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Interview exclusive de Tiéman Hubert Coulibaly : « Je ne suis pas désespéré. J’ai confiance en notre Armée. J’ai foi en notre sens du patriotisme»

Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, l’ancien ministre de la Défense, Tiéman Hubert Coulibaly passe au peigne fin les événements récents qui ont marqué l’actualité dans notre pays. Il nous parle sans réserve des événements tragiques qui ont touché, ces derniers temps, les FAMAs, de la tension politique qui prévaut, du manque d’inclusivité du Dialogue national et des efforts de la Justice dans la lutte contre la corruption.

L’Indépendant : Après Boulkessi et Mondoro, les FAMas ont été, le vendredi 1er novembre dernier,  victimes d’une énième attaque à Indelimane, dans le nord-Est du pays, faisant une cinquantaine de morts dans leurs rangs. En tant qu’ancien ministre de La Défense, pensez-vous qu’il existe une recette pour mettre fin à ces attentats terroristes?

Tieman Hubert Coulibaly : Le Mali est engagé dans la guerre contre le terrorisme depuis plusieurs années maintenant. Ce qui s’est passé à Indelimane a déjà été revendiqué par un groupe terroriste, à savoir celui qui se réclame de l’organisation de l’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Un sinistre individu dénommé Al Sahrawi en est le chef, qui sévit entre le Mali et le Niger et nous savons aussi à peu près comment ce groupe terroriste a opéré.

Il y a des mesures militaires à prendre au niveau du commandement opérationnel. Il y a aussi une lucidité à avoir en tant que peuple, y compris, les  dirigeants. Il faut savoir que la lutte contre le terrorisme est difficile et bien souvent elle est très longue. Il faut également savoir que nos armées sont confrontées à des ennemis qui agissent de manière asymétrique par rapport à nos méthodes d’armée conventionnelle, donc il faut comprendre cela et certainement adapter notre manière de faire.

J’observe que malgré les épisodes terribles que vous venez de citer à Boulkessi, Mondoro et Indélimane, l’Armée malienne est en train de se reconstruire, mais il est vrai aussi que cette reconstruction sera longue pour que, sur le plan opérationnel, nous puissions avoir des résultats durables. Il s’agit aujourd’hui de continuer à combiner nos efforts avecceux de nos partenaires. Je suis de ceux qui pensent que le partenariat avec les forces internationales est important et nécessaire. Une guerre est constituée de plusieurs batailles et il faut mener une bataille à la fois. Cela permet non seulement de construire l’outil qu’il faut pour les victoires, mais aussi d’apprendre à mieux connaitre ses ennemis.

Donc, je ne suis pas désespéré. J’ai confiance en notre armée. J’ai foi en notre sens du patriotisme. J’appelle surtout à l’unité. Aujourd’hui, nous avons cet ennemi à défaire, nous devons  donc tout faire pour que, sur le plan politique, nous ayons plus de cohésion et de cohérence nationales. Nous n’avons pas besoin de construire une adversité interne inutile en cette période. Il faut tout faire pour que l’unité nationale puisse prévaloir. Il faut tout faire pour que l’accord, qui a été signé avec les mouvements signataires en 2015, soit mis en œuvre  et faire en sorte que l’arrêt de la belligérance, qui a été obtenu suite à la signature de cet accord, de manière progressive, soit définitif afin que les Maliens arrêtent de s’affronter.

Nous savons déjà qu’entre l’armée du Mali et les groupes signataires, il n’ ya plus de confrontation. Il y a eu des affrontements entre les groupes signataires. Nous avons travaillé également à taire cette violence. Cela doit continuer pour qu’ensemble nous puissions nous mettre en ordre face à l’ennemi terroriste. Tant que nous avons un ennemi commun, il ne faut pas cultiver la division entre nous. C’est mon point de vue.

Nous devons nous mettre dans une posture psychologique d’unité nationale, agir sur le plan politique de cette manière là afin d’être un soutien pour nos forces de Défense et de Sécurité.

Au total, Indélimane a fait très mal, après les autres épisodes bien sûr, mais nous sommes en guerre, il faut le savoir et se dire que des victoires viendront. La condition, je l’ai dit, c’est l’Unité nationale, c’est la mise en œuvre de l’Accord, la pacification du débat politique et un soutien en faveur de nos forces pour qu’elles puissent traquer et débusquer l’ennemi pour le détruire.

L’indép : A l’issue de son 2e congrès auquel vous avez récemment assisté à Kidal, le HCUA a réitéré son attachement à l’Accord de paix et de réconciliation sous sa forme actuelle. Il rejoint donc la CMA qui n’a pas hésité à se retirer du Dialogue national inclusif, sous le prétexte que le Président IBK (dans sa volonté de vouloir conserver l’intégrité territoriale du Mali) a émis l’hypothèse de revoir certains points de l’Accord. Ne pensez vous pas qu’il y a une volonté marquée,quelque part, de nuire au gouvernement et au processus de paix?

