’est-ce qu’ils font pour transformer la vie de leur communauté à la base ?

Si, aujourd’hui, ils n’ont que la pluie et avec l’hivernage ils travaillent. Et ils font très bien, ils arrivent à nous nourrir. Mais après l’hivernage ils n’ont pas d’électricité. Ils n’ont pas les moyens de formation. Qui va les donner ça ? Ce sont les cadres, les intellectuels, le gouvernement… Si on ne les donne pas ça ils font quoi ? Les plus talentueux vont quitter le village pour aller ailleurs et d’autres resteront à la maison. Nous devons arrêter d’accuser nos parents qui ont eu la chance de nous inscrire à l’école pour pouvoir venir les aider. Les autres pays se sont développés de la même manière. Ils ont eu des élites et ce sont ces élites-là qui ont compris un certain nombre de choses ont pensé à assister leur communauté. L’économie doit venir du local, c’est d’aider la base pour pouvoir produire, transformer, créer des petites entreprises qui peuvent payer les taxes et se prendre en charge. Et que tout le monde ne va attendre l’extérieur pour venir nous accompagner. Il faut mettre des outils à la disposition du développement. Je pense que c’est cela qui manque dans notre pays. Il faut multiplier les centres de formation.

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Je vous donne un exemple. Les pays en Europe, appelés les pays nordiques qui font le mieux vivre, la Norvège, la Suède, le Danemark, la Finlande, l’Islande. Mais dans ces pays-là il y a 80% des bacheliers  sont orientés vers les formations professionnelles pas pour être ingénieur, mais pour devenir menuisier, tailleurs, carreleur. Les 20% qui restent vont dans les écoles techniques pour devenir des comptables, des journalistes, des juges… Cela veut dire que c’est une population qui travaille avec la main, qui transforme. Il y a des ateliers partout. Mais, chez nous, d’abord les bacheliers sont moins de 4% de la population. Sur les 4% environ 80 sont dans les filières supérieures et combien vont dans la formation professionnelle ? Considéré comme non valorisante. On a de problème de main d’œuvre qualifié. Mais tu vas trouver qu’un plombier bien qualifié gagne sa vie mieux que beaucoup d’autres qui ont de formation supérieure. Un maçon qualifié ne chôme jamais. Donc on doit apprendre et ce volet n’est pas le rôle d’une ONG, ce n’est pas le rôle d’un maire. Mais c’est le rôle des Maliens qui ont des enfants en phase supérieure. Il faut un changement de mentalité pour comprendre qu’il faudra travailler sur le professionnel, la spécialisation dans l’agriculture mais dans les secteurs. Donc aujourd’hui, on veut un maçon sénégalais pour faire sa finition, ou un maçon togolais pourquoi ? Alors qu’on a de très bon maçon ici au Mali mais parce qu’il y a question de formation. C’est ce que le Mali folkcenter souhaite avec sa modeste contribution pour vraiment dans ce chantier, mais  dans ce que nous savons faire l’environnement et les énergies renouvelables.

Propos recueillis par Ousmane Morba

L’Observatoire

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