Face à la multiplication des actes de violence et l’incapacité de l’Etat à assurer la sécurité des personnes et de leurs biens dans le centre du Mali, les communautés sont quelquefois contraintes de recourir à des accords locaux de survie. De 2018 à 2021, ce sont au moins vingt-sept accords locaux qui ont été conclus entre les communautés et les groupes armés djihadistes. Nous faisons le point.
Des enquêtes menées auprès du centre pour le dialogue humanitaire par l’hebdomadaire Le Soft ont permis de comprendre que cette organisation a été impliquée dans une trentaine de processus de paix au centre du Mali ayant abouti à la signature de vingt-sept accords locaux entre parties au conflit de 2019 à 2021.
Rappelons que depuis 2018 des accords ont été initiés entre les acteurs locaux et les groupes djihadistes. D’abord à Kareri dans la région de Ségou ou un accord a été signé entre les chasseurs et les djihadistes de la Katiba Macina. Cette initiative s’est étendue progressivement sur la région de Mopti en 2020, à Dinagourou dans le cercle de Koro, ensuite sur les cercles de Bankass et de Djenné.
Faisant l’objet de spéculations et d’interprétations de tous ordres, les accords locaux, pour certains, constituent une allégeance des communautés aux idéaux des groupes armés agresseurs. Tandis que d’autres assimilent ce recours à un palliatif permettant de stopper la violence communautaire et d’établir la confiance entre les différentes communautés ou parties en conflit.
Les investigations menées par notre rédaction permettent de classer ces accords en trois catégories: Il y a des accords oraux conclus directement entre les communautés et les groupes djihadistes souvent en lien avec les chasseurs. Il y a les accords locaux écrits signés entre les communautés et facilitées par des acteurs neutres comme HD et la MINUSMA dans la région de Mopti et de Ségou. Et enfin, les accords facilités par des leaders et organisation communautaires comme Komani TANAPO, Tabital pulaku à Macina et à Djenné.
Si ces accords ont permis d’apaiser les tensions entre les parties signataires, ils sont depuis peu confrontés à des difficultés réelles du fait des opérations de reconquête des régions du centre, engagées par les forces de défense et de sécurité maliennes.
Il faut dire que les accords locaux ont du mal à résister face à la destruction de certains sanctuaires de la Katiba Macina par l’armée malienne à l’offensive. A Ségou, à Mopti, à Bandiagara et Douentza, les opérations militaires connaissent une intensification sans précédent. Ce qui a poussé les groupes jihadistes à s’en prendre à des habitants de certains villages signataires des accords locaux qu’ils accusent d’être de mèche avec l’armée régulière.
Désir de dialoguer
Frappées par le phénomène djihadiste dès 2017, les communautés au Centre ont été progressivement envahies. L’Etat central s’est montré incapable de contrer la menace et de protéger les populations, soumises aux violences et privées de leurs libertés. En plus, la crise s’est, de plus en plus, inscrite dans la durée et des solutions ont tardé à venir.
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Livrés à leur triste sort et privés de leurs activités quotidiennes (agriculture, élevage, pêche et commerce), certains villages ont, dans la foulée, manifesté le désir de dialoguer avec les djihadistes qui semblaient être les principaux maîtres des lieux. C’est ainsi que dans des villages de Douentza, de Koro, de Macina, de Djenné et Bankass, des accords locaux (oraux, écrits) ont été signés ou conclus.
En 2019, à Yangassadiou, village dans la commune rurale de Mondoro dans la région de Douentza, un accord oral a été conclu entre villageois et djihadistes en pleine brousse, assis sous un arbre.
En 2020, un scénario similaire s’est reproduit entre les hommes armés et les habitants de Dinangourou dans le cercle de Koro, privés de leurs activités agropastorales pendant deux hivernages. La même année, à Bankass, un accord verbal a été scellé entre les deux parties. Ces processus purement endogènes ont tenu tant bien que mal et permis de mettre fin à la désescalade dans une certaine mesure.
Respect des us et coutumes
Interrogés sur l’état de ces accords locaux (oraux et écrits), initiés avec ou sans intermédiaires, entre djihadistes et certains villages, des acteurs du processus trouvent qu’ils constituent un pan vers la reconstruction de la confiance entre les parties. Malgré des manquements qui peuvent survenir dans leur mise en œuvre, des initiatives de dialogue sont toujours bonnes, soutient un acteur neutre rencontré à Bamako.
« Si on résout un conflit par nos mécanismes locaux, personne ne perd la face. Les accords que nous tissons entre les communautés respectent les us, les coutumes et des relations développées longtemps entre elles », déclare un médiateur travaillant au compte de l’ONG ‘’HD’’ au Mali.
« Nous travaillons avec les acteurs locaux, nous faisons ce travail en accord avec la culture locale. Un accord ne vient pas du ciel. Les communautés sont assises sur des accords. Elles se servent des accords pour traiter et résoudre les conflits », ajoute-t-il, précisant que les accords locaux existent et existeront toujours entre les communautés.
Présent dans les pays du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso), le Centre pour le dialogue humanitaire a facilité l’établissement de plusieurs accords locaux signés entre les communautés maliennes.