T.C : Tout ce qu’il y a eu comme processus pour la stabilisation du Mali depuis 2012, toutes les décisions nationales, régionales, continentales et internationales ont consacré un certain nombre de principes. Le premier était l’intégrité du territoire national. Le second était le caractère laïc et républicain de notre Etat. Le troisième était la préservation de l’unité nationale. Donc, tout ce qui a été fait s’est inscrit dans ce triptyque. Chacun pourra dire ce qu’il voudra, mais rien ne se fera en violation de cela.

L’Accord pour la paix et la réconciliation s’est fait en se fondant sur ces trois principes. Pas un seul centimètre de notre territoire ne sera modifié quels que soient les objectifs. Il n’est pas question de revenir sur un seul principe, qui a fondé notre République. Ce qui veut dire que les cultes coexistent pacifiquement au Mali et que l’Etat se tient à égale distance de l’ensemble des cultes. Tous ceux qui croient en Dieu, quelle que soit leur religion, ont droit de cité dans notre pays. Et l’Etat a le devoir de protéger chacun dans sa foi.

Nous sommes une nation et le fait national malien remonte à très longtemps, peut être à un millénaire. Cela étant consacré, aucun arrangement politique, aucun règlement de conflits ne devrait attenter à cet esprit là. Donc, l’Accord pour la paix et la réconciliation s’inscrit dans cela. Quiconque a signé cet accord et y adhère forcément, doit inscrire ses actions dans ce triptyque.

J’étais au congrès du HCUA, j’y ai été invité en tant que président de l’UDD et de la Coalition ARP. Et je suis arrivé à Kidal, le lundi, où j’ai pu assister à la cérémonie de clôture du deuxième congrès du HCUA. Mes engagements internationaux ont fait que je n’ai pas pu assister à son ouverture. Ce que j’y ai entendu ne me permet pas d’affirmer qu’il y a mauvaise foi.

Dans les  conversations que j’ai eues avec les responsables de ces organisations, il m’a été affirmé leur attachement à l’Accord pour la paix et la réconciliation, leur attachement à l’intégrité territoriale du Mali, leur résolution et détermination à construire la paix.

J’ai encouragé mes interlocuteurs à poursuivre leurs efforts pour la pacification du Mali, parce qu’encore une fois, l’ennemi qui nous menace tous, c’est le terrorisme. Et j’observe que le HCUA a dit dans son communiqué final qu’il s’engageait à combattre toute forme de terrorisme.

Depuis les premières heures de l’Indépendance, il y a eu une succession d’événements historiques qui ont jalonné tout le parcours de la première, la deuxième et la troisième Républiques. Il est peut-être temps de régler cela définitivement par les moyens qui sont à notre disposition dans l’Accord pour la paix et la réconciliation, mais aussi par le génie politique des Maliens.

J’ai toujours dit que nous devons déterminer les critères et les conditions pour que notre nation puisse survivre et pour que, dans cinquante ans, dans un siècle ou un siècle et demi, le pays qui nous a été légué puisse demeurer dans ses frontières et dans sa composition nationale. Il faut définir ces critères là et en définir également les conditions. C’est là le travail des hommes politiques, mais aujourd’hui, je dois,malheureusement, constater que les conditions politiques sont insuffisantes. Il faut absolument que cette union sacrée autour du Mali se fasse sans calcul.

Aujourd’hui que nous avons cette difficulté majeure, nous ne pouvons pas continuer, ici, à Bamako, à distraire l’opinion nationale et internationale avec des manœuvres qui ne sont pas du tout porteuses pour notre avenir. Pour mon organisation et moi-même, la tâche principale de cette période, c’est la culture de l’unité, le travail au service de l’union nationale pour que l’essentiel, qui est pour nous la République unitaire, puisse être préservé.

La CMA a décidé de ne pas participer au Dialogue national, d’autres organisations aussi l’ont décidé. J’ai d’ailleurs dit au responsable de la CMA que je regrette cette décision et je lui ai suggéré de reconsidérer cela et de  réfléchir aux conditions dans lesquelles cette organisation pourrait y participer. Cet appel-là, je ne l’ai pas lancé à la CMA seulement, je l’ai lancé au FSD, quand j’ai rendu visite au président Soumaïla Cissé, il n’y a pas très longtemps, je lui ai proposé de continuer à participer à l’atelier de validation des termes de référence, y compris pour dire ce avec quoi son organisation n’est pas d’accord. Mais, attention, je ne le fais pas parce que je suis en mission. Je le fais par conviction, car je suis convaincu que le Dialogue national est utile. Et dans des conversations privées avec certains responsables politiques, j’ai tenté le même exercice, convaincu que la voix de chacun doit être entendue. S’unir autour du pays est un exercice difficile, mais, aujourd’hui, c’est une condition sine qua non pour sa survie.

L’indép : Justement, le Dialogue national inclusif semble aujourd’hui en péril. Quelles pourraient être les conséquences de la non participation de l’Opposition et de la Société civile au dialogue envisagé?