Il nous est revenu que l’ONG ‘’HD’’ a été mandatée, en mars 2018, par la Primature pour faire la médiation entre les communautés au Mali, en proie à l’insécurité. Une mission qui a été renouvelée en 2019 avec le Premier ministre d’alors Dr Boubou Cissé.
En 2018, des accords locaux ont été signés à Koro entre toutes les communautés en tandem avec les chasseurs traditionnels de Dana Ambassagou, grâce à la médiation de l’ONG ‘’HD’’. Même procédé à Macina et à Djenné entre juillet 2019 et juin 2020.
Rentrée en contact en mars 2018 avec les Dana Ambassagou à Koro et à Bankass, ‘’HD’’ l’associe dans tout le processus de médiation qu’elle mène dans ces deux cercles, précise un responsable de cette organisation.
Le 26 février 2019, un deuxième accord a été signé entre toutes les communautés à Koro, sous l’égide du ministère de la réconciliation nationale représenté par le chef de cabinet d’alors Marcelin Guinguéré.
Artisan majeur des accords locaux et du processus de réconciliation entre les communautés de Koro, l’ancien député du cercle de même nom, Marcelin Guinguéré, ne doute point de l’efficacité de ces accords locaux signés. Lesquels ont abouti, selon lui, à la cessation des hostilités et permis à la population de vaquer librement à ses occupations à Koro et dans une grande partie de Bankass.
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« Les accords locaux sont très bons. Les signataires se soucient de leur sécurité plus que quiconque. Rien n’est parfait. C’est pour leur survie que les gens le font recours à ces accords. Quand tu n’as pas d’autre espoir, c’est naturellement comme ça. Il faut accepter certaines conditions des djihadistes en attendant que l’Etat soit fort. C’est aussi clair et stratégique que ça », soutient-il.
Et l’ex député élu à Koro de poursuivre : « Nous avons vu Moura… On vient déloger tous les djihadistes, on s’en va ! Après, les djihadistes viennent déloger tout le monde. Qui a perdu ? Ce sont les populations ! Pourtant, ces mêmes populations étaient là-bas, souffraient, mais vivaient plus tranquillement qu’aujourd’hui… ».
Circuler librement
Travaillant uniquement avec les communautés, pourquoi ‘’HD’’ ne dialogue pas directement avec les djihadistes ? « HD n’a pas mandat à dialoguer avec les djihadistes. Il ne le fera pas tant que l’Etat nous ne lui demandera pas le faire », répond le médiateur cité plus haut.
« Les accords signés à travers la médiation de ‘’HD’’ sont raisonnables. Dans ces accords, on ne parle pas de Charia, les clauses ne sont pas en contradiction avec les lois de la République. Ce n’est pas un accord politique, il n’a pas pour vocation à mettre fin au conflit. C’est un accord à titre humanitaire qui vise à permettre aux populations de circuler librement, d’aller à la foire, de cultiver, de faire la transhumance, bref, d’avoir accès aux services sociaux de base », détaille un responsable imprégné du processus de médiation.
Selon lui, en tout, il y a eu vingt-sept accords locaux signés. Vingt-et-un de ces accords fonctionnent avec zéro violence entre les communautés. Cinq connaissent des difficultés avec la reprise des hostilités, notamment à Djenné, Somadougou, Monimpébougou, Ouenkoro, et Baye. Un accord est complètement mort du fait de la présence des djihadistes, il s’agit de celui de Kouakourou toujours dans le cercle de Djenné.
Ressortissant du village de Yangassadiou, l’enseignant Hama Ongoiba estime que ces accords locaux se sont révélés indispensable face à l’absence de l’Etat.
« En 2019, Yangassadiou a conclu un accord verbal avec les djihadistes. C’était en brousse sous un arbre. Ils ont discuté sur tout ce qui s’est passé entre eux. Ils ont proposé un pacte de non-agression. Les villageois ont accepté. A ce pacte, il a été ajouté la liberté de circulation des populations. Et Dieu merci, de cette date à maintenant, il n’y a eu aucun problème entre les djihadistes et les habitants », explique-t-il.
De son côté, l’ex député Marcelin Guinguéré est convaincu de l’importance et des avantages des accords pour les populations directement touchées par le phénomène récurrent de l’insécurité.
« A Koro et une grande partie de Bankass, je suis intervenu pour demander à tous les chasseurs de rentrer à la maison en précisant ceci : si on vous attaque, répliquez. Il n’ya plus de tuerie dans les zones là-bas. Or avant, tout était dans le cercle de Koro où il y avait eu tous les problèmes. Aujourd’hui, les gens voyages à minuit ou à 2 heures du matin, pour aller partout. Donc l’accord a été très bénéfique. L’année passée, les gens ont pu cultiver. Malheureusement, l’hivernage n’a pas été très bon. Quand bien même, ils ont pu cultiver. Cette année encore ils vont cultiver », conclut-il.
Somme toute, les accords locaux bien que entachés de difficultés, restent le dernier recours des populations du centre. Même si du côté du ministère en charge de la réconciliation nationale, on se réserve d’en parler.
Ousmane Morba
Le SOFT