T.C : Il ne faut pas envisager le dialogue comme un outil entre les mains d’un seul individu ou entre les mains d’un seul pôle politique. Il s’agit d’un outil proposé à l’ensemble des acteurs nationaux, pas seulement politiques. Ce dialogue doit inclure toutes les forces qui concourent à la vie nationale, qui interagissent pour que notre nation soit. Aussi, ne  pas y participer ferait que cet exercice ne soit pas complet. Il ne faut pas être en marge de ce grand débat national. Nous sommes passés de dialogue politique inclusif à dialogue national inclusif, cela aun sens.

L’indép : Il est généralement admis que le Dialogue National Inclusif vise à faire passer la Révision Constitutionnelle.  Avec le manque d’inclusivité dudit Dialogue, ce projet ne risque-t-il pas d’ajouter à la tension politique, déjà forte ?

T.C : L’objectif du Dialogue national inclusif, c’est de déterminer de manière consensuelle et générale, un agenda politique. La révision constitutionnelle est un débat au Mali depuis la fin des années 1990, pendant les deux ans, qui ont précédé la fin du mandat du président Alpha Oumar Konaré. Le débat sur la révision constitutionnelle s’est aussi poursuivi sous le président ATT.

Vous vous souvenez de la mission qui avait été dirigée par notre estimé et très compétent frère Daba Diawara, qui avait fait un énorme travail, qui devrait nous servir aujourd’hui. Il y a eu les épisodes un peu heurtés de 2017, pendant que moi-même, j’étais ministre de l’Administration territoriale.

Donc, le débat constitutionnel est en cours depuis longtemps et tant que nous ne ferons pas les réformes nécessaires, il manquera quelque chose à notre dispositif constitutionnel. Le but du jeu est de se mettre d’accord sur comment et quand le faire.

L’indép : Pour une sortie de crise définitive, Moussa Mara propose de conclure un nouvel accord politique avant la fin de l’année 2019, de désigner de concert un nouveau Premier ministre et former un nouveau gouvernement,  au plus tard le 15 janvier 2020. Qu’en pensez-vous ? 

T.C : J’ai rencontré, il y a peu, le président de Yéléma, avec qui j’entretiens de bonnes relations. Nous nous concertons très régulièrement et il a le mérite de faire des propositions intéressantes. Nous avons le devoir de les examiner et de donner éventuellement notre avis. Pour ma part, je suis convaincu, et je le dis depuis le mois de novembre 2018, qu’il y a nécessité d’un Exécutif d’Union nationale. A l’époque, parlant à des responsables de haut niveau, j’avais dit que, compte tenu des difficultés à articuler les tâches politiques en termes électoraux, mais aussi de l’évolution négative du climat politique, de la crispation entre les acteurs politiques, la polarisation excessive, j’ai suggéré qu’il y ait la formation d’un gouvernement d’union nationale. Je continue de croire que cela peut être une partie de la solution. Il serait vraiment utiled’examiner l’opportunité d’un Exécutif d’Union nationale.

Le contenu de la mission de cet ensemble peut être défini de plusieurs manières. Déjà, le gouvernement de mission actuel s’adosse à l’accord politique de gouvernance, qui a été signé entre les différentes organisations qui le soutiennent et le Premier ministre Boubou Cissé. Cela créé un cadre politique légitime et cohérent pour agir ensemble. Ce cadre pourrait être élargi à d’autres forces pour que le caractère national puisse être plus fort.

L’indép : Quel regard portez-vous sur la justice malienne qui mène aujourd’hui une lutte farouche contre la corruption?

T.C : Il faut lutter contre la corruption, quelle que soit sa forme. La corruption non seulement pèse sur les efforts de l’Etat au bénéfice de la nation, mais aussi, elle fausse les rapports sociaux. Elle fausse le jeu économique et décourage l’investissement. Elle détruit nos structures financières. Sur le plan social, la corruption produit des effets qui sont inattendus. Tout ce qui concerne la prolifération des armes dans notre pays. Tout ce qui concerne le trafic et l’usage de plus en plus croissant de la drogue. Tout ce qui concerne la déscolarisation précoce et croissante de notre jeunesse, le dysfonctionnement dans nos hôpitaux et la rupture du principe d’égalité devant nos administrations. Tout cela est lié à la Corruption. J’observe également que la criminalisation des réseaux économiques et financiers profite aux acteurs des sphères illicites et aux organisations terroristes.

Donc, la lutte contre la corruption ne devrait pas être une séquence, cela doit être le quotidien de ceux qui sont chargés de réguler notre société, parce que,comme je vous le dis, la corruption, sous quelque forme qu’elle puisse se manifester, fausse le jeu social, politique, économique. Elle provoque la mise en place d’un système qui bénéficie simplement à ceux qui ont de l’argent et du pouvoir, en fragilisant l’Etat. Elle augmente la marginalisation sociale dans notre pays. Il faut encourager cette lutte en nous armant sereinement des principes sacrés de la Justice.

Mohamed Haïdara

L’Indépendant

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